La guerre économique initiée par le Président Trump nécessite de nouvelles doctrines ressources naturelles.
Depuis leurs sommets de l’année 2018 les prix des principaux métaux industriels et précieux ont diversement baissé : -17 % pour le cuivre, -20 % pour l’aluminium, -30 % pour le zinc, -13 % pour l’or, -23 % pour le platine et le palladium, -32 % pour le cobalt. Au nadir pendant la canicule de l’été, certains se sont redressés.
D’autres n’ont pas connu de trou d’air. Le lithium est toujours dans sa stratosphère, en hausse continue depuis 2016, mais des analystes prévoient une chute du prix d’environ 30 %, à voir. L’acier était en hausse de 4 %. Pourtant, ses deux principaux composants, le fer et le coke, fluctuaient en sens contraires, -13 % pour le premier et +30 % pour le second. Il est vrai que le charbon est en hausse continue depuis 2016, +140 %.
Comment caractériser ces variations ? Tolstoï ? Il eut dit : les métaux calmes se ressemblent tous ; les métaux agités sont agités chacun à sa façon ! Le dollar ? L’or excepté (et encore, le taux d’intérêt réel est un baromètre beaucoup plus efficace, notamment en Yuan) est souvent un faux ami d’économiste, une terre agreste marginalisée par les fondamentaux miniers : production, consommation, coûts d’extraction, stocks, environnement, fiscalité… Là est l’Atticisme, et la contraction des prix des métaux du premier semestre masque un futur : une puissante croissance de la demande industrielle ainsi qu’une offre minière tendue. À l’orée de l’automne, les prix restent historiquement élevés et reflètent les tensions d’une future consommation compétitive.
La théorie de la consommation compétitive, un accès vulnérable des industries aux métaux neufs provoquant une fragilité des filières en aval, fut énoncée ici même à plusieurs reprises. Sa matérialisation au premier semestre est le deuxième enseignement de 2018. Elle une conséquence de la guerre commerciale, elle-même une facette de la guerre économique englobant celle des monnaies, des ressources, de l’environnement…
L’exemple fut net en avril, et peu importe ici qui est inapte ou irrémissible. La politique de sanctions états-uniennes du printemps prenait pour cibles des personnalités russes, dont l’oligarque Oleg Deripaska. Mise en œuvre, elle chassa des marchés l’entreprise de ce dernier, le producteur d’aluminium Rusal. Une spéculation à la hausse sur les prix du métal s’ensuivit. Ils s’affaissèrent cependant, alors que l’oligarque pastellait les couleurs de ses affaires. Mais là, ce n’était rien.
En bannissant également le deuxième fournisseur occidental d’alumine, position tenue par le même Rusal, un blocage européen de l’accès à cette matière amont de l’aluminium, devint un risque. Les consommateurs en aval, l’automobile, l’aéronautique, la défense, l’emballage… en furent éprouvés. La menace fut considérable, le spectre de la consommation compétitive s’affirma. D’ailleurs, quelle serait notre situation si la diplomatie eut été moins efficace, ou bien si la Russie ne pliait pas ? Le fera-t-elle nettement ? Il semble que non, puisque la riposte s’attaque à la prééminence du dollar.
Victime collatérale de la guerre économique bilatérale américano-russe, l’alumine devint de fait une matière stratégique française, inquiétante parce que son accès était vulnérable. Rappelons-le, à la différence des caractéristiques géologiques ou de marché d’une matière critique, une matière stratégique est indispensable aux ambitions d’un état, peu importe que cette ressource soit abondante ou bien en tension. Sa classification varie d’un état à un autre, évolue dans le temps, en fonction des politiques, des évènements et de la présence ou, hélas, l’absence d’acteurs nationaux. À l’avenir, l’omniprésence de la consommation compétitive sera liée aux accès fragilisés par les nombreux avertissements : Pechiney, CLAL, Metaleurop, Pennaroya, actifs miniers du BRGM, Arcelor, Rhodia, Alstom, Lafarge,…
Cette attaque proème n’est pas achevée. Elle fut néanmoins suivie d’un deuxième assaut. La guerre commerciale isolationniste et multilatérale — voire mondiale —s’intéressa, dans une seconde offensive, aux tarifs douaniers de l’acier et de l’aluminium (et demain peut-être au cuivre, zinc, cobalt, lithium…, maïs, blé, soja…, gaz… ?). Ces métaux ne furent plus des victimes collatérales, mais ils furent délibérément transformés en matières stratégiques états-uniennes. L’acte de guerre sur la ressource naturelle fut « volontaire », une menace d’autant plus considérable pour les filières industrielles et leurs emplois qu’elle connaissait de puissantes répliques tous azimuts.
