Outre l’écologique, l’autre vainqueur de la transition énergétique est le trading de l’électricité.
Certains pays s’interrogent rarement sur la nature de leur production électrique parce qu’elle est hydroélectrique (Nouvelle Zélande, Québec), ou bien la question sème la zizanie (charbon en Australie), parce qu’elle est inutile (le Parti décide en Chine), parce qu’elle n’a pas de réponse (dépendance du gaz étranger),… Mais puisqu’au moins un pays s’interroge constamment, avant d’aller plus loin, il serait urgent que le lecteur prenne deux minutes pour lire cette très courte épopée des Énerjix en introduction de la question subséquente, celle du trading sur le marché de l’électricité.
Un marché aux certitudes fragiles.
Première certitude, la production d’électricité peut être omniprésente : l’eau des barrages, le nucléaire, le vent, les hydrocarbures, la biomasse, la lumière… chacun engendre une électricité qui peut être saisonnière ou au contraire permanente. À l’échelle humaine, la production électrique a pour seule limite la disponibilité des métaux nécessaires à sa production, son transport, sa transmission, sa distribution, son stockage et sa consommation. La disponibilité de ces métaux a des limites géologiques, économiques et techniques. Toutes ces options ont un coût indépendant de celles des technologies voisines, certaines plus coûteuses que d’autres appellent des subventions. Diminuer une production impose d’en augmenter une autre que l’on attend tout autant avantageuse. Est-ce le cas ?
Deuxième certitude, la consommation est croissante. En plus des 1,2 milliard de terriens qui ne sont pas encore reliés à l’électricité, la demande électrique augmente avec notre démographie mondiale ascendante à laquelle s’ajoute la demande grandissante provenant d’innovations électriques (électronique, réalité virtuelle) et celle liée aux substitutions (charbon-gaz-pétrole et motorisation électrique),… En montagne, au passage d’un col surgit le sommet suivant. Dans l’énergie au passage du pic pétrolier — celui de l’offre ou de la demande — surgit le pic électrique. Sommet invisible dans les nuages des futures consommations électriques. Le progrès, ici comme ailleurs, n’est pas une erreur en mouvement et cette demande électrique ne diminuera qu’avec le progrès, sera-t-il accepté ?
Troisième certitude, au sein d’une même zone, par exemple l’Europe, des pays régulent le prix de l’électricité au consommateur. Il ne change pas chaque jour comme l’or, ou chaque semaine comme l’essence. Mais d’autres pays ont libéré les prix de l’électricité avec pour conséquences inattendues des prix de détail ressentis comme « injustes » et la re-régulation y devient l’objet de promesses électorales (législative britanniques juin 2017).
Quatrième certitude, à la différence d’autres ressources il n’existe pas un marché mondial de l’électricité, mais des marchés régionaux. IL n’y a pas d’interconnexion intercontinentale, à l’inverse du GNL l’électricité ne se stocke pas à grande échelle sur un navire pour être exportée. L’Europe à la chance d’être un grand marché régional sur lequel au côté des prix de l’électricité de détail existent des transactions de gros qui vendent des capacités plutôt qu’un produit par nature invisible. Les prix de détail sont déconnectés des seconds dès lors que ces derniers n’évoluent plus en fonction de la demande mais en fonction de l’offre (Allemagne). Être esclave des productions climatiques, produire en excès de l’électricité que personne ne peut consommer, avoir des prix négatifs n’est-ce pas le lien avec l’économie et renverser la courbe des certitudes énergétiques vers l’incertain ?
Au-dessus de ces certitudes du trio production-consommation-prix, règne en effet l’incertitude de la transition énergétique. Cette dernière n’est pas nouvelle, elle a débuté depuis l’apparition du feu et continuera encore longtemps. Au cours de la dernière étape ont cependant été adoptées plusieurs méthodes de production (charbon, gaz, nucléaire) apportant une stabilité de très long terme sur les volumes et les coûts que l’on peut aligner avec certitude et en permanence face à la demande.
