Pétrole : le supercycle ne touche pas à sa fin

La chute des prix du pétrole est plus la conséquence et l’aboutissement de progrès technologiques ayant permis de produire plus et à moindre coût que les prémices de la fin d’un supercycle.

Un supercycle des matières premières se caractérise par une hausse exceptionnelle de la production accompagnée de prix tout autant exceptionnels. La production mondiale de pétrole continue de progresser, mais les prix du pétrole sont en baisse de 50%. Cette chute est la conséquence et l’aboutissement de progrès technologiques qui permettent de produire plus à moindre coût, elle n’annonce pas la fin d’un supercycle.

La banque centrale du pétrole, l’Arabie Saoudite, et les États du Golfe n’ont pas  baissé pas leurs productions pour rehausser les prix vers l’objectif historique de 90$. Avec 30% de la production mondiale ils ne régulent plus comme par le passé le marché mais ils refusent de subir une double peine.

Premièrement, en produisant moins ils perdraient des marchés et des clients et surtout l’avantage d’approvisionner leurs réseaux marketing de raffinage disposés sur tous les continents. Ils y ont lourdement investis, notamment l’Arabie Saoudite, et le pétrole brut est un marché, les produits raffinés en sont un autre.

Deuxièmement, produire moins sur un marché du pétrole déconcentré signifierait une rétrogradation du Golfe insoutenable pour sa géopolitique, mais également incontrôlable car la baisse des prix risque d’être longue et à faible viscosité pour plusieurs raisons :

• les gouvernements de pays non- OPEP –Argentine, Brésil, Canada, Colombie, Argentine, Indonésie…- continueront d’encourager la production locale pour sauvegarder l’emploi et leur doctrine énergétique nationale : c’est à dire l’indépendance énergétique ou les exportations

• une technologie de fracturation a muté vers la « refracturation » d’anciens forages inépuisés et elle permet de produire à moindre coût.

• les sociétés pétrolières, par exemple CNOOC ou BP, qui réduisent les Capex, continueront de produire plus de pétrole ou au moins autant pendant quelques temps.

• face à la baisse des prix, la production états-unienne, dont celle des hydrocarbures non conventionnels, réduit les coûts et améliore la productivité.

• la corrélation entre baisse du nombre de forage dans les Bakken, Permian, Eagle et Niobara et baisse de production américaine est faible à court terme. Aux Etats-Unis, la production, devenue supérieure à 9.2 millions de barils/jours (l’Arabie Saoudite est à 9.6 b/j), ne baissera pas avant 12 à 18 mois.

• il est de plus en plus rapide et de moins en moins coûteux de forer et d’exploiter un puits dans le schiste nord-américain (moins de 15 jours et l’on recueille la majorité de la production dans l’année) plutôt que d’attendre plusieurs années la production d’un long et coûteux forage off-shore. Puis de rester collé autant de temps à une coûteuse plateforme pétrolière dans le golfe du Mexique ou de Guinée, au large du Brésil, dans les mers de Barents, de Kara, du Nord, Caspienne…

• les stocks disponibles pour compenser un futur déficit de l’offre sont déjà positionnés.

• de nombreux producteurs se sont hedgés au cours du récent rachat de ventes à découvert.

À 60$, il est difficile d’envisager un retour immédiat vers les 90$ à la suite d’une courbe des prix en V. Nous sommes quelques-uns à envisager un touché à 30$ le baril, pour le moment, la chute s’arrêtait juste au-dessus. Mais cet horizon risque d’être atteint après la ligature médiane actuelle d’un marché oriental et producteur reprenant le graphème ω, ou bien après la ligature terminale d’un marché occidental et consommateur adoptant un ancien graphème plus brutal Ϟ.  Qu’arrivera-t-il ensuite ?  Curieusement, dans la Grèce antique Ϟ signifiait 90.
Publié dans Les Échos le 16 02 2015