Invité à écouter Nouriel Roubini j’engageais, juste avant ce déjeuner et par hasard, une conversation avec le Président de la région de Kidal (nord-est du Mali), Abdou Salam Ag Assalatt, et, le même jour je recevais et finissais le dernier livre Jean Pierre Boris « main basse sur le riz ». Pourquoi soudainement ces rencontres se sont-elles révélées cohérentes entre elles ?
Nouriel Roubini. S’il est positif sur une débâcle grecque qui s’accompagnera nécessairement d’un affaiblissement de l’Euro il évalue dans le même temps les arguments (to small to fail) qui éviteront les faillites en chaine (Italie, Espagne, Portugal) ; sans pour autant conclure définitivement sur les réussites de ces prescriptions. Mais il ne se projette pas au-delà du pire. En effet, la situation post-faillite grecque n’est pas encore évaluée. Qui perdrait et combien ? et les chemins de la renaissance non plus. Curieusement les exemples de banqueroute réussie, si j’ose dire, abondent tout autant que les désastres mais aucun prédicateurs n’osent rattacher la Grèce à au premier ou bien au second groupe. Ces sentiments hésitants entre rationalité économique et décision émotionnelle (la confiance sur la dette américaine ?) ont créé la bulle de l’or via notamment les outils ETF.
Abdou Salam Ag Assalatt. Le président de l’assemblée générale de la région frontalière du nord-est du Mali, la région de Kidal, avait une vision tout autant documentée sur la situation critique non pas grecque mais sur les 120 000 personnes et 2.6 millions de tête de bétail qui habitent son territoire grand comme la moitié de la France métropolitaine. Sur ces 2.6 millions il est espéré, cette année, en sauver 10% de la sécheresse. Le reste, 90%, disparaitra par manque de fourrage lié à l’absence de pluie. Ce bétail permet pourtant à la région de se nourrir et de commercialiser contre du riz et autres céréales. Mais lorsqu’il fallait une bête bien portante pour acquérir un quintal de semoule de blé, il en faut 10 amaigries aujourd’hui. La région espère des fonds pour acheminer de la nourriture -du riz-, de l’eau et des soins.
Jean Pierre Boris. L’écrivain publie « main basse sur le riz », et l’évènement est son film éponyme à voir sur Arte le 13 avril. Son livre est un voyage complet sur la planète riz. Haïti, Indonésie, Sénégal, Bangkok ; producteurs, négociants, transporteurs, consommateurs, états. Tout le monde y passe. La Thaïlande, l’Inde et le Vietnam exportent ; l’Afrique, la Chine, l’Indonésie, les Philippines importent ; les sociétés de négoce en Suisse sont au milieu. Le Mali a tenté une politique d’autosuffisance du riz pour la récolte 2009 mais n’a pas réussi à éliminer totalement ses importations. L’Indonésie tente le même défi mais sa croissance démographique grignote les terres cultivables et les deux facteurs repoussent d’autant le seuil de l’autosuffisance. In Fine, l’auteur pose la question du stratège : si une vraie crise alimentaire surgit à qui les producteurs de riz asiatiques vendront-ils leurs récoltes, au partenaire asiatiques ou à l’Afrique ? Le riz nourri un humain sur deux « Le riz c’est parfois de l’or, le riz c’est la vie ».
Ces trois experts dans la même pièce concluraient sans doute que l’or et l’argent immobilisés par la crise financière de 2008-2009 et à présent par la peur des dettes souveraines font défaut à l’acheminement du riz et autres besoins alimentaires au bon moment au bon endroit à Kidal.
Le pire n’est jamais certain mais chacun s’y prépare avec ses moyens comme le relate une dépêche de Reuters révélant l’accord entre le Vietnam (2ème exportateur mondial de riz) et l’Arabie Saoudite (5ème importateur de riz). Le premier loue ses terres rizicoles d’or blanc au second qui investira dans 2 nouvelles raffineries d’or noir en péninsule indochinoise.
Publié dans Les Échos le 12 04 2010