Aristide retrouve Virgile au Lutétia

In Les Échos 07 04 2018

Depuis combien de temps n’êtes-vous pas retourné au Lutétia à Paris ?

Animés d’une curiosité amicale, nous étions quelques Centurions d’American Express invités à découvrir la future configuration du Lutétia par son directeur général, Jean Luc Cousty. Il ferma l’hôtel il y 4 ans, il le rouvrira ce printemps.

L’icône parisien du boulevard Raspail, est née dans la prospérité en 1910. Il devint un lieu de fêtes dans les années folles avant de subir le tragique puis la résilience au milieu du XX siècle ; depuis les années 50 il muta résolument en « La Rive Gauche ». Désormais, découvrir le nouveau Lutétia cela sera parcourir une performance architecturale enchâssant un lien  Art nouveau — Art déco retrouvé dans les miroirs du XXI siècle.

Qu’avons-nous découvert au cours de cette visite ?  

La façade unique et reconnaissable entre toutes de pierres de Paris en haut et pierres de Bourgogne en bas a été rajeunie par l’artisan Villemain ; en surplomb du 43 Boulevard Raspail, une marquise, reproduite à l’identique de son aînée de 1910 par l’artisan Betemps, orne l’entrée de l’hôtel. Au-delà, à l’intérieur, la grande galerie a retrouvé son provignage de bas-reliefs identiques aux originaux. Tout en vignes, sarments et grappes ils sont une allégorie aux résidents d’avant la percée du Boulevard de 1907 : les jardins des couvents des Filles de Saint Thomas,  de l’Abbaye aux Bois et de l’hôpital des Petites Maisons.

Puis sur votre gauche s’ouvre un immense espace, l’ancien salon Borghèse, aujourd’hui le Bar Aristide (Boucicaut). À l’origine, les provinciaux voyageurs s’y rédimaient de leurs propres trépidations au Bon Marché. Désormais, cette ouverture dominant le boulevard sera à la fois un lounge-bar pour le commun, un rendez-vous de refuge pour d’autres et, pour quelques exilés des élites, un asile contre l’existence du monde voire une suspension du rythme du temps qui nous façonne. Impossible de comprendre autant d’atmosphères à la fois sans lever les yeux et laisser le mouvement du rêve prendre corps dans l’admirable et majestueuse fresque d’Adrien Karbowsky.

Au ciel du salon en effet, l’élève de Puvis de Chavanne dessina une œuvre romantique héritée des jardins, vergers et potagers des maisons religieuses d’autrefois. Elle  inspire le rêve d’une nature paisible, sereine et généreuse autour de deux divinités : Pomone, nymphe des vergers et des fruits, et sa compagne Céres, déesse de l’agriculture et de la fertilité. Accompagnées de la Pêche, de la Moisson, de la Vendange et de la Chasse elles vous rappelleront votre campagne, la nostalgie d’une ruralité ancienne, ou bien, si l’imagination de l’âme ne se blesse plus aux limites de l’esprit, le fils de Pollion des Bucoliques de Virgile se récitant quelques vers des Géorgiques :

« Hic segetes, illic ueniunt felicius uuae, arborei fetus alibi atque iniussa uirescunt gramina »

Ici c’est le blé qui vient en abondance, là c’est la vigne

Ailleurs ce sont les arbres fruitiers et les prairies naturelles qui verdoient »

Chacun le comprend, l’alliance Art nouveau-Art déco-Modernité est hors du temps.

Cachée sous des peintures, cette fresque échappa aux regards et lle a été redécouverte par les artisans Stéphanie et Cyril de Ricou. Invention archéologique des temps modernes, la performance doit être saluée. L’audace de l’hôte sera d’en laisser intacte la polychromie. Elle ne sera pas rénovée, les couleurs ne seront pas ravagées par un rehaussage géant, elles resteront construites par le temps devenu peintre de pastels.

Plus loin, la réception sera également dominée par une plus petite fresque elle aussi redonnée aux yeux des commensaux. Dans un délicat mouvement d’une pergola de crocus et de roses elle transformera les voyageurs à l’arrivée impatiente en amoureux du départ tardif.

De l’autre côté de la galerie, le restaurant Saint-Germain est orné d’une invention lumineuse. Le toit a disparu et l’espace est sous la clarté d’une verrière séculaire ornée de surprises. Un choc ! L’ensemble s’ouvre sur la lumière latérale du nouveau patio intérieur. Plus loin le Spa Akasha sera également un lieu d’intensives inactions.

Les chambres ne seront plus qu’au nombre de 184, 230 auparavant. D’exclusives suites au sommet offrent des vues sur tout Paris. Il est interdit de vous les décrire cependant, nous avons promis le secret. Disons simplement que l’eucalyptus, la couleur de Paris, les gravures dans le Carrare statuzo altissimo, l’héraldique des minibars y sont d’agréables clins d’œil.  

Prohibé également toute information sur le second bar et ses deux fumoirs. Quant à la fameuse Brasserie, elle sera de retour à l’automne avec notamment le second patio de l’hôtel accessible depuis sa mezzanine.

Cette transfiguration du Lutétia ressuscite des œuvres d’art du siècle dernier et libère les créateurs de notre temps. La vibration romantique qui s’en échappe est animée de symboliques qui fusionnent en une communauté de rêves voyageurs. À vous, « Lutétians » fidèles, d’y apporter une nouvelle vie