PAC : Politique Agricole Commune ou Pénurie Alimentaire Commune ?

In Les Échos 14 12 2009

La crise pétrolière de 2007-2008 avait conduit des agriculteurs à se chauffer au blé. En effet, il est plus rentable de brûler du blé que du fuel dans sa chaudière si le pétrole est 2,5 fois plus cher que le blé. Est-ce la faute de la PAC ? Si l’on met un peu d’intelligence économique dans l’agriculture, que donne la PAC après 2013 ?

Six idées fortes s’imposent depuis la dernière PAC de 2003 :
1) Le lait était en crise de sous-production mondiale en 2007-2008. La cause était liée à la sous-production néo-zélandaise de lait en poudre. Ce n’est pas le lait de consommation UHT qui régit le prix du lait mais ses applications agroalimentaires. Depuis la production de Nouvelle-Zélande est remontée, les prix se sont écroulés.
Vite un ETF des produits laitiers !

2) Les statistiques céréalières européennes étaient myopes en 2007-2008. Elles indiquaient une production stable à environ 257.000 millions de tonnes malgré 25.000 millions de tonnes supplémentaires nouvellement comptabilisées avec l’arrivée de la Bulgarie et la Roumanie dans l’Union Européenne. Cette année là, l’Europe est devenue importatrice de 10.000 millions de tonnes de blé au lieu d’en exporter comme chaque année.

3) L’Ukraine et la Russie ont doublé leur production de blé en moins de cinq ans à plus de 150.000 millions de tonnes. Ce n’est qu’un début car, outre la richesse de leurs terres, ces deux pays ont un rendement à l’hectare qui n’est encore qu’à 35 quintaux contre 80 quintaux dans l’UE. La France importait du blé russe au XIX siècle.

4) Les négociants ont acheté des terres cultivables à l’est de l’UE alors que, dans le même temps, la France dispose d’un million d’hectares de forêts supplémentaires depuis 20-30 ans. Un retour de ces terres vers l’agriculture sera difficile sans un coût de l’énergie moins élevé. Les pays qui disposent de terres riches et de ressources énergétiques bon marché sont favorisés.

5) La meilleure agriculture est celle du Brésil. Elle donne le ton sur le marché. Blé, lait, poulet, riz… sont importés en Afrique de l’ouest à des coûts moins élevés que lorsqu’ils sont produits localement. Lorsqu’un champ français fait 200 hectares il en fait 3.000 au Brésil.

6) La parité €/$ écorne sérieusement la compétitivité des produits agricoles de l’UE.

En 1962, la PAC se résumait à éradiquer la pénurie alimentaire d’après guerre, moderniser les exploitations et remembrer ; en 1995, c’est le développement rural ; en 2003, c’est l’environnement et la ruralité.
La PAC c’est 100 euros dépensés par an et par habitant de l’UE, la France reçoit 9 milliards d’euros. Est-ce suffisant ?
Les agriculteurs français ont un revenu de 20 milliards d’euros, dont près de la moitié provient de la PAC, mais 30% d’entre eux ne reçoivent aucun revenu de l’Europe. La PAC est égale à 15% de la production agricole française (60 milliards d’euros). Elle est égale à 4% des dépenses alimentaires des ménages français (220 milliards d’euros). Aux Etats-Unis, l’équivalent de la PAC c’est 100 milliards de dollars, 50% sont distribués aux agriculteurs et 50% aux consommateurs sous forme de bons d’alimentation.

Que deviendra la PAC après 2013 ? Les hypothèses sont au nombre de cinq :

1/ La PAC est supprimée. Le libre échange remplace la PAC. C’est l’objectif 2020 de l’Angleterre.
Dans ce cas, sur 587.000 exploitations françaises (320.000 agriculteurs professionnels) 50% sont en banqueroute. L’Europe, comme d’autres régions du monde, importera une partie de son alimentation. La pénurie actuelle sur le marché mondial du riz est une bonne anticipation de ce qui nous attend. Les états asiatiques achètent du riz aux enchères pour subvenir à l’alimentation des populations. Même si l’on imagine que Bruxelles mutualise les besoins de blé, l’idée même de l’UE ne résisterait probablement pas longtemps aux tensions entre les 27.

2/ La PAC est réaménagée car elle est égalitaire mais pas équitable.
Dans ce cas, les subventions seraient déconnectées de la surface ou du rendement et octroyées en fonction du revenu agricole et du caractère manuel (fruits, légumes) ou bien mécanisée de la culture. Il n’est pas anormal que les exploitations les plus grosses et les plus productives reçoivent plus de subventions. Mais nul ne doute de l’étonnement du citoyen européen qui découvre qu’aujourd’hui les grosses exploitations subventionnées appartiennent à des non-agriculteurs, voire à des têtes couronnées, et que de plus petites exploitations produisant moins, mais pouvant produire plus, restent sans aide.

3/ La PAC est révolutionnée. Elle est redéployée vers les consommateurs.
Plutôt que de subventionner l’agriculture, la PAC est redirigée sous forme de subventions vers les consommateurs : prestations sociales, chèques directs, organismes sociaux, associations. De l’agriculteur aidé on passe au consommateur assisté. Idée qui diverge de l’article 33 de la PAC – sécurité alimentaire, prix raisonnable au consommateur, revenu convenable à l’agriculteur – et qui entraîne la PAC sur un terrain philosophico-économique sur lequel elle risque d’être la première victime.

4/ La PAC est sélective. Elle favorise la santé.
L’UE c’est 130 millions d’obèses et 30% des enfants en surpoids. La PAC ne subventionnerait plus les produits provoquant l’obésité mais favoriserait les fruits et légumes, le bétail, les ovins, les volailles, le lait… Elle favoriserait aussi les produits BIO qui sont déficitaires, notamment en France, et elle contribuerait à harmoniser les normes BIO des productions européennes.

5/ La PAC favorise la santé publique et elle est plus équitable.
Elle aide l’agriculteur en fonction de son revenu et de la main d’œuvre employée. Elle favorise les produits en fonction d’objectifs de santé publique (bio, fruits, légumes, bétail, volaille, lait…), elle assure l’autosuffisance pour les autres produits dont les céréales. Surtout, elle ne gaspille pas son argent à communiquer et dire au citoyen européen qu’elle existe, cela il le sait déjà.

La PAC est morte, vive la PAC.