In Les Échos le 22 03 2016
À Salau, dans le Couserans, l’heure du renouveau minier est-elle arrivée sur l’ancienne mine de tungstène?
Étymologiquement le nom Ariège se rapproche d’une antique coutume minière, des écrits sur les mines du Couserans datent de 1483 lorsqu’elles furent concédées par Charles VIII. Fidèle à cette tradition, en 2016, l’Ariège souhaite ranimer l’exploration minière autour de l’ancienne mine de tungstène de Salau. Ce souhait, un évènement en France, se matérialisait le 18 mars 2016, un vendredi soir, dans la salle omnisport de Saint-Girons où près de 1000 personnes se réunissaient pour s’informer sur l’exploration minière autour d’une association locale ariégeoise de bénévoles nommée PPERMS, « Pour le Projet d’Étude et de Recherche de la Mine de Salau ». La réussite de cette réunion est un exploit dans une vallée de 3500 âmes ; c’est un exploit en France car cette soirée n’était ni organisée par les services de l’état (il est normal que l’État n’aiguillonne ni ne précède des citoyens qui se prennent en main), ni par des élus (la mairie de Saint Giron fit payer la salle omnisport 1000€ et les chaises 0.65€ l’unité), ni par un parti politique mais par des bénévoles ; c’est un exploit car un vendredi soir on y discuta sciences, médecine et géologie.
En partant de zéro il y a quelques semaines, PPERMS était capable le 18 mars d’offrir à la population une information de première main sur les potentiels futurs nouveaux emplois dans la vallée ; une information qui démontre qu’il existe en France une géologie riche, d’un niveau mondial, souvent ignorée ou abandonnée et capable d’assurer l’indépendance minérale de filières industrielles françaises voire européennes ; et donc une information de première main sur l’évaluation d’un gisement de tungstène géant à l’échelle de la planète ; taille capable de propulser la vallée du Couserans dans le domaine minier à la même place que la région de Toulouse dans l’aérospatial mondial.
PPERMS a cette particularité d’être une « association pour quelque chose » et non pas une « association contre quelque chose animée par des antitout » comme cela fut encore récemment le cas dans la vallée du Couserans au village de Camarade sur le thème des énergies. Cela fait son succès, PPERMS est aujourd’hui forte de près de 800 adhérents, et sa pétition est proche des 2000 signataires. Tout le monde s’y retrouve car ils sont tous du pays : infirmières, commerçants, ouvriers de la papeterie, agriculteurs, artisans, enseignants, le club de pétanque, employés municipaux, chasseurs, pharmaciens, médecins, garagistes, pompistes, étudiants, le rugby…. La vallée n’a pas perdu espoir, elle est favorable au permis d’exploration pour savoir, et ensuite et seulement ensuite pour prendre la meilleure décision possible pour les générations futures. Le 18 mars 2016, les ariégeois se sont donc réveillés.
Toutefois, PPERMS relève un curieux paradoxe : des « gens d’ailleurs ne veulent pas ce qu’une majorité de gens d’ici voudrait bien ». D’aucuns s’opposent à cette exploration pour diverses raisons : les touristes et des retraités du nord de l’Europe en villégiature saisonnière ne souhaiteraient pas d’activité industrielle autour de chez eux ; l’agropastoralisme s’inquiète ; des adeptes d’économies « stupéfiantes » craignent une perturbation des territoires et de leurs plantations. PPERMS ne s’oppose pas au scepticisme puisqu’elle veut savoir ; mais souhaite au contraire voire les énergies se combiner plutôt que de s’opposer.
L’un des thèmes de la réunion concentra toutes les attentions : l’amiante. L’amiante est un enfer blanc, son exploitation et son industrialisation sont éminemment dangereuses. Si la médecine identifie des maladies liées à des particules, contrairement à la rumeur, la géologie n’a pas décelé d’amiante à Salau.
Le 18 mars 2016 à Saint-Girons, l’ancien
médecin-conseil de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, spécialiste
de la réparation du dommage corporel et de la protection sociale,
Jean-Louis Causse, en poste en Ariège de 1993 à 2002, révélait que sur
près de 700 personnes qui travaillèrent à la mine entre le début des
années 1960 et 1986, 10 mineurs furent reconnus, par l’intermédiaire de
la Société de Secours Minier de Saint-Gaudens, atteints d’une maladie
professionnelle relevant du tableau 30 (6 furent qualifiés d’asbestose ;
deux furent diagnostiqués d’asbestose plus silicose, deux furent
diagnostiqués cancéreux bronco-pulmonaire.) Sur ces 10 mineurs, 9 furent
potentiellement contaminés avant de travailler à Salau. En effet, avant
de migrer dans le Couserans, ils travaillèrent l’un 11 ans, l’autre 15
ans, 13 ans,… etc, dans d’autres carrières et mines où silice et amiante
étaient présentes (houillères, fer, plomb…) en Lorraine, dans le Nord,
dans le Pas de Calais, en Normandie, etc. Il est donc impossible
d’affirmer qu’ils furent essentiellement contaminés par leur travail
dans la mine de Salau. Le dixième aurait également connut une activité
dans les minéraux avant de travailler à la mine. Et comme souvent à
cette époque, c’était une population de fumeurs.
