Crises, mais pas d’or valeur refuge, pas encore…

Pourquoi la géopolitique, l’inflation de Wall Street, la dette chinoise, le risque souverain, la spéculation n’ont-ils pas encore été favorables à l’or ?

Depuis avril 2018 les prix de l’or sont sous pression, et depuis juin attaqués par des ventes à découvert, les plus importantes depuis 2015. Cependant, à 1 200 $ t.oz ils résistent, ils restent nominalement historiquement et les nadirs progressent : le plus bas de décembre 2015, était suivi d’un nadir plus élevé en 2016, puis en 2018. En septembre 2018 ils sont à parité avec mai 2010.

La majorité des investisseurs en or pense que si le dollar se renforce, le métal jaune baisse, et inversement. Ce n’est pas toujours exact. En de nombreuses occasions, l’or et le dollar se sont renforcés simultanément et un guide plus aguerri sera d’évaluer les mouvements de l’or inversement aux taux d’intérêt réel (TIR). Lié aux décisions de la FED, le TIR des États-Unis est le cheval de tête. Mais son effet sur l’or sera toutefois de plus en plus nuancé par ceux d’autres monnaies, par exemple le Yuan ou de la Roupie indienne. Des hausses des taux liées à la phase restrictive des banques centrales sont déjà anticipées dans les cours de l’or. Mais sa mise en œuvre dans un contexte inattendu, perturbé et imprévisible sera favorable à l’or.

En effet, la récente croissance ne connaissant qu’un seul investissement, les actifs en dollar. C’est pourquoi les ventes d’or (ETF et à découvert) sont devenues des positions en dollars transformées en « Tech ». Cette accumulation provoquait l’inflation du prix du refuge, les prix des FAANG ; et les indices boursiers disposant d’une dose de Tech affichaient de meilleurs rendements que ceux dominés par l’industrie traditionnelle. Ce large écart entre Wall Street et le reste du monde reflétait l’ancienne thèse des bulles : gonflées d’espoirs elles nous mènent de l’or vers Apple, mais bouffi des peurs si Wall Street se renverse, d’Apple vers l’or.

L’espoir de la croissance ou la peur de la crise. Pourquoi ce bipolarisme consubstantiel aux prix de l’or n’est pas encore l’otage des tensions géopolitiques : Corée, Russie, Moyen-Orient, Nafta, OMC, Sanctions, guerre commerciale initiée par Washington à l’encontre de la Chine, l’Europe, le Canada, l’acier, l’aluminium ; et le risque italien… ?

Craignons la peur qui s’émeut sans démonstration. Pour le moment les anticipations de cette guerre commerciale bénéficient au dollar. Demain, les effets réels seront-ils la menace d’une contagion inflationniste vers la croissance étatsunienne, Wall Street et les émergents ? Au final, si l’isolationniste géopolitique liée aux tarifs douaniers détruit 500 000 emplois aux États-Unis, et plus en Chine, ne doutons pas baisse de Wall Street et de Shanghaï. L’effet haussier sera immédiat sur les prix de l’or, et sera secondé par les achats des banques centrales (notamment des nouveaux petits émergents), des ETF, des marchés à terme et des consommateurs asiatiques via la thésaurisation bijoutière.

La crise ou la croissance, le même arrière-plan découvre le décor du théâtre chinois. Les prix de l’or sont moins mouvementés en Yuan, ils expriment certes une maîtrise du taux de change, mais pas encore l’anticipation des dangers d’une finance locale dominée par l’ampleur de la dette. Est-ce le calme avant une frayeur à l’échelle des engagements du pays ? À ce petit jeu, de la peur et pour les raisons que l’on connaît, la courbe de l’or en livre turque n’est qu’une mise en bouche, attendons le plat de résistance de la dette chinoise, « à l’estouffade ».

Où allons-nous à présent ?

Quel serait « l’impact euro » sur l’or d’une crise souveraine italienne ? À l’image de l’assèchement du bitcoin qui ramenait de la liquidité sur les marchés, la guerre commerciale peut-elle être favorable à l’or en faisant dérailler la machine étatsunienne et reculer Wall Street, déraper la gestion de la dette chinoise et provoquer une crise des émergents, voire lier les quatre crises à la fois ? À la fois restaurer une croissance, restreindre le crédit, gérer une inflation et réparer un état, non ce n’est pas sérieux !

Les fondamentaux saisonniers de l’or sont favorables en attente des volumes consommés au cours des deux évènements annuels : la saison nuptiale indienne et le Nouvel An chinois. Côté mineurs, s’ils baissaient à 900 $-1 000 $/t.oz, les prix de l’or se fracasseraient sur les coûts de production des mines les moins rentables, et provoqueraient des ruptures favorables au plus performantes. En outre, le nationalisme des ressources et le coût environnemental limiteront la future offre minière. D’ailleurs, Zijin Mining s’associant à Barrick ou achetant les exploratrices clarifie la lecture des anticipations dans ce domaine.

Enfin, peut-être qu’un jour les pays exportateurs de ressources naturelles victimes de la guerre économique exigeront d’être payés d’aluminium, de gaz, de pétrole ou de cobalt en or voire en crypto-or. Pourquoi ? Parce que l’or n’est la monnaie d’aucun pays, n’est la dette de personne, ne souffre d’aucune sanction économique, juridique ou géopolitique. Dans ce cas la création d’une telle cryptomonnaie-or aurait-elle cette fois la prétention de régler un problème et de trouver une utilité ?

En conclusion, l’inflation de Wall Street, les ventes à découvert, la menace géopolitique, la dette chinoise, le risque souverain et la résistance actuelle des prix de l’or, sont des réalités porteuses pour l’or. Celles qui précèdent des couvertures rapides et nécessaires, ce qui n’est pas encore la définition d’une panique. Si les prix de l’or remontent, vers un solide palier à 1 400-1 500 $/t.oz, puisqu’il n’existe pas de sicav sérieuse « or métal » en dehors des ETF, il sera préférable de privilégier les mines, dont l’alfa semble largement supérieur.

Publié dans Les Échos le 09 09 2018