Pourquoi ma facture de gaz naturel augmente-t-elle ?

Pourquoi ma facture de gaz naturel augmente-t-elle, pourquoi n’inspire-t-elle pas confiance, interrogent deux lectrices.
Tentons un éclairage sur une matière première qui aurait une mauvaise image engendrée par des prix qualifiés d’opaques. Le prix payé par le consommateur et le prix reçu par le producteur souffrent-ils d’une discontinuité ?

Tout d’abord pourquoi utilisons-nous le pétrole pour déterminer le prix du gaz ? Il faut remonter aux découvertes de gaz en mer du Nord par les Pays-Bas et leur volonté de consommer de préférence une énergie nationale, le gaz, plus économique que des hydrocarbures importés. A cette époque, comment déterminer un prix attractif par rapport au fioul alors qu’il n’y a pas de marché du gaz disponible ? Il a été décidé de calculer son prix à partir du prix d’hydrocarbures qu’il remplaçait. Par la suite les trois autres pays producteurs (Norvège, Russie, Algérie) approvisionnant l’Europe ont adapté la formule de prix hollandaise. Et l’on comprend aisément que les exportateurs de gaz n’ont aucun moyen de contrôler le prix du gaz au profil parfait d’un sous-produit du pétrole.

Les contrats à long terme européens recherchent avant tout une sécurité. Les quatre pays exportant vers l’Europe (Pays-Bas, Algérie, Russie, Norvège) ont organisé une sécurité d’approvisionnements sous la forme de contrats à long terme. Les contrats ont des durées longues, variables cependant, en fonction du producteur : 8-10 ans avec l’Algérie, 10 ans avec les Pays-Bas, 20 ans avec la Norvège et jusqu’à 30 ans avec le pays qui offre la meilleure sécurité, la Russie. Ils expriment une interdépendance, une double sécurité, entre producteurs et consommateurs plus qu’une dépendance de l’un ou de l’autre.

Cette recherche de sécurité n’a pas permis à un marché spot de vraiment se développer en Europe. Il n’est pas très important mais il existe. Il s’y échange des volumes équivalents à environ 12% de la consommation européenne sur le marché spot britannique (NBP) et 12% de la consommation européenne aussi entre les cinq plus petits marchés de Zeebrugge (Belgique), TTF (Pays-Bas), NCG (Allemagne), CEGH (Autriche), PSV (Italie). Malgré tout, ces derniers sont peu représentatifs, ils ne sont ni assez profonds ni assez liquides et voyaient récemment 60% de leurs volumes être des ventes détresses de distributeurs qui ne trouvaient pas d’acheteurs en face de contrats à long terme notamment à cause du ralentissement économique.

Au contraire, aux Etats-Unis le marché spot est plus vivant, la référence reconnue de tous est le prix Henry Hub, véritable base d’échange du gaz produit localement ou importé du Canada. De plus, la grande nouvelle outre-Atlantique reste l’exploitation possible de gisements de gaz de schiste que l’on obtient grâce à de nouvelles techniques (forage horizontal, fragmentation hydraulique, pilotage à distance en 3D) à des profondeurs jusqu’à 4.000 mètres. Toutefois le prix du gaz sur le marché américain flirte avec le point mort des gaz de schiste. Mais, aux Etats-Unis, les propriétaires des sols riches de gaz sont aussi les propriétaires des sous-sols et reçoivent une rente de 20% des quantités produites ; l’opérateur, quant à lui, arrêtera difficilement un puits qu’il aura financé par endettement.
Les quantités de gaz de schiste dans le monde sont qualifiées de pléthoriques. Equilibrons cette information pour trois raisons : c’est une bonne chose, cela érodera l’hystérie entourant parfois cette ressource ; l’exploitation de gaz de schiste n’est pas écologiquement neutre et se fera avec difficulté en Europe (voir Le divorce à l’italienne du pétrole et du gaz non-conventionnel) ; cela serait une bénédiction pour l’empreinte CO² de ces pays si le charbon consommé aux USA mais encore plus en Chine pouvait être remplacé par du gaz naturel. L’économie de pollution serait de l’ordre de 50% à 60%.

Vous le comprenez : il n’existe pas un marché du gaz mais des marchés du gaz.
Nous en avons déjà trois (long terme, spot Europe, spot USA) sans compter les asiatiques.

Les uns ne communiquent parfois pas avec les autres car le transport est une caractéristique fondamentale du gaz, parfois un handicap. Les gazoducs qui relient le producteur au consommateur ne font pas le tour du globe loin s’en faut. Par exemple, en Europe, l’Espagne et la France développent une interconnexion pour que le nord de l’Europe communique avec l’Espagne très dépendante du gazoduc algérien qui l’approvisionne à hauteur d’environ 35% de sa demande. Le reste de l’Europe est aussi dépendante du gaz algérien, et norvégien qui représente 30% de la consommation à égalité avec la Russie. Le reste, 40%, vient de la mer du Nord et du gaz naturel liquéfié (GNL). C’est ce dernier qui fait l’équilibre entre nos marchés américain européen et asiatique.

