Arrêtez les prix du pétrole, ma voiture a trop de lithium !

Hybride, électrique avec électrogène embarqué, 100 % électrique… Le lithium est l’élément qui court-circuite le débat sur la voiture électrique : lui est-il indispensable ? En avons-nous assez pour remplacer les moteurs thermiques ? Les batteries sont-elles dangereuses ?

Les événements de Libye et les conséquences sur le prix du pétrole pétrifient les derniers lobbies anti voiture-électrique. Sur le même sujet

L’apparition de voitures électriques dans nos rues et sur nos routes est certaine. Ces véhicules électriques sont hybrides première génération, ils seront électriques avec électrogène embarqué ou bien 100 % électriques. Les consommateurs, stimulés par la communication, de temps en temps tonitruante, des constructeurs et les prix du pétrole, acceptent cette idée et parfois ils la réclament.

Cependant, la « technologie électrique » est-elle déjà au point pour remplacer des moteurs à explosion toujours plus performants ? Sans doute non : la R&D fourmille, la sécurité doit être normalisée, les subventions sont nombreuses et les mesures des rendements, des coûts, des performances sont, à ce stade, encore sans grand intérêt comparatif vis à vis de la propulsion à explosion. Les courbes d’expérience se croiseront et l’électrique gagnera car nous en avons la nécessité !

Toutefois, si nous avons l’obligation de l’électrique plus rapidement que prévu, notamment pour la circulation citadine et pour des raisons stratégiques, ne devrions-nous pas accepter, temporairement, des batteries plus rustiques, nécessitant moins de subventions, que celles qui seront totalement opérationnelles dans dix ans ?

Le lithium est une ressource rare, son prix augmentera, son poids par véhicule diminuera et, peut-être, il sera remplacé par autre chose si nous n’en avons pas suffisamment à des coûts économiques… Il est depuis longtemps un élément qui court-circuite le débat : est-il indispensable aux véhicules électriques ? Avons-nous assez de lithium pour remplacer les moteurs thermiques ? Les batteries sont-elles dangereuses ? Pourquoi autant de déclarations de constructeurs d’automobiles ne se transforment-elles pas en réalisations ?

Hybride.
C’est le premier modèle Toyota Prius : moteur à explosion et batterie nickel métal hydrure permettant de parcourir 2 à 3 km. Une nouvelle batterie lithium-ion équipe la dernière génération pour parcourir 20 à 30 km en électrique.
A la première génération d’hybride, les batteries écrêtaient les besoins de puissance. Dans la deuxième génération, les batteries permettent de rouler lorsque la demande de puissance est faible. Dans l’ultime version, les batteries seront sollicitées 80 % du temps et le moteur thermique pour les gros efforts.

Electrique avec électrogène embarqué.
La Chevrolet Volt coûte 32.780 dollars sur internet (7.500$ d’aide de l’Etat), c’est un modèle grand public électrique abouti. Sa propulsion est entièrement électrique mais la génération d’électricité est hybride. En effet, la batterie chargée à la maison permet de parcourir 60 km ; ensuite l’électricité sera produite à bord par un électrogène à essence permettant une autonomie de près de 500 km. La pile lithium-ion 16 KWh réputée coûter la moitié du véhicule environ embarquerait moins de 1,8 kg de lithium. L’accumulateur a une garantie de huit ans et 160.000 km.

Véhicule 100 % électrique.
Un roadster Tesla entièrement électrique est une automobile de sport, luxueuse, d’une autonomie d’environ 400 Km, équipée d’une batterie lithium-ion composée de 6.831 éléments (1.703 fois plus que votre ordinateur portable s’il en incorpore quatre), développant 56 kWh d’énergie. Le temps de charge varie en fonction du voltage et de l’ampérage entre 4 et 30 heures. La batterie conserve 70 % de capacité initiale après sept années d’utilisation ou 100.000km. Elle permet une accélération de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes et une vitesse maximale de 200 Km/h.
Tesla a écoulé 1.500 roadsters et compte 3.700 précommandes de son nouveau modèle S.
La société fournit des équipements à Daimler et Toyota.
La quantité de lithium (carbonate ?) embarqué par le véhicule est-elle de 400 g/kWh ? Nous ne le savons pas exactement. Selon la firme de Palo Alto, Tesla utilise différents fournisseurs pour ses batteries et chacun d’entre eux utilisent des « chimies » différentes.

Face à ce bolide, la Blue Car du groupe Bolloré pour AutoLib sera une citadine, d’une autonomie d’environ 250 Km, équipée d’une batterie lithium métal polymère, développant 30 kWh d’énergie. Le temps de charge durera quelques heures, la batterie a une durée de vie d’environ 200.000 Km. Elle permettra une accélération de 0 à 60 km/h en 6,3 secondes et une vitesse maximale de 130 km/h. La quantité de lithium (métal ?) embarqué par véhicule serait de « 40kg de lithium », selon “Le Monde” daté du 4 mars 2009.

