La mine circulaire européenne

À Bruxelles la mine et l’économie circulaire portent un nom, celui de la direction général GROW, celui de la croissance, et une récente intervention à la conférence annuelle de cette DG Grow me permettait de rappeler quelques idées simples.

Chaque année la Direction des Matières Premières de la Communauté Européenne organise en son fief de Bruxelles une grande réunion de synthèse sur ses orientations, ses projets et témoigne de ses initiatives .

C’est dans ce cadre que l’équipe du directeur de DG Grow, Gwenolé Cozigou, nous indiquait la grande nouveauté du nouveau programme de l’économie circulaire. Celle-ci débute désormais par la mine : c’est la mine circulaire. L’extraction minière devient le point de départ de l’économie circulaire parce que le recyclage, sa mine urbaine et les innovations dans la réingénierie qui vont de pair ne subviendront jamais suffisamment aux besoins de l’Europe pour les raisons exposées ci-dessous. L’Europe choisissait résolument d’abandonner à leurs oppositions stériles les lobbies pro-mine ou bien en faveur du recyclage. Elle s’élève sur ses deux jambes dans le monde en ressources naturelles. C’est une nouvelle très positive.

C’est dans le cadre de cette conférence que l’occasion m’était donnée de rappeler les difficultés actuelles de la mine circulaire mais également des atouts de l’Europe.

Certes, dans l’instant, l’offre minière est supérieure à la demande, les prix s’en ressentent, notamment après le comblement de la consommation chinoise et parce que les producteurs n’ont pas assez rapidement réduit leur production pour diverses raisons : les recettes de certains doivent couvrir des budgets nationaux (par exemple le cuivre au Chili) ou des remboursements de dettes; les baisses des prix du pétrole, de l’électricité et des monnaies face au US$  abaissent les coûts et retardent les réductions de production ; les mineurs ont une psychologie conservatrice d’expansion, rarement de contraction, parfois soutenue par des subventions sous diverses formes car les gouvernants refusent d’avoir à gérer les conflit sociaux liés aux fermetures d’entreprises minières ; enfin la baisse des prix est exagérée par les ventes à découvert notamment sur le marché chinois de la part d’investisseurs professionnels ou particuliers. Le gouvernement chinois regarde le problème.

D’un autre côté, le recyclage, la substitution, le re-conception, la réingénierie, c’est-à-dire l’économie circulaire « vieille école » (n’intégrant pas la mine) de « l’idéologie du progrès par précaution », sont des moyens bien connus des métallurgistes. Moyens qui souffrent de faiblesses largement débattues.
Si la réingénierie réduit les quantités de matière par produit (cela le sera davantage avec les nanotechnologies), ce cercle vertueux a le revers d’affaiblir les possibilités de recyclage. Le nano-affinage n’est pas encore maitrisé. Les difficultés du recyclage commencent à la collecte puisque celle-ci obéit le plus souvent à une contrainte normative et non pas économique ; une vraie innovation serait donc d’ordre juridique. Ensuite, les polymétalliques de la mine urbaine, fabriqués par l’homme, sont plus complexes que ceux qui auront été extraits de la nature, par conséquent si l’affinage minier est du « prêt-à-porter », l’affinage des métaux recyclés est du « sur-mesure » qui donne des résultats inférieurs, notamment pour les métaux critiques. Enfin, l’affinage coûte parfois plus cher que la valeur des métaux, notamment lorsque les prix baissent,  et ils ne sont donc pas récupérés. Au total, le recyclage final de nombreux métaux porte le nom barbare « d’inertisation », c’est-à-dire la dilution sous les normes autorisées puis la mise en décharge souterraine ou en rivière. Par exemple, en France 66% et en Allemagne 50% des piles et accumulateurs usagés ne sont jamais recyclés. Le solde n’est parfois pas éloigné du crime environnemental dès lors que l’inverse est au contraire affirmé.

La mine européenne circulaire est un premier pas important, le deuxième non moins essentiel sera de lancer au niveau européen une vraie réflexion sur les métaux stratégiques.

