Chine et la « voie du milieu » : charbon – uranium – thorium

La Chine est en guerre contre la pollution, contre 70% de son électricité produite par le charbon. Quelle serait la « voie énergétique du milieu » entre énergies climatiques et nucléaire. La filière thorium a des atouts : déchets , sécurité et suivi de charge.

Alors qu’en Chine le documentaire, « sous le dôme »,  autorisé par le ministère de l’environnement était interdit par d’autres autorités gouvernementales ; alors que les contrôles des importations de charbon se font plus strictes, un chargement nord-coréen devait faire demi-tour car trop polluant en phosphore ; alors que le congrès annuel du Parti Communiste Chinois débattait de la pollution atmosphérique, la seconde tranche de la centrale nucléaire de Yangjang, 1080 MW,  se connectait au réseau.


Quelles solutions pour diminuer les 76% d’électricité chinoise au charbon vers un objectif de  60% en 2020, tout en doublant la capacité électrique vers 3 000GW notamment pour développer la voiture électrique, mais en garantissant une certaine autosuffisance de la ressource énergétique primaire ?


Premièrement, réduire le charbon signifierait baisser de consommation électrique par unité industrielle, c’est la migration du supercycle quantitatif vers le supercycle qualitatif .  Puis c’est diminuer la consommation de charbon dans les foyers (cuisine, chauffage…) et accroitre la consommation électrique domestique. C’est également réduire à proche de zéro les importations de charbon et fermer les centrales à charbon urbaines et côtières utilisant la houille étrangère, tandis que le charbon national serait être « nettoyé » avant d’être brulé dans les centrales électriques de l’ouest et du nord.


Eliminé, le charbon sera partiellement remplacé par l’hydraulique, déjà à 250 GW (il ne pourrait pas dépasser 400 GW car impossible de construire des barrages sur chaque fleuve) ;  remplacé par les énergies climatiques vent et solaire qui augmenteront vers une capacité d’environ 200 GW chacune d’ici à 2030 (mais deux énergies climatiques décevantes car elles produisent 3 fois moins que les capacités non-intermittentes) ; remplacé enfin par le nucléaire.


L’équilibre entre ces solutions nécessiterait de tenir compte de deux points essentiels.
1) La demande électrique était égale à la consommation et elle était prévisible, l’offre s’y adaptait. Désormais, la demande d’électricité n’est plus égale à la consommation industrielle et des ménages, mais à cette consommation moins la production intermittente et incontrôlée des énergies climatiques et hydrauliques. Une soustraction à mettre en perspective : ces futures capacités « vertes » auraient une production réelle (il n’y a pas toujours du vent ni de soleil, ni d’eau dans les barrages) qui pourrait être égale à deux fois la production française, l’hydraulique à environ quatre fois la production française.  Revers de cette médaille, la demande totale chinoise étant égale à une soustraction entre une consommation croissante et ces colossales productions intermittentes, l’offre électrique chinoise devra  s’adapter à de non moins colossales variations journalières pour éviter les  ruptures de réseaux.


2) En outre, la production électrique est située au nord et à l’ouest du pays mais la consommation est à l’est et au sud. Pour remplacer le charbon brulé dans les villes, les productions vent-solaire-hydraulique et charbon propre seront reliées aux zones côtières sur-urbanisées par des lignes à ultra haute tension longues de 600 à plus de 2000 Kilomètres.  6 lignes existent, 13 sont mises en chantier en 2015, entre 25 et 30 seront opérationnelles en 2020. Courte remarque, c’est ici que l’aluminium et le cuivre prendront part au supercycle qualitatif.  Toutefois, ces transmissions de capacités resteront une offre  discontinue et insuffisante.
C’est donc encore une fois l’intermittence qui entraine la transition énergétique chinoise du charbon vers le nucléaire. Il y a vingt ans, la Chine commençait son apprentissage de l’énergie  nucléaire : de 13GW installés en 2013 elle passait à 20 GW en 2014, elle atteindra 58 GW en 2020 et au moins 200 GW en 2030, voire plus. C’est-à-dire plus de trois fois la capacité installée en France et deux fois celle des Etats-Unis.


À plus long terme, la Chine étudie activement depuis 2011 les réacteurs nucléaires à sels fondus et à spectre rapide (MSFR) au thorium. Elle n’est pas seule : des start-up aux Etats-Unis et au Canada reprennent les travaux du Laboratoire d’Oak Ridge qui fit tourner un réacteur thorium entre 1965 et 1969, l’Inde utilise déjà ce combustible et l’Europe à un petit programme Samofar. Pourquoi utiliser du thorium dans des MSFR?


Pour deux raisons.

1) La Chine s’est déjà constituée une réserve stratégique d’uranium pour les réacteurs actuels équivalente à moins de 10 années de consommation 2020. Quel que soit l’importance de ce stock, la grandeur son programme nucléaire ne lui laissera aucune indépendance du combustible primaire. Inversement, l’extraction de ses terres rares isole un élément résiduel fissible, le thorium, en des quantités qui permettraient une autonomie électrique de 10 000 à 20 000ans Autant que les réserves françaises de combustible type RNR. L’Inde  utilise le thorium pour les mêmes raisons de disponibilité, et la prochaine conférence thorium d’octobre 2015 à Bombay démontrera sans doute que l’avenir de l’atome réside …dans l’atome.


2) Les MSFR au thorium ont des qualités bien connues (déchets réduits, sécurité gravitationnelle, rendement supérieur, prolifération difficile…) et déjà décrites ici : Le thorium nucléaire du futur .  Mais depuis, la recherche du Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie de Grenoble affirme que les MSFR présentent l’immense intérêt d’être très flexibles dans le suivi de charge, c’est-à-dire réguler la puissance d’électricité produite en fonction de la demande. Dans les réacteurs actuels en effet, ce suivi de charge n’est rapide et automatisé qu’à hauteur d’une variation de 5% seulement. Au-delà l’opérateur doit intervenir, modifier l’eau primaire ou manipuler les barres de contrôle. Ces manipulations engendreront des variations de température qui fatigueront les matériaux. Dans les MSFR, il est démontré que la variation de puissance peut atteindre 50% en quelques minutes sans variations de température.


Face aux imprévisibles nuages ou risées du ciel de Manchourie intérieure, face aux imprédictibles ondées sur les barrages du Yunnan, maitriser l’amplitude de l’offre avec la souplesse d’un MSFR au thorium correspondrait à une incontestable et confucéen Zhong Yong énergétique.

Publié dans Les Échos le 15 03 2015