Le président et le chaos

In La Tribune 24/01/2023

Pourquoi les déçus du macronisme sont-ils devenus si nombreux depuis 2017 ?

La mauvaise politique, c’est la seule communication. Dès 2017, la communication transgressive était la marque présidentielle et une première déception : «  Je suis votre chef  », «  Les Gaulois réfractaires », «  S’ils veulent un responsable, il est devant vous, qu’il vienne le chercher  », «  Les gens qui ne sont rien  », « La France irréformable  », «  Je traverse la rue et je vous trouve un travail  ». Perçue comme narcissique, provocante, voire méprisante, cette harangue a été repoussée parce qu’elle stigmatise, divise et ne rassemble ni ne fédère autour de projets. Elle n’a que la force de l’anecdote et le pouvoir du commentaire. C’est une parole qui parle trop, car sans puissance ni consistance, elle n’était jamais suivie d’action. Elle ne sert à rien. André Malraux  écrivait : «  Plus l’intelligence s’occupe de la politique, plus elle devient irresponsable  », de nos jours c’est «  plus l’intelligence s’occupe de communiquer, plus elle devient irresponsable  ».

Analyses omniscientes

L’autre déception est une rhétorique convenue, la communication en mode théâtre. Elle veut séduire les esprits, mais ses sont discours indigestes aux analyses omniscientes, longues, apprises comme un rôle et enluminées de propositions tautologiques; elle se révèle insuffisante, voire superficielle. Le théâtre est du monde du ressenti, du paraître non pas celui de la réalité. Si l’acteur confond les deux et croit que déclamer son rôle est performatif, il se trompe, et ce n’est pas de la faute de spectateurs récalcitrants.

Entre ces deux paroles, le jeune président à l’esprit neuf, au programme réformateur et qui incarnait l’espoir d’une relève, laissait vide l’espace pour une voix authentique, simple ou bien flamboyante.

Un proche du Jupiter historique, l’empereur romain Commode communiqua et transgressa en s’exhibant comme gladiateur sur le sable du Colisée, il en discrédita la gravité de son pouvoir impérial. Qu’aurait-il cogité à propos de gesticulations dans les tribunes, sur la pelouse ou les vestiaires d’un stade au Qatar ? Auparavant, un contemporain de Zeus, Alcibiade, fonda son action sur son narcissisme, son auto-séduction et une ambition sans limites claires; entre la gloire et le désastre, elle se termina en tragique.

À Paris, depuis 7 ans, la tragédie du pouvoir repose non sur l’action et des actes, mais sur les paroles qui ont éclairé une fragilité de la puissance présidentielle, alors que celle-ci réclame de l’ombre, de la distance, des bornes lointaines et ambiguës, presque inconnues. Éclairer et montrer ces limites du pouvoir, c’est l’anéantir  ; la puissance n’est plus incarnée, les vérités de l’État ne sont plus la réalité de la population et le nombre de déçus augmente.

Fragilité de la puissance industrielle

Pour vaincre le conservatisme, réussir des réformes nécessite un esprit qui ose, l’Élysée l’avait dès 2017. Pourquoi cela n’a-t-il pas marché ? La compréhension des choses doit s’adapter à la réalité, pour que l’altitude réformatrice se matérialise en résultats terrestres.

C’est au cours de cette confrontation que l’amateurisme politique d’équipes hors sol et sans attache dans le terroir apparaissait en premier lieu dans l’évènement le moins important, qui est souvent le plus visible, la gestion de l’affaire du garde du corps.

Puis il y eut l’amateurisme démolisseur. L’objectif était de construire un régime universel de retraite à 62 ans avec le même niveau des pensions. Pourquoi la réforme systémique espérée s’effondra-t-elle, sinon à cause de l’amateurisme destructeur de « l’âge pivot ». En 2023, la réforme s’est renversée et banalisée. Si l’équilibre vient, il faudra au préalable un taux de chômage de 4,5 %, sans pour autant aligner tous les régimes à 64 ans. Amateurisme donc, car présentée comme la mère du progrès social, elle sera comme les précédentes à renouveler dans dix ans.

Troisième amateurisme

Le troisième amateurisme, que l’on qualifiera consubstantiel, crevait l’écran en répétition dans la gestion de l’imprévisible Covid-19 : gestion des masques en 2020, des vaccins en 2021, des médicaments en 2022 et plus généralement de l’hôpital.

Il y a 7 ans, il fallait dans le programme réussir la lutte contre les déserts médicaux, revoir la rémunération des médecins de ville pour valoriser leurs actions de prévention, donner plus de pouvoir aux ARS pour maintenir un hôpital ou une maternité. En 2023, les 160 000 décès depuis 2019 de la Covid ont justifié l’abandon de réformes, alors que nombreux sont ceux qui ont révolutionné l’hôpital en période de crise. Résultat, le système de santé et l’hôpital restent dans une maladie sans fin, les ARS ont été honnies, des Français meurent sur des brancards dans les couloirs d’hôpitaux qui n’ont pas besoin de soigner leurs symptômes avec des rustines verbales, mais de guérir la cause du mal, c’est-à-dire la gestion des ressources humaines.

