In La Tribune 08/04/2020
Le coronavirus a tué le capitalisme actuel en fusillant les dividendes. À quelques secondes de distance sur la grande horloge de l’humanité, après l’internationale marxiste, la mondialisation libérale disparaît. Zéro-zéro, la balle est au centre et le monde d’après est simple : à mi-chemin entre l’internationale et la mondialisation, les nouvelles solidarités stratégiques imposent le capitaliste souverain avec des auto-suffisances stratégiques comme dividende. Le capitalisme est mort, vive le capitalisme.
Une idée qui n’est pas neuve
Depuis longtemps, nous plaidons pour qu’un tel modèle soit appliqué en France à l’industrie des ressources naturelles, l’idée n’est donc pas neuve. Mais à chaque fois que telles ou telles sociétés de ce secteur montraient une stratégie préoccupante, la même assurance ignorante, le même laissez-aller étaient affichés par les décideurs qui ne souhaitaient pas revoir leurs doctrines. Résultats ? Péchiney, Comptoir-Lyon-Alemand-Louyot, Metaleurop, l’uranium, le nickel, Alstom, le ciment, etc. Lanceur d’alerte, ce n’est pas un métier rentable, avoir raison avant la masse parait comme une faute.
Avec le coronavirus, ce sont les mêmes symptômes, et les mêmes conclusions, mais en plus grave. La vérité est offensive, ne pas la dire c’est la renier, on en paye toujours le prix : la crise de confiance avec ses conséquences politiques, électorales ou économiques. Avant d’exprimer une intelligence de la situation pourquoi tant de messages contradictoires sur les masques, d’encouragements à aller au théâtre et d’imprévoyances quant au premier tour des élections municipales puis de communications en mode tâtonnement sur les « confinez-vous » mais « allez travailler aux champs »… Bref, pourquoi toujours rejoindre l’au-delà de la faillite avant de reconsidérer les doctrines ?
Allons plus loin dans la métaphore sanitaire. Pour les soignants, avec davantage de masques de fabrication française et européenne, de charlottes, de casaques et sur-blouses, de gants, de lunettes, de respirateurs, de médicaments de fabrication française et européenne, l’existence d’une Union européenne sanitaire est alors justifiée. En outre, la coopération scientifique de l’opération « discovery » pour trouver des remèdes et un vaccin démontre la pertinence du modèle de collaboration européenne. Souveraineté du système de santé n’est donc pas opposée à l’Europe.
Pareillement, nous avons besoin de plus de production de ressources en France et donc d’une adaptation des lois et codes, plus d’affinage et de métallurgie des métaux stratégiques (comme c’était le cas en France avec le Comptoir-Lyon-Alemand-Louyot avant que son actionnariat ne le fasse sauter à la dynamite pour vendre ses stocks de métaux stratégiques), plus de travail dans l’acier en France et en Europe, plus de production dans les turbines énergétiques comme le faisait Alstom en France et en Europe et jusqu’à plus d’usines de machines à laver en France et en Europe. L’ensemble de ces « plus » deviennent une autosuffisance désirée et des emplois choisis, c’est-à-dire les nouveaux dividendes du capitalisme de souveraineté qui n’est pas donc l’antithèse de l’union européenne. Certes, c’est une renaissance moins rémunératrice pour l’actionnaire individuel mais plus enrichissante pour la communauté. A l’image des scientifiques qui effacent magistralement leurs egos et coopèrent pour lutter contre le coronavirus, les politiques devront coopérer pour se sauver de la crise ?
Cela sera-t-il facile ?
Bien que nous ne connaissions pas encore le pic de cette crise dont nous espérons pourtant commencer à sortir en fin du deuxième trimestre de cette année, les indicateurs sont mauvais : le marché automobile est attendu à -25 %, le tourisme, et donc l’aéronautique, est prévu en difficulté pendant deux ans, avant de retrouver le « monde d’avant », les statistiques avancées d’achats indiquent une récession et sont historiquement bas en Italie. Dans ces conditions, il est impossible pour les États européens de démarrer un nouveau modèle de capitalisme de souveraineté sans accommodements, sans mutualisation d’une nouvelle dette dont la trajectoire sera stratosphérique. La Banque centrale européenne (BCE) doit avoir un nouveau rôle, gérer cette nouvelle dette, sans exclure de l’effacer d’une manière ou d’une autre, sans nouvelle taxe.