Les difficultés commencent dès que l’on essaie d’y voir un peu plus clair.
Une batterie est un élément complexe à cheval sur les sciences physique et chimique et gouvernée par la thermodynamique.
Il existe trois variantes de batteries : chimique, physique (solaire) et bio (enzyme, micro biologique).
Les batteries chimiques rechargeables fonctionnent au plomb, nickel cadmium, nickel hydrogène, lithium-ion, lithium-polymère.
Le lithium métal s’enflamme facilement et l’on préfère limiter sa présence. L’intérêt est double : réduire les quantités et les risques.
La version lithium-ion est la plus populaire. La cathode détermine puissance et capacité. Elles existent sous cinq variantes : lithium-oxyde de cobalt, lithium-oxyde de nickel, lithium-oxyde de manganèse, lithium-phosphate de fer, lithium–oxyde d’un ternaire cobalt-nickel-manganèse. L’électrolyte dans lequel baignent l’anode et la cathode contient aussi du lithium.
La température extérieure à la batterie a des conséquences et peut la figer ou, à l’opposé, la faire exploser.
Dans tous ces domaines la R&D fourmille, des avancées sont en cours.

La sécurité.
Le succès de ces accumulateurs au lithium n’est pas à démontrer, ils peuplent nos univers nomades.
Toutefois, depuis 2006 les rappels de batteries par les fabricants ont été nombreux, les explosions aussi. Tous les grands noms de l’informatique et de la téléphonie y sont passés : les incidents ont été aussi variés que votre ordinateur portable qui s’enflamme, des usines transformant du lithium qui explosent, des cargaisons de batteries en provenance d’Asie qui explosent dans un avion à Memphis, Philadelphie ou bien en escale par des fortes chaleurs à Dubai…
L’agence de l’aviation américaine (FAA) a publié en novembre 2010 une instruction précise sur les dangers des batteries au lithium. Les faits et tests relatés aussi bien pour le lithium-ion que le lithium-polymère sont pesants. Désormais, ces accumulateurs sont transportables par fret aérien sur avions de passagers ou en cargo mais sous strictes conditions. En revanche, le lithium-métal est strictement prohibé des avions de passagers.
Par ailleurs, en juin 2010, le personnel navigant d’un vol American Airlines s’est inquiété du comportement d’un passager transportant 58 téléphones, des batteries lithium-ion et des chargeurs dans son bagage à main. Relativisons, c’est moins dangereux qu’un passager qui fume à côté d’un bidon d’essence dans un avion, mais plus courant. La psychose n’est jamais loin.
Pour que les véhicules 100 % électriques conquièrent un marché en 2011 ou bien en 2020, la sécurité des batteries doit être améliorée.

Les prévisions du lithium sont compliquées.
Le prix du lithium n’est pas une barrière pour le moment. Stable depuis 1999, il n’a été multiplié que par trois depuis 2002 avant de légèrement se contracter avec la crise. Ce prix ne reflète pas la future demande automobile.
La demande de lithium est d’environ 100 Kt pour les applications traditionnelles, les accumulateurs pour appareils nomades en représentent environ 40 %.
La demande de lithium pour automobile 100 % électrique, liée à l’accueil du public, sera aussi corrélée au ratio véhicule hybride (qui consomme moins de lithium) / véhicule 100 % électrique (qui en consomme 5 à 6 fois plus, aujourd’hui). Si la pénétration totale des électriques (hybride plus électrique) est des 10-15 % en 2020, cette consommation de lithium, nulle aujourd’hui, atteindra aisément 100 kt aussi.
A 200 Kt par an, avons-nous assez de lithium ? Certainement, pour les premiers 10 %. Pour les autres 90 %, si la demande devient de 0,5 Mt ou bien 1 Mt ? Les pays producteurs seront-ils accommodants, quel sera le prix ? Comme toujours, les gisements les plus économiques sont consommés en premier, par la suite…
Le recyclage ? Pourquoi pas, mais le 1 pour 1 n’existe pas dans ce domaine.

Le prix des batteries.
L’accumulateur subit deux années de tests, plus de 1.000 recharges avant d’être commercialisé. Il est donc difficile de prédire la technologie utilisée à un horizon de 10-15 ans, mais ce choix sera guidé par le prix.
Ce dernier est encore élevé, parfois la moitié du coût du véhicule. Outre l’accumulateur, les composants qui l’entourent sont coûteux (câblage, radiateur de batterie pour conserver une température optimale, connectique, ordinateur…). Si aujourd’hui le coût de fabrication d’une batterie est d’environ 700 $/kWh, une baisse à 500 $/kWh est réclamée, puis encore une nouvelle baisse de 35 %.
Les matières premières ne représentent qu’une petite partie du prix de l’ensemble, mais mutante et volatile. Les quantités embarquées doivent diminuer pour non seulement compenser leurs propres hausses de prix (ne parlons pas des terres rares), mais participer à une division par deux ou trois du coût du kWh.

Les constructeurs sont partis dans une nouvelle aventure automobile, affichant les objectifs des communicants, sans maîtriser la technologie de demain. Les premières échéances sont immédiates. Nous verrons bientôt si pour nous éloigner d’un pétrole trop cher nous avons trouvé la solution 100 % électrique, économiquement viable, sans explosion ni contre-pied technique, ou bien si nous devons accepter des batteries aux technologies rustiques, robustes et sûres dans les dix prochaines années.
Enfin, Il y a longtemps que les constructeurs ne fabriquent plus directement de véhicules, ils les assemblent tout en gardant la fabrication du moteur en interne. Les accumulateurs du futur, le moteur de demain, sont testés et fabriqués en Chine, Corée et Japon. Sommes-nous face à une mutation ? Si les fabricants d’automobiles d’hier ne maîtrisent plus le cœur du système, l’électrique, les voitures de demain surgiront-elles des usines de batteries de BYD, BAK, Sanyo, Sony, Panasonic, Toshiba, LG ou bien Samsung

Publié dans Les Échos le 03 03 2011