A l’inverse d’un gazoduc, un bateau de GNL partant du Qatar, Oman, Nigéria, Indonésie, Yémen, Pérou prendra rapidement le cap du meilleur marché. Le navire s’orientera vers le meilleur prix qu’il soit un contrat à long terme ou bien un marché spot. Par exemple, l’apparition de gaz de schiste aux Etats-Unis et au Canada provoque un détournement des cargaisons de GNL vendues sous contrat à long terme aux Etats-Unis vers les marchés spot européens (NBP). Si ces derniers payent une prime (un supplément de prix) par rapport au marché spot américain (HH), alors elle sera partagée entre le producteur de GNL et l’importateur américain qui a accepté de se fournir localement. Mais l’écart entre les marchés spot présentera parfois des anomalies, des divergences lorsque, par exemple, un pays comme le Qatar décide de réduire sa production de GNL pour effectuer de la maintenance.

J’ai été un peu long et pourtant incomplet tant ce marché est passionnant et tant il y aurait à dire, par exemple sur les marchés des transports ou du stockage.

L’intérêt pour vous est de comprendre si le prix payé en France et le prix du marché international sont éloignés ou bien proches l’un de l’autre ?
Chère Andrée et chère Camille, fidèles lectrices, vous lisez une consommation au compteur exprimé en M3 qui sera à multiplier par un coefficient thermique multiplicateur puis par un prix du gaz en c€/Kwh. Patatra.

Le prix du gaz est régulé en France et il baisse et augmente en fonction d’une formule publiée dans la note de la CRE datée du 11 mars 2009. Elle n’est pas basée sur le coût réel de tous les approvisionnements mondiaux de GDF SUEZ, heureusement, mais elle « fournit une approximation correcte des coûts d’approvisionnement de GDF SUEZ sur le marché français ». Elle permet de faire varier le prix du gaz d’un trimestre à l’autre. Elle « compte les coûts supportés par l’opérateur, à savoir les coûts d’approvisionnement, d’acheminement, de stockage et de commercialisation », donc le prix de la molécule de gaz est basé sur les hydrocarbures, auquel s’ajoutent le transport, l’entretien et la marge du distributeur.

Variation indice de prix : 1,3107 × ΔI1 + 0,01988× ΔI2 + 0,02652 × ΔI3 + 0,06206 × ΔI4

I1 = moyenne du taux de change moyen mensuel du dollar en euro
I2 = moyenne du cours moyen mensuel du fioul domestique FOD (< 0,1% de soufre) FOB
Barge Rotterdam en euro par tonne
I3 = moyenne du cours moyen mensuel du fioul lourd BTS (< 1% de soufre) FOB Barge
Rotterdam en euro par tonne
I4 = moyenne du cours moyen mensuel du pétrole brut Brent en euro par baril

Le prix que vous payez est lissé et il change chaque trimestre. Pour les consommateurs, l’évolution des prix est lissée, écrêtée, et l’augmentation/diminution des prix du gaz que vous constatez en juillet, aout, septembre correspond à l’augmentation/diminution de cette formule sur les six mois précédents plus un mois (décembre jusqu’à mai), le mois de juin ne compte pas. Ce dernier mois, juin, sera inclus dans le semestre suivant (mars-août) et comptera pour la facturation d’octobre à décembre, etc. (Voir le graphique ci dessous) Tarifs en distribution publique de GDF SUEZ au 1er avril 2010

image: http://blogs.lesechos.fr/local/cache-vignettes/L150xH115/djulienne_230610_2-d0127-245e3.jpg?1378815395

JPEG - 92.1 ko

Le prix régulé français est-il exactement parallèle au prix du gaz spot sur les marchés internationaux ? Par définition non. Répétons-le, il est basé sur les prix du pétrole et du fioul. De plus, comment un prix pourrait-il être parfaitement parallèle avec quatre autres prix (en comptant le GNL) ayant chacun une vie propre différente des prix du pétrole ? Si le prix spot devient durablement plus bas que le prix du gaz des contrats à long terme, les distributeurs seront tentés de s’y approvisionner. Un fournisseur peut adapter ses approvisionnements et ses prix de vente pour y incorporer une proportion de prix spot, celui qui se trouve être en ce moment inférieur au prix long terme. Et rien n’empêche un distributeur d’offrir du gaz à un prix inférieur au prix régulé si, par exemple, il se fournit ou arbitre ses positions sur le marché spot lorsque ce prix est durablement moins élevé que le prix à long terme.

Naturellement toute amélioration des prix peut être annihilée par un taux de change euro/dollar défavorable.
C’est le travail de la CRE que de vérifier que la formule d’évolution du prix millésimée 2009 n’est pas obsolète dans les nouvelles conditions de marché de 2010. En effet, le 11 mars 2009 la CRE indiquait que la formule « fera l’objet d’un nouvel audit par la CRE d’ici un an afin de tester sa robustesse dans l’environnement actuel de cours pétroliers bas ».