Mais les opinions sont brouillées par la découverte que ces acquis énergétiques (coûts-volumes) peuvent disparaître au cours de la prochaine étape de la transition. Les récentes expérimentations de deux voisins de la France aux idéologies énergétiques opposées servent d’exemples : les conséquences du libre-échange et de la libéralisation du marché britannique depuis les années 1990 d’une part et d’autre part la re-modélisation dirigée de la production allemande à grande échelle et grande vitesse.
Outre-Manche en juin 2017 le programme des législatives des conservateurs britanniques proposent un retour d’un quart de siècle en arrière, ante les années 1990, vers une « renationalisation » des prix de l’électricité via une re-régulation. Pour l’avenir, il ne fait aucun doute que la future situation de l’électricité en mode Brexit sera périlleusement incertaine.
En Allemagne, l’ajustement d’anciennes et de nouvelles méthodes de production électriques aura provoqué deux accidents industriels majeurs sur les deux compagnies nationales d’électricité, elles ont quasiment fait faillite. Pour briser l’incertitude de leur avenir, elles se sont cassées en deux (renouvelable d’un côté, charbon-gaz de l’autre) et pour se sauver, elles n’ont qu’une sortie, un tandem sous la forme d’une consolidation énergétique européenne en recherchant des complémentarités de volume et de coût de production notamment avec les entreprises françaises. La France, qui fort heureusement a modifié ses infrastructures avec beaucoup moins de précipitation, est-elle préparée au modèle énergétique allemand et son fardeau démocratiquement accepté puisque les prix aux consommateurs y sont très élevés ? Évidemment, de ce chaos peut surgir une politique énergétique européenne, faisons ce pari d’une sortie par le haut, c’est le sens de l’histoire !
Peu importe les solutions, l’horizon énergétique européen va être de plus en plus perturbé, ces bouleversements normaux sont le propre d’une transition. L’aspect intéressant de toutes ces volatilités de prix, de ces écarts entre prix producteurs et prix aux consommateurs (régulés ou non), de ces dysfonctionnements capacitaires, de cette composition hétéroclite, voire baroque, qui a glissé de la sûreté, de la certitude et de la précision vers l’instable, l’incertain et la confusion avec l’écologie en point focal à atteindre, le point captivant donc est que cet ensemble forme une superbe place de marché amicale et naturelle pour le trading de l’électricité.
Comme pour toutes les ressources naturelles, le négoce fleurit lorsque le marché dysfonctionne, lorsque la dérégulation provoque le désordre chez les consommateurs (GB) ou chez les producteurs (Allemagne), lorsque la subvention dérègle les prix, lorsque les stocks (barrages, vent, solaire) ne sont pas au bon moment au bon endroit, lorsque l’information (big data) est exploitable et permet de prévoir les déficits d’une offre ou d’une demande qui ne se rencontrent plus….
Ce paradigme d’un négoce créatif est nécessaire pour relier entre eux les trois signaux de prix : celui de la production avec celui de la consommation et celui du marché. Ce triangle est la raison d’être du trading, aidée de l’intelligence économique il rapprochera la situation réelle de la situation souhaitée. La mesure de la surface entre les trois prix marché-production-consommateur représente la marge potentielle du négoce, celle qui échappe au producteur traditionnel ; producteurs qui ne veulent plus d’un modèle économique ne reposant que sur les capacités et les prix de gros. Il suffit de regarder les bilans des énergéticiens français ou allemands pour s’en convaincre.
Ce n’est que le début, la place du trading ira croissante avec l’instabilité et si votre société de trading favorite intégrée ou non à un énergéticien n’en est pas à convaincue, il est probablement temps de changer de stratège, de stratégie, ou les deux à la fois. Dans ce marché de l’électricité, la transition énergétique par son effet dérangeant et temporaire (mais qui durera) est un atout pour que le trading prospère. Le marché va vraiment devenir électrique.
Publié dans Les Échos le 21 05 2017