RDC : le cobalt sera-t-il le casse du siècle ?

In Les Échos, le 09 01 2019

La République Démocratique du Congo n’a jamais connu un transfert démocratique du pouvoir présidentiel, d’une personnalité politique à une autre. À ce titre le résultat de l’élection du 30 décembre 2018 est important pour le pays, il sera un exemple pour ses voisins et une nouvelle donne africaine pour la communauté internationale. Ce résultat sera également important pour l’avenir du cobalt et il est opportun d’observer les baromètres de ce marché.

La production mondiale de cobalt est légèrement supérieure à 120 000 t. Aux alentours de 95 % proviennent des méga-mines internationales de cuivre et de nickel réparties à la surface du globe, dont environ 75 000 tonnes sont produites par les mines industrielles de RDC. Le solde, environ 5 %, provient de l’artisanat minier. La demande est orientée vers les batteries, mais avec une écoconception et une substitution qui sont déjà très actives.

Le premier baromètre à observer serait une remise en cause profonde de la production industrielle des 75 000 tonnes congolaise à l’occasion du résultat électoral. Cependant, que le transfert du pouvoir obéisse aux règles démocratiques ou pas, le risque d’un renversement de la tendance de fond de la production actuelle est peu élevé. Dans un cas comme dans l’autre, des groupes miniers continueront de produire du cobalt entre Kolwezi et Lubumbashi, et ce dernier continuera d’être exporté vers la Chine. Celle-ci continuera de mettre en œuvre notre concept de « consommation compétitive », elle dispose d’une stratégie éprouvée et bien connue d’achat bon marché, et restera au poste de premier consommateur mondial de cobalt sans aucun concurrent de taille pendant plusieurs années.

Le deuxième baromètre très attendu peut en revanche être celui de l’amélioration de l’artisanat minier dans les deux provinces du Lualaba et du haut Katanga. Certes, son volume est marginal rapporté au marché mondial, d’autant plus qu’il baisse avec l’affaissement des cours, mais il peut contribuer à réduire la pauvreté à deux conditions. D’une part l’artisanat minier doit contrôler le coût de la tutelle internationale du « charity business ». Il doit d’autre part s’affranchir de son face à face avec les négociants illégaux asiatiques en s’intégrant dans la démarche vertueuse des centres officiels de négoce industriel pointé ici Cobalt humanitaire). Mais c’est au nouveau et prochain gouvernement de les mettre en place.

En un mot, l’artisanat minier du cobalt aura avantage à prendre exemple sur la réforme de l’or artisanal organisée par le mouvement de la mine responsable décrit ici. Évidemment, c’est moins glamour que la lecture d’un fake-book à propos d’une Chine belliqueuse et des métaux Hi-Tech, mais beaucoup plus efficace.

Un troisième baromètre est l’inattendu. Au surlendemain de l’élection présidentielle, le Financial Time publiait le 1er janvier 2019 que le célèbre ancien « Navy SEALs », Erik Prince, avait l’intention de monter un fonds de 500 M$ pour acquérir des projets miniers spécialisés dans les métaux de la voiture électrique : cobalt, lithium, nickel, cuivre. Nous serions tentés de dire : « Géologues de tous les pays, votre fortune est fléchée ». Monsieur Prince revendra à la Chine son fonds après 4-5 ans. En RDC il devrait investir dans des projets miniers de cuivre et cobalt.

Plusieurs interrogations émergent cependant. Ce fonds pourrait-il devenir une sorte de métaphore d’excès oligarchiques tels que ceux rencontrés dans les ressources naturelles au cours de l’ère Eltsine dans la Russie post-soviétique ? Ce fonds a-t-il vraiment une stratégie d’entrée dans le marché ou bien est-ce une politique déguisée de sortie : des projets (qui soudainement coûtent beaucoup plus cher depuis le 1er janvier) ayant déjà l’éligibilité pour devenir chinois utiliseraient-ils rapidement le fonds, plutôt que d’y voir entrer plus tard des projets en phase d’exploration ?

Le dernier baromètre est le prix

Prenons l’exemple de la société d’investissement Cobalt 27 Capital Corp. Coté sous ce nouveau nom à la bourse de Toronto depuis le 6 avril 2017, Cobalt 27, est un fonds d’investissement spécialisé dans le cobalt.

La société finance des flux et de futures productions minières notamment au Canada, en Australie, en Papouasie Nouvelle-Guinée. Elle en recevra des royalties et/ou des flux de cobalt afin de commercialiser elle-même le métal. De plus, elle annonce détenir 2905,7 tonnes de cobalt en chambre forte — dont une partie provenait peut-être de RDC — à la suite de notamment deux achats : 2160,9 tonnes (180,3 M$) en avril 2017, puis 720 tonnes fin 2017 (58 M$).

Bien évidemment, compte tenu de l’évolution des prix il n’est pas inintéressant de calculer le coût d’acquisition de ces près de 3000 tonnes, puis de le comparer au prix spot actuel. Depuis son zénith de mars 2017 à 95 500 $/t, le cobalt a récemment chuté à 42 000 $/t. Sa courbe en cloche n’incite pas à envisager une hausse des prix.

Le modèle de Cobalt27 est autant percutant que simplissime, certes. Mais la partie compliquée commence lorsque « le plein de cobalt » est fait. Puis qu’il s’agit de l’écouler en se frottant à la concurrence, à la substitution, aux hausses et aux baisses de prix. Comme pour le palladium dans les années 90, le nickel dans les années 2006-2007, les terres rares dans les années 2010-2012, les conséquences font partie du déjà-vu.

Il ne semble pas que les quatre baromètres du cobalt anticipent une tension immédiate du marché. Au contraire, il ressemble plutôt à un marché qui, pour l’instant, aurait déjà été le casse du siècle.