Autre possibilité : la souplesse de certains contrats, russes notamment, que le jargon appelle « take or pay ». Le producteur de gaz est payé mais il accepte de reporter des livraisons de gaz jusqu’à cinq ans. Cette disposition était destinée à tenir compte d’une baisse de consommation, notamment en cas de crise économique, d’un hiver moins froid… Cours du Brent (gauche), cours du gaz naturel spot Europe et Etats-Unis (droite)

image: http://blogs.lesechos.fr/local/cache-vignettes/L150xH93/djulienne_230610_4jpg-7034f-25148.jpg?1378815396

JPEG - 105.6 ko

Allons plus loin, la médaille a- t-elle un revers ? Le gaz naturel sur le marché européen évoluait récemment entre 1,5 et 2 c€/Kwh au spot, environ la moitié d’un prix régulé des contrats à long terme (voir le graphique ci-dessus). Si les prix du gaz à long terme ne sont plus calculés sur le prix du Brent et du fioul mais en toute indépendance sur les seuls prix des marchés du gaz européen par exemple, imaginons quelques conséquences possibles.


–  Les prix actuels spot sont moins élevés que les prix long terme. Ils ont une faible valeur car la sécurité d’approvisionnement se joue ailleurs. Si les contrats à long terme actuels n’existent plus tels quels et que la sécurité d’approvisionnement devient ancrée sur ces marchés spot, comment les prix tiendront-ils compte de ces enjeux ?
–  La création d’une OPEG (l’OPEP du gaz) deviendrait sans doute réalité pour réguler le prix spot (comme l’OPEP pour le pétrole) ;
–  Le marché du gaz n’échapperait pas à différentes cotations internationales à Moscou, à Alger, au Qatar, en fonction par exemple de sa qualité ;
–  Ne serait-il pas cohérent d’avoir un large marché du gaz paneuropéen coté en €/M3 ?
–  Si les vendeurs vont tous se fournir sur le marché spot, n’aura-t-il pas tendance à subir des flux déconnectés des marchés physiques ?

Cette situation fait cruellement penser au minerai de fer et à la boîte de pandore maladroitement ouverte sur les prix, au plus fort de la crise, par qui sait-on. Sa grande volatilité provoque à présent des remises en cause stratégiques dans le domaine de la fabrication des aciers.
Un abandon de l’ancienne formule, si elle est souhaitée, concertée, doit apporter une plus grande transparence des prix pour le consommateur sans renier sur la sécurité des prix.

Le calcul du coefficient thermique multiplicateur.

Le calcul du coefficient thermique multiplicateur qui permet de transformer les M3 en Kwh est lui aussi complexe. Il reflète les coûts des conditions de transports, des mises sous pression et de la distribution. Le rapport d’activité de la CRE du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008 page 99 indique entre autres : (cliquez pour agrandir). Calcul du coefficient thermique multiplicateur

image: http://blogs.lesechos.fr/local/cache-vignettes/L150xH41/djulienne_230610-e2854-75232.jpg?1378815396

JPEG - 26.1 ko

Le site internet du Gaz de Bordeaux renseigne sur Qu’est-ce que le coefficient de conversion. Il dépend des facteurs suivants : la qualité du gaz, son origine, les conditions de livraison et aboutit à la formule : PCS x 273.15 x (1013 + 20) ========================== (273.15 + T°) x 1013

PCS = Pouvoir Calorique Supérieur = qualité du gaz fournie par le transporteur
273.15 = température en Kelvin = 0 degré Celsius
1013 = pression atmosphérique au niveau de la mer (le cas de Bordeaux)
20 = pression en millibars à laquelle le gaz est livré chez un particulier
T° = Température à 1 mètre sous le sol fournie par Météo France

L’acheminement, le transport, la distribution et le stockage ne sont pas des métiers qui s’improvisent. Ils ne peuvent être confiés qu’aux experts, sécurité et sûreté obligent. Cependant, peut être n’y a-t-il pas assez de concurrence dans ces domaines ? Ne faut-il pas voir d’un bon œil les nouveaux entrants comme, par exemple, l’annonce dans le bulletin de l’industrie pétrolière du 14 juin 2010 d’une alliance EDF-Gazprom dans le domaine du stockage ?

Conclusion.
L’image du gaz n’est pas excellente à l’inverse d’autres matières premières. L’or, par exemple, bénéficie d’une excellente image ; son prix côté mondialement et transparent est reconnu de tous et utilisé par tous : de l’orpailleur africain, chinois ou bien sud-américain, de la multinationale jusqu’au particulier qui achète un lingot.

Cette mauvaise image est regrettable car les marchés internationaux du gaz fonctionnent bien, avec de nombreux fournisseurs. De plus, le gaz naturel augmente dans le concert énergétique mondial pour deux raisons : il est écologiquement moins coûteux que le pétrole et le charbon ; les quantités se déversant sur les marchés sont en augmentation, son prix doit rester compétitif.

En France, le prix est régulé grâce à deux formules et cependant vous perdez confiance en votre facture. Quels sont les choix qui s’ouvrent à vous : vous attendez l’image du gaz s’améliore grâce aux actions notamment d’Eurogas, vous faites jouer la concurrence entre les distributeurs, ou bien… vous changez d’énergie, mais c’est un autre problème !
Publié dans Les Échos le 24 06 2010