N’épiloguons pas sur les résultats des deux offensives, à propos des emplois créés ou détruits en Chine, aux États-Unis, en Russie ou ailleurs dans les aciéries et les fonderies d’aluminium. Ces deux charges, avertissements sans frais, sont le côté pile ; côté face tout est encore permis quant à l’avenir du lien entre guerre économique et ressources naturelles. Refuser de l’anticiper nous conduirait à de multiples vulnérabilités d’accès aux ressources et vers diverses catastrophes d’approvisionnement et de consommation compétitive, toutes les questions sont donc permises.
Aluminium et acier, donc bauxite, minerai de fer et charbon, sont devenus stratégiques pour la politique de guerre commerciale américaine ; mais ils sont également stratégiques pour les politiques plus pacifiques d’urbanisation chinoise ou indienne et pour l’invasion économique des « routes de la soie » de Pékin. Quid d’un affrontement entre ces politiques, à ce jour déconnectées les unes des autres ?
Autre aspect. Comment traiter une soudaine politique belliqueuse de guerre de nationalisme des ressources d’un pays producteur ? Quelles anticipations à une future alliance de pays producteurs asiatiques, africains, européens ou d’autres parties du monde, qui après une agression répliqueraient en liant entre elles leurs différentes doctrines de puissance et de souveraineté régissant leurs diverses ressources?
Inversement, des pays consommateurs (Chine – Japon), hostiles à un acte de guerre économique, deviendraient-ils alliés de circonstance en rapprochant leurs politiques d’influence dirigées vers les pays producteurs de ressources ?
L’hypothèse de flux perturbés est limpide dans les cas de ressources minières, mais est-il plus opaque d’imaginer dans une guerre écologique des producteurs d’électricité solaire refusant d’exporter leurs ondes vers les pays dominés par l’électricité au charbon ou au gaz ?
Quid de l’impact de conflits économiques, côté producteurs ou consommateurs, autour des denrées agricoles, l’impact au Brésil et en France d’une guerre du soja entre les États-Unis et la Chine ?
Qui n’est pas avec moi est contre moi ; que signifierait un état neutre dans ce conflit ? L’Union européenne fondée par et pour la paix pourrait-elle répondre autre chose que la paix ?
Etc… Ce « et cætera » est ici impératif tant la métaphore interrogative militaire se devrait d’être exhaustive.
Une méthode évitera ces risques de rupture liés aux guerres économiques, l’adoption de doctrines ressources naturelles agricoles, minérales et énergétiques.
Nous découvrons à la lecture de la Préface de l’Histoire Romaine de Tite-Live, des remarques sur le salut et la fécondité de l’esprit apportées par la connaissance de faits historiques et de comportements exemplaires. 500 ans plus tôt, le stratège athénien Thémistocle exprima la première doctrine ressources naturelles que je connaisse de l’histoire occidentale lorsqu’il convainquit ses concitoyens d’Athènes de mettre en commun les richesses de la mine d’argent du Laurion. 200 navires en furent financés, l’envahisseur Xerxès fut vaincu à Salamine en -480, ce fut le point départ de la lumineuse thalassocratie athénienne. Sa doctrine ressources naturelles fut une seule pensée, une solidarité stratégique, une résilience via une communauté d’objectifs et de moyens.
Rénovée, qu’elle soit nationale ou bien interdépendante si plusieurs états collaborent, elle sera protéiforme et anticipera, planifiera et armera pour exercer son pouvoir au travers d’énergiques stratégies, qui seront mises en œuvre en aval par un mix économie-environnement-diplomatie-armée.
Dans l’antiquité Zeus prévoyait si bien qu’il insuffla ce principe de guerre économique à Thémistocle. Qui anime-t-il aujourd’hui ?