In Les Échos
Évoquer une petite polémique en introduction permet de capter l’attention. Il fut rappelé à l’ouverture des 5ème universités d’été d’E5T (Énergie, Efficacité Énergétique, Économie d’Énergie et Territoire) fin août à La Rochelle, que le succès de celles-ci commençait à remplacer aussi bien dans la réalité que dans les esprits des élus une autre université d’été rochelaise se déroulant également fin août, politique celle-ci et en perte de vitesse. L’attention fut captée ! Cher lecteur, seul celui féru de politique française peut saisir.
Il y a deux semaines, j’intervenais à E5T sur le thème : « Les territoires pilotes de la transition énergétique et nouvel ordre mondial ». Mais il y a déjà quelques années, j’avais été sollicité par l’Institut de France pour indiquer aux académiciens pourquoi la transition électrique transformerait notre dépendance vis-à-vis des hydrocarbures en une nouvelle dépendance vis-à-vis des métaux et minéraux. Agés mais expérimentés et dépolitisés, ils ne furent pas longs à comprendre le problème. Ces anciennes conclusions furent renforcées à la lumière des propositions énoncées cette année à La Rochelle.
Quel est le problème ? Il est double. Premièrement la transition électrique est un combat et comme n’importe quel conflit l’ennemi doit être désigné, c’est le charbon. Sur terre c’est la première ressource naturelle à l’origine de la production électrique. Si nous voulons limiter la hausse des températures, franchissons au moins cet obstacle. À ce titre nous pourrions affirmer que notre pays a opéré sa transition électrique il y a 40 ans puisqu’elle utilise quasiment zéro charbon pour engendrer son électricité. Deuxièmement, la diversification de la production électrique vers le vent et le soleil est réclamée. Mais l’électricité n’est jamais gratuite, elle est toujours le fruit d’une transformation d’un stock de matières. Dans le cadre de l’électricité climatique, le vent et le soleil sont transformés en énergie grâce à un stock de ressources naturelles : les métaux. Sans les métaux pas d’électricité climatique.
D’aucuns regardent l’électrification de l’Afrique comme la prochaine frontière à ne pas manquer. 600 millions d’Africains sont sans électricité. Le continent est sous l’emprise de l’éternelle solution provisoire du diesel et des groupes électrogènes. Il doit pouvoir développer son industrie et ses grands centres urbains grâce à une électricité massive, régulière et prévisible, mais sans sombrer dans le piège du charbon. Les transformations électriques y sont plus que nécessaires. La première transformation possible est liée aux fleuves africains. Tous nous rêvons à l’hydroélectricité africaine avec par exemple la République Démocratique du Congo. Là, chez qui un barrage tel qu’Inga 6 serait équivalent en capacité à deux fois le barrage des Trois Gorges en Chine, plus de trois fois celui d’Itaipu au Brésil, plus de sept fois celui de Krasnoïarsk en Russie. Il éclairerait quasiment tout le continent. Mais c’est encore un éléphant blanc. En outre l’excès hydraulique existe aussi et la responsabilité sociale et environnementale permet de l’éviter. Par exemple en Asie du Sud, impossible de multiplier les barrages hydroélectriques sur le Mékong sinon les cycles de reproduction des poissons du lac Tonlé-Sap qui apporte 70 % des protéines aux populations cambodgiennes locales seraient définitivement détruits. Trouvons d’autres solutions :
Au Kenya sous peine d’amende et d’emprisonnement, le chauffe-eau solaire est obligatoire pour les bâtiments industriels, commerciaux et grands bâtiments résidentiels dans les centres urbains.
Des jeunes-pousses de tous les pays, dont une Française qui s’exprima à La Rochelle, électrifie au solaire la campagne africaine pour éviter l’exode rural. Chacun y fait son profit. L’environnement y gagne dès lors qu’il ne s’agit plus de dépenser mensuellement 30 euros de diesel dans un générateur, mais la même somme en location d’un panneau solaire, d’une prise téléphone, d’une batterie, d’une prise pour une radio, une télévision et demain d’un ventilateur basse consommation. Les jeunes-pousses y gagnent des marges à trois chiffres (installation du panneau solaire et management de projet) et modernisent les abonnés africains qui sont gérés à partir d’Amérique du Nord ou de l’Europe. L’assistance client passe par internet, le paiement mensuel par téléphone mobile.
Ces innovations électriques sont nécessaires pour éviter que l’Afrique ne sombre dans le charbon. Cependant, les scénarii qui furent discutés à La Rochelle en toute bienveillance et aux cours de débats passionnants (voir cet article sur Atlantico), furent parfois souvent plus mondiaux.
