La spéculation agricole favorise la baisse des prix

Depuis que les investisseurs dominent les prix agricoles, leurs mouvements sont une bonne anticipation des prix futurs.

Plus que jamais, l’emblavement, les stocks, les conditions atmosphériques, la Nina, en un mot les fondamentaux passent en second plan dans la détermination des prix agricoles. Depuis les plus bas des années 2002-2003, les échanges sont guidés par les investisseurs. Certes, depuis le printemps, le contexte économique les guide dans une configuration de risque minimum, « risk off », ils sont pessimistes et les prix ont largement baissé. Mais leurs anticipations sont nuancées entre les céréales et les autres marchés. A lire aussi

A Chicago, depuis le début septembre, le niveau de leurs positions longues baissait encore pour les grains et les prix spot s’en ressentent.

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Soja. Les money managers du CBOT réduisaient leur position longue de 70% (ligne noire) Le prix du soja perdait 20% depuis début septembre (ligne bleue), il est au plus bas de l’année et, si le contexte économique ne s’améliore pas, une baisse de 10% est encore envisageable.

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Blé. Les money managers réduisaient leur position longue tant et si bien qu’ils étaient à découvert début octobre (ligne noire) Le prix du blé perdait 17%, un nouveau comblement des prix est encore concevable mais il sera éloigné des -30% nécessaire pour rejoindre les plus bas de 2009.

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Maïs. les money managers réduisaient leur position longue de 48% (ligne noire) Le prix du maïs perdait aussi 22% en un mois. La dualité de la consommation de maïs, alimentation et énergie, assujettie cette céréale plus que les autres au contexte économique. Si ce dernier ne s’améliore pas, une nouvelle baisse de 10% est encore possible. Toutefois, les cours de 2009 inférieurs de 35% au prix actuels ne sont pas encore envisagés.

Les prix du café sont dans une situation délicate, le solde des positions spéculatives est presque en faveur des vendeurs à découvert, la chute des prix depuis début septembre est substantielle : 22%.

La situation du cacao est plus préoccupante car le solde des futurs est en faveur des spéculateurs baissiers, la baisse des prix était de 17%.

Les prix de sucre sont en retard par rapport aux prix des autres denrées car les investisseurs longs sont encore bien supérieurs aux vendeurs. Depuis début septembre, les prix ne baissaient que de 10% mais, si l’aversion au risque persiste, il est à craindre qu’ils ne perdent encore 10%.

A l’inverse des autres marchés, les prix du bétail sont en hausse. Les investisseurs accroissaient leur couverture de 20%, enthousiasmés par les prix des bovins – en hausse de 10% – qui suivaient la hausse des prix du porc américain eux-mêmes mis en tension par la reconstitution de stock de porcins en Chine.

Nous sommes au creux de la vague !
La désorganisation liée à l’instabilité monétaire cède déjà le pas au retour des investisseurs dans les marchés agricoles. Ils attendaient juste le premier signal de sortie de crise souveraine pour revenir en force dans ces marchés agricoles. C’est fait.

Le maïs n’est plus une ressource agricole mais une matière industrielle : son premier consommateur mondial est la fabrication d’éthanol automobile et chacun en attend un signal positif après la liquidation du mois d’août.
Un autre message proviendra des exportations de maïs vers la Chine. Elles étaient basses, mais aux prix actuels, les achats d’aubaine pour reconstituer les stocks de maïs chinois sont anticipés.
La dernière interrogation dont on attend une réponse est celle du dilemme entre la hausse du real brésilien et l’arbitrage entre ensemencement de soja ou de maïs sur les terres brésiliennes, les anticipations de l’emblavement ne sont pas encore claires.
Le retour des investisseurs sur le maïs s’accompagnera d’achats, par sympathie, sur le soja et le blé.

Même prosopopée pour le café et le cacao. La configuration des couvertures des risques de ces deux marchés transforme ces deux derniers en bombe à retardement. Il suffit qu’une surprise émane des stocks ou des producteurs pour que les spéculateurs haussiers renoncent à leur absence et rentrent en masse sur ces deux marchés. Un enchainement de couvertures provoquerait un rattrapage des prix immédiat.

Conclusion
Encore plus qu’en 2008, le monde ne se nourrit plus lui-même : les producteurs ont désormais la charge de 7 milliards d’individus, les terriens consomment en 9 mois ce que la terre produit en 12 mois, elle se laisse cultiver à crédit. Sur le long terme, les prix agricoles gagneront en volatilité et si être short de produits agricoles est une méprise, ne pas construire des positions longues dans les périodes d’accalmie comme celle de cet été constitue une erreur.
Publié dans Les Échos le 10 11 2011