En contraste de ces dix sur près de 700, les anciens mineurs de Salau
étaient nombreux dans la salle. Des jeunes largement plus âgés que 70
ans, heureux de se retrouver près de 30 ans après le funeste 24 décembre
1986. Si nombreux et en pleine santé qu’ils ont décidé de fonder un
club des anciens de Salau. Ce collectif a des souvenirs si précis qu’il
sera hautement utile aux éclaireurs qui seront chargés des probables
premiers pas si les galeries de la mine sont rouvertes.
Après la médecine on discuta géologie. De ce point de vue il n’y a pas d’amiante naturelle (forme fibreuse, flexible, tissable) à Salau, c’est l’inverse de par exemple l’amiante montrée au public le 18 mars et provenant de Madagascar, de celle de la ville d’Asbestos au Canada ou bien de celle la mine d’amiante de Canari en Corse utilisée notamment à Eternit. Chercher de l’amiante à Salau c’est comme chercher des glaçons dans une chaudière. Depuis plus de 40 ans, aucun géologue, pétrographe, thésard, ingénieur minier n’ont apporté l’évidence de la présence d’amiante. Une absence confirmée notamment par les travaux suivants.
• Une thèse de troisième cycle en 1974 de l’université Paris VI : Charuau D;
• Une deuxième thèse de docteur ingénieur en 1977 de l’école des mines de Paris : Soler P;
• Une troisième thèse de docteur ingénieur en 1982 de l’école des mines de Saint-Etienne : Kaelin J.L;
• Une quatrième thèse de doctorat d’état de Colette Derré en 1983 ;
• Une cinquième thèse de docteur d’université en 1987 de l’université de Pierre et Marie Curie : Lecouffe J. ;
• Une sixième thèse de docteur d’université en 1987 de l’université de Pierre et Marie Curie : Zahm A. ;
• Des analyses de l’Osuc de l’Université d’Orléans et analyses de l’ISTEP de Paris IV-Sorbonne- Pierre et Marie Curie-CNRS réalisées en 2015 à partir des haldes puisque la mine souterraine est actuellement inaccessible.
Seul un célèbre ingénieur chimiste mentionna
le mot d’amiante. Toxicologue et directeur de recherche au CNRS de
l’Université Paris XIII, Henri Pezerat combattit courageusement contre
l’amiante et notamment la situation de Jussieu. En vacances dans la
région l’été 1985, il résumait des observations dans sa note du 8
janvier 1986, notamment page 3 : « les « filons d’amiante » sont rares à
Salau », puis « il est vrai, comme le dit le directeur de la mine qu’il
n’existe pas beaucoup de « filons d’amiante » à Salau », en conclusion
page 11 « l’examen des échantillons de roche et des échantillons de
poussière provenant de la mine de Salau ne laisse aucun doute : la
présence d’actinolite dans cette mine est un phénomène général qui ne
peut être confondu avec la présence beaucoup plus rare de fibres
d’amiante en grandes fibres ».
Ces observations de l’époque étaient notamment basées sur les travaux
de Mme Derré (thèse d’état ci-dessus) et M Pezerat y faisait référence
dans sa note la qualifiant de « la spécialiste reconnue puisqu’elle a
consacré à la mine de Salau sa thèse de doctorat de 3ème cycle, puis sa
thèse de doctorat d’état. »
Depuis cette note de 1986 la science et la règlementation ont
considérablement progressées, tout comme les conditions de travail et
les technologies. Avec un masque, l’air risque d’être plus pur dans la
mine qu’à l’extérieur. En outre, il était montré à la vue de tous à
Saint-Girons et à l’air libre un morceau d’amphibole. Chacun pouvait le
toucher ou le « respirer ». Classer des actinotes appartenant au groupe
des amphiboles comme de l’amiante reviendrait à assimiler sans aucun
discernement par exemple tous les champignons comme amanite phalloïde,
tous les liquides comme acide nitrique ou bien tous les vents et nuages
comme ouragans.
Il n’y pas d’opposition entre médecine et géologie mais complémentarité : l’amiante peut ne pas signifier pas les mêmes choses dans les deux sciences ; d’un côté une formation géologique très particulière, de l’autre des particules dangereuses dont les caractéristiques évoluent avec la réglementation. Mais il existe d’autres particules également dangereuses provenant de différentes activités naturelles (éruption volcanique, feux de forêts) et d’activités humaines : manipulation de farine, épandage agricole, chauffage au bois, trafic routier, carrière d’ardoise, broyage de roche. Un mineur ayant auparavant travaillé dans une usine de farine sans sécurité pourra être plus contaminé par le premier emploi que par le second.
Le 18 mars des énergies se sont mélangées dans la vallée du Couserans car elles ont compris qu’il y a une place pour chacun : tourisme, industrie, agropastoralisme… ; elle ont compris que la patience scientifique objective détruit les peurs, apaise les tensions, dépassionne l’irrationnel, révèle les faits et la vérité ; et enfin, que la première phase de l’exploration consistera évidemment à faire un état des lieux de l’ancienne mine et notamment sur l’actinote, puis à notamment évaluer l’immense taille du gisement de métaux stratégiques indispensables à nos objectifs énergétiques et environnementaux tels que ceux de la COP21.