Une doxa envisageait des panneaux solaires et les éoliennes en désordre un peu partout dans le monde. Pourquoi pas ? Qu’attendons-nous pour « solariser » les toits et les façades de nos villes ? Mais si tous les pays se copient les uns les autres sans discernement, ces doctrines projetant un monde électrique ne fonctionnant qu’à l’éolien, au solaire et au stockage en batteries, auraient pour conséquence la multiplication par 3 à 10 ou 20 vraisemblablement la consommation dans les infrastructures de métaux. Cuivre, aluminium, nickel, zinc, plomb, Acier (Fe, CR, Mn, Mo) ; métaux et métalloïdes critiques et stratégiques : platinoïdes pour l’hydrogène, cobalt, lithium, indium, gallium, argent métal, étain, etc…). En outre les augmentations d’autres consommations (révolution de la mobilité électrique, électronique, réseaux, rénovation de l’habitat….Sans compter l’impact sur le béton et donc sur le sable) doivent aussi être comptabilisées.
De la dépendance du pétrole à la dépendance des métaux d’ici à 2050, n’est-ce pas simplement déplacer le problème ? Ne doit-on pas de temps en temps s’extraire du paradigme électrique local et mesurer les conséquences de ces projections à l’échelle de la planète ? Une automobile électrique n’embarquera-t-elle pas 4 fois plus de cuivre qu’une voiture classique ? Avant 2050, à quel rythme remplacer 1 milliard de moteurs à explosion par des moteurs électriques embarquant une quantité de cuivre égale à plusieurs productions mondiales annuelles de cuivre ? L’aluminium nécessaire n’est-il pas de l’« électricité solide » produite aujourd’hui à partir du charbon ou du gaz ? Les infrastructures des éoliennes ou des panneaux solaires ne consomment-elles pas 50 à 60 fois plus de cuivre qu’une une centrale nucléaire par MW ? Dans certaines batteries du futur entre 50 % et 70 % du coût ne sont-ils pas déjà représentés par les métaux embarqués ? Ne parlons pas des terres rares des éoliennes, de l’indium, gallium et argent des panneaux solaires. Quel métal ne sera ni critique ni stratégique ?
Toutefois, si le choix se confirmait de consommer ces métaux massivement, dans le monde entier, tous en même temps et avant 2050, alors 3 impacts sont anticipés : géologique, inflationniste, politique et social.
Géologique : il sera sans aucun doute difficile d’augmenter la production de certains métaux dans les proportions réclamées par la consommation dans un délai aussi court que 2050. Par analogie avec le pic pétrole, des universités n’hésiteront pas à travailler le concept du pic métal.
Inflationniste : nouvelles mines plus pauvres ou plus compliquées d’accès donc plus couteuse, un marché du pétrole environ 15 fois plus grand que celui du cuivre et 350 fois plus important que celui du lithium ou du platine. Gisement plus cher, afflux d’une consommation industrielle précédée de son compagnon, la demande spéculative, l’ensemble provoque une inflation des prix des métaux capables de mettre en danger des solutions et d’autres maillons amont et aval de la transition énergétique. Exemple d’inflation récente ? Le cobalt.
Politique et social : il y aura de nouvelles tensions et dépendances métalliques encore imprévues, des présences hégémoniques de pays consommateurs chez les producteurs, des confrontations entre les stratégies d’influence de ces pays consommateurs de métaux et les stratégies de puissance des pays producteurs, de la corruption, de nouveaux enjeux liés au droit de l’homme pour permettre l’ouverture de nouvelles mines. Faudra-t-il ici parler de nouvel ordre ou désordre mondial ?
Plus globalement les impacts peuvent être multiples. Imaginons qu’une région du monde grande productrice de cuivre ne fonctionne qu’exclusivement à l’hydroélectricité. Parce que l’eau des barrages est basse et que la production électrique est en déficit, soudainement la facture d’électricité des mines de cuivre augmente de 54 % et l’exploitation n’est plus rentable. Les mines de cuivre fermeront-elles jusqu’au moment où les prix du cuivre augmenteront, ou que le prix de l’électricité baisse ? Est-ce une fiction ? Contrôlez donc l’actualité fin août 2017 de la région cuprifère zambienne !
Une autre illusion est de qualifier l’électricité climatique de locale quand dans certains pays les mines sont quasiment prohibées et que ces métaux viennent de loin (tout comme le pétrole, le charbon, le gaz). Éolienne ou solaire, l’électricité n’est pas plus voisine qu’une autre, sauf si le charbon est voisin…. L’éloignement des mines provoque des chocs qui ne seront pas amortis par l’économie circulaire. D’une part le recyclage des métaux de l’électricité climatique risque fortement d’être insuffisant, car le gisement polymétallique de la mine urbaine issu de l’écoconception sera de plus en plus compliqué à affiner par rapport aux polymétalliques naturels des gisements miniers ; d’autre part le recyclage dans 20 ans de ces métaux sera en retard par rapport à une demande immédiate.
