In La Tribune 29/10/2019
Deux promesses de Boris Johnson n’auront pas été tenues : il n’ira pas mourir dans un fossé bien que l’Europe ait commis l’erreur magistrale d’accorder à Londres un nouveau et long report puisque Londres n’aura pas tenu la seconde promesse d’un Brexit au 31 octobre 2019. Les grandes tragédies shakespeariennes inspirées de la trahison doivent probablement être étudiées dans les Public Schools.
Rappelez-vous cependant les trente importantes secondes de la déclaration de Boris Johnson le 17 octobre 2019 à Bruxelles, lorsqu’il annonçait l’accord du Brexit : « L’accord signifie que le Royaume-Uni quitte en totalité et entièrement le 31 octobre, et l’Irlande du Nord et toutes les autres parties du Royaume-Uni peuvent prendre part non seulement a des accords commerciaux, décider de nos tarifs douaniers et exporter nos marchandises dans le monde, mais il signifie aussi que nous pouvons prendre ensemble en un unique Royaume-Uni des décisions à propos notre futur, nos lois, nos frontières notre monnaie et comment nous voulons diriger le Royaume-Uni ».
Autre lieu et à propos du même accord, la déclaration du député écossais Ian Blackford le 19 octobre à Westminster : « l’Irlande du Nord dispose d’un arrangement spécial pour rester dans le marché unique européen et l’union douanière et le Premier ministre ne donnera pas le même arrangement à l’Écosse ».
En résumé, la mutinerie gronde et le capitaine Johnson s’est trop hâtivement réjoui que l’équipage britannique largue les amarres en un seul royaume. En d’autres termes, le parfum du Brexit est le même que celui du Scoxit, le prochain référendum qui détachera l’Écosse du Royaume-désuni.
Une Écosse trahie est-elle une Écosse indépendante, mais européenne ?
En 2014, lors d’une référendum, l’Écosse avait refusé par 55,3 % de rompre le contrat signé avec Royaume Uni en 1707 – l’Acte d’Union -, notamment parce que Londres s’était engagé à rester dans l’Union européenne. Par le référendum de 2016, cette promesse devint un faux serment, et une raison supplémentaire pour Édimbourg de se délier de Londres. Le Scoxit, c’est cette rupture de contrat : l’Écosse désirait conserver l’Union européenne, elle la perd, le Brexit, c’est Macbeth habillé de toutes les trahisons qui rôde dans la chambre de Duncan.
Certes, des intérêts géopolitiques extra-européens trouveront de l’intérêt à prendre de vieilles revanches sur l’Angleterre en faisant éclater le Royaume-Uni façon puzzle, mais une Écosse indépendante de Londres serait-elle dangereuse ? Vu de Bruxelles, la situation d’Édimbourg est à l’inverse de Barcelone. Il n’y a pas de violences à Glasgow et Madrid n’a jamais ni désiré ni voté pour sortir de l’Union européenne. D’ailleurs, aucun autre pays de l’UE ne cumule l’envie d’un article 50 et des provinces autonomes agitées.
Mais si ce territoire devenu isolé portait le risque de devenir une source d’instabilité, ne vaudrait-il pas mieux que Bruxelles le replace rapidement dans son orbite ? Après tout, l’Écosse est deux fois et demie plus étendue que la Belgique , ses 5,5 millions d’habitants sont deux fois plus nombreux que les Lituaniens, près de trois fois plus que les Lettons et quatre fois plus que les Estoniens . Son PIB global vaut celui du Danemark, et il est égal, par habitant, à celui de la Finlande et supérieur à celui de la France. Le pays est rompu aux débats de l’Union européenne, il a déjà eu un commissaire européen, Bruce Milan (1989-1995), et il dispose de députés européens. Si l’Écosse proposait sa candidature en tant qu’État, elle cocherait plus rapidement toutes les cases qu’un pays des Balkans.
Brexit ou pas, le schisme est là
Que le Brexit ait lieu, à l’issue des élections législatives de décembre, ou pas, en cas de second référendum favorable à l’Europe, l’issue de l’un ou l’autre de ces deux évènements engendrera encore longtemps des querelles aux limites infinies. Elles sont illustrées par l’affligeant spectacle sans fair-play à Westminster : tous les hourvaris sont permis, les membres du parlement s’y poignardent comme jamais et détruisent avec folie leurs chenilles tout en raffolant des papillons. Ce faisant, ces empoignades prolongent l’éclatement d’un royaume habité de provinces qui s’opposent, de générations qui se détestent et de familles écœurées et divisées pour au moins une génération.
C’est pourquoi, du côté de l’Écosse, la question ne sera plus de savoir, comme c’était le cas en 2014, si les revenus du pétrole suffisaient à assurer une indépendance écossaise, mais plutôt d’accepter qu’à la manière de Shakespeare l’indépendance se suffira des revenus du pétrole, des énergies renouvelables, du saumon, du whisky, du tourisme… En outre, la forte diaspora écossaise est sans doute autant effrayée que les autres Britanniques de l’avenir assombri d’un royaume sans perspective. Si ces Ecossais-là rentrent chez eux, ils apporteront à l’Écosse un dynamisme supplémentaire. C’est peut-être un signal faible mais on constate déjà que le marché de l’immobilier de Londres se dégrade alors que ceux de Glasgow et d’Édimbourg montent.
En cas de Scoxit, acceptons que l’Écosse revienne dans la maison Europe car, contrairement à l’infox, l’Union européenne c’est bien la paix depuis sa création, et c’est toujours la paix, sauf pour ceux qui la quittent!