Enfin, il avait l’amateurisme de l’inexpérience aux choses de la vie. Communications transgressive ou théâtrale et amateurisme synonyme d’incompétence, jamais ce couple n’a été aussi fort que pendant l’émergence de la crise électrique.

Une guerre pour commencer à réfléchir

L’énergie, c’est le temps long et le temps énergétique perdu est perdu pour toujours. En 2017, l’objectif était de fermer les centrales à charbon en 2022, réduire électricité nucléaire à 50 % à l’horizon 2025 et fermer la centrale de Fessenheim au moment de la mise en service de Flamanville.

Mais l’impensable était imprévu : à force de demander au nucléaire de se réduire… et bien il s’est réduit… bien avant l’invasion de l’Ukraine. Aujourd’hui, les centrales à charbon fument encore, Fessenheim a fermé avant que Flamanville n’ouvre. Le pompier énergétique est devenu pyromane industriel puisque la réduction du nucléaire nous fait sombrer dans le rationnement électrique et la mort des boulangeries. En outre, malgré une réindustrialisation sur-politisée et sur-administrée, celle-ci ne prospérera jamais si son atout énergétique est brisé.

De l’anti-nucléaire au pronucléaire

L’amateurisme énergétique du premier mandat est-il guéri au second ? Que dire quand le ministère chargé des Petites et moyennes entreprises accable la boulangère de Sarlat afin de, paraît-il, diviser les boulangers. Si la nature a horreur du vide, la désindustrialisation démontre que l’économie n’a pas peur du vide industriel. Le tissu de PME-TPE français peut tout simplement ne pas se reconstruire.

C’est bizarre que des gens doivent attendre une guerre pour commencer à réfléchir. Mais mieux vaut tard que jamais. Si l’Europe bascule en guerre totale pour l’Ukraine, le revirement énergétique et pronucléaire tardif, mais bienvenu, bousculera encore plus nos dépendances. Nul doute que le retour express à l’électricité atomique corrigera totalement l’erreur de limiter l’électricité nucléaire à 50 %, erreur un peu corrigée par le Sénat la semaine dernière. Cet ensemble nous indique toutefois que ces amateurs auront laissé la gestion du mur énergétique de 2050 en héritage à d’autres gouvernements, après 2027.

Cette confrontation du  programme  initial face aux constats de 2023 est loin d’être exhaustive. Chacun ajoutera ses remarques : l’armée sans munitions ; la fiscalité pétrolière et les gilets jaunes ; la justice clochardisée ; l’émigration en asphyxie « aquabonisme » avec 95 % des Obligations de Quitter le Territoire Français non effectuées ; l’affaire McKinsey ; la lutte contre les féminicides (un meurtre tous les deux jours en 2022) ; l’école sans charisme et en uniforme, l’éducation wokiste ; sans compter des propositions sternutatoires telles que 10 RER de provinces ou le port Lyon-Marseille…

D’ici à 2027 …

En 2022, l’élection contrait le Rassemblement national. À l’inverse de Jacques Chirac en 1995, le président élu déclarait le 24 avril « votre vote m’oblige ». Mais premier problème. Sans campagne électorale, ni débat contradictoire, ni accord sur un programme, ce dernier était une sorte de passager clandestin, il s’est auto-élu et il s’impose, bien qu’il souffre de troubles du comportement puisque ce qui était faux au premier mandat devient vrai au second : de l’antinucléaire au pro-nucléaire, d’une retraite systémique à 62 ans à une retraite quantitative à 64 ans.

Deuxième problème, puisque qu’avec trop de paroles sans rénovation le premier mandat était un échec sanctionné par la défaite des législatives, le second est dans l’urgence, à la recherche du temps perdu du premier. Défense, retraite, immigration, santé, école, justice… toutes ces réformes auront un tempo en mode rattrapage, en cinq ans, 2022-2027, pour corriger la trajectoire de la décade 2017-2027, qui doit laisser une trace de progrès et de travail. Conséquence, le second quinquennat sera une progression dramatique d’un roman avec ses surprises, suspens, retards, accélérations, empressements, houle et autres tangages.

Heureusement, la France n’est pas encore les États-Unis de Trump ni le Brésil de Bolsonaro, car respecter la démocratie c’est accepter de perdre des élections. C’est pourquoi il risque de n’avoir aucun successeur Renaissance désigné en 2027. D’ici là, si la politique avec le pouvoir, c’est la réforme, si la politique sans le pouvoir c’est l’opposition, alors la politique réformatrice avec une majorité à l’Assemblée nationale en pointillé seront pendant cinq ans 66 millions de Français funambules sur un seul fil, sans filet et les yeux bandés. Espérons que tout se termine bien, mais la moindre étincelle de parole présidentielle sera dangereuse. Il va falloir faire, mais se taire.