Compte tenu du désordre qui apparaît, après avoir diagnostiqué le changement climatique grâce à la coordination mondiale du GIEC, ne devrions-nous pas mettre en place une coordination mondialisée des solutions de la transition électrique ? Que dirait cette instance ?
Premièrement, la transition électrique nous imposera probablement un jour de ne plus faire des choix d’infrastructure de production d’électricité en fonction des coûts exprimés en Euros, mais en quantités de métaux et matériaux utilisés pour produire un MW. La règle sera de comparer sur le long terme avec un calibrage en responsabilité sociale et environnementale combien d’acier, de cuivre, d’aluminium, de lithium, de cobalt, de néodyme, de platine de béton, etc…, seront nécessaires pour produire un MW à partir de l’éolien (maritime ou terrestre) par rapport au solaire, à la biomasse, à l’économie circulaire du nucléaire, à l’hydrogène, à la géothermie, à l’hydrologie, aux marées, aux vagues, à la fusion nucléaire (non plus la fission), etc… ?
Le cuivre est un marqueur, mais dépassons le filtre des métaux. Un autre baromètre plus global pourrait être l’eau. Pour produire tous ces métaux, cette dernière est fortement sollicitée, tout comme le pétrole, le gaz et le charbon. Interrogeons-nous. Un choix d’infrastructure en litre d’eau par MW. Mais dans ce cas quitterions-nous le pic pétrole pour le pic eau ?
Deuxièmement, nous devons éradiquer le charbon des pays au climat tempéré aux États-Unis, en Pologne, en Europe Orientale, en Allemagne là où les fameux emplois verts sont adossés aux emplois noirs du lignite. Mais ne soyons pas égoïste et ayons du courage, compte tenu de la future dépendance aux métaux il y a plus urgent que développer une industrie climatique européenne grâce à ses prix de l’électricité subventionnés. Séance tenante, réservons immédiatement et en priorité ces matériels aux territoires menacés par le charbon lorsqu’ils connaissent un soleil fort et constant ou des vents réguliers. Évitons que l’Afrique et l’Asie du Sud ne sombrent définitivement dans le piège de l’anthracite, surtout si son prix baisse au fur et à mesure que la Chine s’en désengage. Concentrons les infrastructures solaires entre les 35èmes parallèles (le Maroc fait de bonnes choses dans ce domaine) ; concentrons les éoliennes maritimes dans les zones alizéennes au large de l’Afrique, de l’Asie du Sud. Pensons planète. Rentabilisons au mieux ces métaux afin qu’ils bénéficient aux plus grands nombres, ceux de cette immense zone menacée par le charbon.
Effectivement, le problème reste les climats tempérés ou l’on commence sérieusement à s’interroger pourquoi après avoir défiguré les campagnes, la bonne solution serait de repousser en mer des éoliennes sans s’interroger sérieusement sur la provenance et la disponibilité des métaux critiques nécessaires ? Trouvons d’autres solutions ! Certes tous les pays n’ont pas la chance de l’Islande ou de la Nouvelle-Zélande d’avoir une autosuffisance électrique grâce à la géothermie ou l’hydroélectricité, mais elles existent. Elles sont partiellement décrites dans cet entretien à Enerpresse (lien vers page Linkedin : « La transition écologique nous fait basculer d’une dépendance aux hydrocarbures vers celle aux métaux »). Invariablement celles-ci demandent du progrès technique et non pas de la « décroissance ».
Concluons à partir des territoires. Ils sont tous différents, il est normal qu’ils connaissent des transitions électriques différentes de leurs voisins. Une planète à l’électricité climatique uniforme ne ferait que déplacer le problème.
Le grand danger des idéologies est de se perdre au fur et à mesure que leurs objectifs dérapent ; abandonnant la bienveillance au sectarisme elles perdent de vue leurs propres impacts sur l’existence des citoyens et s’excluent de la vie réelle. Sans remise en cause pas de résilience, elles se rétrogradent elles-mêmes en illusion et provoquent un désarroi politique se terminant aux extrêmes. Il serait regrettable que celle qui guide la transition électrique subisse un échec de cette nature.
Ici dans l’électricité comme ailleurs, il est toujours plus productif de rechercher des complémentarités que des oppositions. C’était l’objet de cet autre petit article : l’épopée des Enerjix.
Publié dans Les Échos le 19 02 2017