Nous ne connaissons pas encore le pic de la crise, mais la Chine sort déjà du marasme, son indice d’achats est supérieur à 50. Depuis 30 ans, son intelligence économique a entièrement tourné ses doctrines agricoles, énergétiques et métallurgiques et minières vers sa souveraineté, elle en est championne du monde.
Il faut donc nous activer car son industrie va bénéficier avant la nôtre d’avantages compétitifs liés aux prix des ressources naturelles. Ceux des métaux sont affaiblis sauf l’or. Les cotations des matières premières agricoles baissent également sauf celles liées au stockage (l’huile de palme, le blé, le thé, le café, le riz). Le prix du gaz naturel est historiquement bas (sous les 2 dollars), le pétrole entre 20 dollars et 30 dollars est déjà surstocké un peu partout. Il tombera à 10 dollars, à moins que plus d’aires de stockage deviennent disponibles et, surtout, si une alliance inédite entre Washington, Toronto, Moscou et Riyad marginalise la guerre énergétique et abaisse de 10 % à 15 % l’offre mondiale d’hydrocarbures. Mais forcer la baisse de la production privée états-unienne est légalement très hypothétique. De plus, cette cohabitation entre capitalisme privé du pétrole de schiste très endetté et Etats de l’OPEP et OPEP+ porterait le risque d’une méga crise obligataire chez les producteurs nord américain.
Un obstacle technique et un obstacle moral
Avec de tels handicaps, muter d’un ancien capitalisme vers un nouveau rencontre au moins deux obstacles, l’un technique l’autre moral
Le premier problème de la souveraineté est sa dimension. Trop courte et elle réplique notre situation de dépendance lamentable liée au laissez-faire d’aujourd’hui, qui s’incarne par des États qui se font une guerre de pirates pour des masques sur des aéroports chinois ; c’est ce que j’ai nommé il y a déjà bien longtemps la « consommation compétitive » dans le cadre de la doctrine des métaux stratégiques lié aux énergies renouvelables. Trop longue et la souveraineté impose la fin de l’interdépendance organisée qui garantit une paix entre nations, notamment celle chère à l’Union européenne. Le curseur a des conséquences populistes évidentes, il doit trouver un juste milieu et sera d’ailleurs différent selon les pays.
Deuxièmement, il n’y a pas deux mois, l’expression «souveraineté industrielle ou économique » était un oxymore pour les mêmes qui la revendique aujourd’hui. Abandonner la mondialisation et endosser bravement cet autre modèle n’est pas si simple. « Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré », n’est pas Clovis qui veut. Avant de devenir le bâtisseur de nouvelles doctrines industrielles, énergétiques et agricoles souveraines, avant de muter en un crédible mystagogue de la doctrine du capitalisme souverain, il faut en avoir été un vrai guerrier. C’est à dire être dans l’idée de « l’étrange défaite » de Marc Bloch, avoir souffert dans sa chair d’étranges défaites économiques, en avoir subi les conséquences : être une gueule-cassée de la mondialisation, un blessé du licenciement ou avoir été un mort industriel ; bis repetita: Péchiney, Comptoir-Lyon-Alemand-Louyot, Metaleurop, l’uranium, le nickel, Alstom, le ciment, etc.
Ces hommes là savent ce que souveraineté veut dire, ils ont éprouvé et résisté à son absence, tout comme les experts de l’intelligence économique qui ont déjà et depuis longtemps dénoncé avec sagesse et réflexions les fausses vérités de la dépendance industrielle. Les inclurent pour bénéficier de leurs vécus est indispensable. Agir différemment, avec indifférence, sera toujours comme être entre deux hésitations, indécis entre deux communicants et cela pousse à la révolte.