Des métaux sont critiques pour des raisons géologiques et d’autres stratégiques pour des raisons politiques. Les métaux stratégiques ne sont pas nécessairement rares et les métaux rares ne pas sont nécessairement stratégiques et cela change avec le temps et dans chaque pays. En outre, les métaux stratégiques ne pas sont réservés qu’aux défenses nationales. Par exemple, la politique d’urbanisation chinoise depuis 2000 ne transformait-elle pas le minerai de fer ou le cuivre en matières stratégiques avec les conséquences que l’on connait.

Une chose est certaine, les métaux critiques dirigent les investissements des entreprises et les métaux stratégiques les politiques des états et l’ensemble se complique dès qu’un métal cumule les deux notions critique et stratégique, par exemple les terres rares entre la Chine et le Japon en 2010.
De ce point de vue, l’Europe est étrange, les seules ressources naturelles européennes qui sont stratégiques sont le lait, le porc, le blé, le maïs,… parce qu’il existe une politique agricole commune. Bien que l’Europe ne produise que 5% des métaux mondiaux, en consomme 20% et est à 100% dépendante pour les métaux critiques, c’est parce qu’elle n’a aucune politique minière commune que le cuivre, les terres rares, l’indium, le tungstène, l’antimoine, le gallium, … ne sont pas des matières stratégiques européennes.


Qu’en sera-t-il à la suite de la COP 21, lorsque la politique mondialisée des énergies renouvelables sera réellement mise en œuvre ?  Ces énergies renouvelables, farcies de métaux, sont produites par des ressources minières non renouvelables ? Une éolienne off-shore flottante de 6MW déplace 6000 tonnes d’acier, de cuivre, de métaux critiques… c’est-à-dire autant qu’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins… http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-141123-paris-climat-2015-ma-cop21-a-moi-est-metallique-1162840.php Au total il est estimé que les énergies renouvelables consomment 15 fois plus de béton, 90 fois plus d’aluminium, 50 fois plus de cuivre que les centrales électriques actuelles.
Sous un autre aspect, comment comprendre que deux futurs gisements de terres rares situés au sud du Groenland bénéficient d’une coopération européenne alors que cette future production sera exportée en Chine sans contrepartie. Bien que celle-ci produise 95% des terres rares elle importera cette production aux portes de l’Europe parce que les besoins de son industrie de transformation s’accroitront de 50% d’ici à 5 ans.

Toutefois, l’Europe a les ressources de sa politique minière. En moyenne le sous-sol européen est inconnu sous les 50-100 mètres. Au passage et pour gagner du temps, éliminons de notre esprit les lubies des mines sous-marines. Bien que cela n’interdise pas l’exploration scientifique, au regard des quatre concepts qui bâtissent la mine durable -économie, environnement, social, gouvernement – l’idée est irréfléchie et déraisonnable.
L’Europe a les moyens de sa politique minière. Puisque son premier travail est d’organiser un inventaire de ses propres ressources souterraines utilisons les outils européens qui existent déjà. Comme l’indiquait M Pellegrini de la DG GROW, les entreprises minières opérant en Europe sont les plus transparentes au monde et des outils européens existent déjà. Anne Auffret et Milan Grohol, de la DG GROW, exposaient les mécanismes à la disposition des universités et des entreprises : les Engagement Matières Premières et le programme Horizon 2020 .

Si les PME sont parfois rapidement perdues dans les méandres bruxellois, un facilitateur est nécessaire. C’est le rôle de l’association nommée Prometia .
Ouverte à tous, Prometia est doublement utile, non seulement elle fédère la communauté scientifique pour la guider dans l’extraction, le traitement et  le recyclage des métaux, mais en liaison avec Bruxelles elle œuvre pour éviter le saupoudrage des moyens financiers pour au contraire les concentrer. La http://prometia.eu/a-look-back-at-prometias-second-scientific-seminar/ deuxième conférence annuelle de l’association à Séville en novembre 2015 illustrait les réussites de ce réseau particulièrement dynamique.

Publié dans Les Échos le 14 12 2015