In Les Echos 27 06 2011
Si un pôle minier était constitué en France, il resterait petit au regard des géants mondiaux et sa croissance externe serait déterminante.
Avons-nous dans le domaine de l’acquisition de ressources minières perdu les compétences à propos de la société nationale Areva ou bien manquons-nous d’un pôle minier offensif ?
Qu’apprenons-nous à la lumière de la dernière grande opération d’acquisition française : l’uranium d’UraMin ?
Explorer ou acheter
L’exploration est la clef de l’avenir minier ; c’est une dynamique maison (nos géologues découvrent), ou bien un achat sur étagère (nous achetons des gisements bons pour exploitation mais découverts par des sociétés exploratrices) : d’un côté, le géologue chanceux qui est le premier sur un bon gisement, de l’autre, l’étude d’une société exploratrice pour ne l’acheter ni trop cher, ni acheter une promesse fantôme.
15 juin 2007
Le 15 juin 2007, l’actualité politique française était chargée, mais la société nationale choisissait cette seconde option pour accroître ses ressources en uranium : elle lançait une OPA amicale sur l’entreprise UraMin cotée à Londres et Toronto. C’était une société exploratrice avec, non pas un grand gisement concentré sur une zone, mais, peu de temps avant l’OPA, des propriétés réparties dans cinq pays d’Afrique : Trekkopje en Namibie, Bakouma en Centrafrique, Ryst Kuil en Afrique du Sud, Saraya au Sénégal, Kamas et Dabala au Niger.
Evaluation des gisements et faisabilité du projet minier
UraMin, société exploratrice, n’avait jamais produit d’uranium et il se
disait qu’elle détenait environ 98.000 tonnes d’uranium sur ses
propriétés. Inventorier les gisements, différencier les ressources
géologiques des réserves économiques était essentiel.
En Namibie, le 8 mai 2007, UraMin confirmait
un gisement à faible teneur contenant 50.000 tonnes d’uranium à
Trekkopje. Elle annonçait financer ce projet de 461 millions de dollars
en partie via un placement privé qu’elle avait annoncé le 23 février
2007 : elle levait 225 millions de dollars pour une mise en production
dès 2008.
En 2011, de Trekkopje, la société nationale envisage de produire
3.000T/an pendant 12 ans, soit 36.000T. La production était repoussée
récemment à 2013 car le procédé de production qu’elle envisage, la
lixiviation en tas, est innovateur, pionnier (1Milliard de dollars
d’investissements) mais il n’a pas encore totalement quitté le stade de
la R&D. Arroser dans le désert des tas de minerais n’est pas une
chose aisée : les variations de température, d’hygrométrie et la
récupération du minerai riche sont autant de défis.
En République de Centrafrique, les 19.000T d’uranium de Bakouma, bassin découvert par la Cogema dans les années 1960, étaient-ils certifiées comme à Trekkopje ? L’étude de faisabilité butera-t-elle sur le coût logistique (routes, ponts, chemin de fer….) ? La production commencera-t-elle en 2014-2015 ? Le lendemain de l’annonce de l’OPA, UraMin n’indiquait-elle pas dans le « National Post » du 16 juin 2007 : « Production was set to begin in 2008. Mr. Dattels recognized that to build mines, he would have to overcome very poor infrastructure, particularly in the Central African Republic. UraMin is « built to operate » mines, Mr. Dattels said, but talks with Areva turned formal in February and the board decided to sell. »
En Afrique du Sud, les assurances semblaient absentes sur les 29.000T d’uranium ; depuis le 15 juin 2007, des bureaux ont déménagé en Namibie. A ce jour, les gisements du Sénégal étaient et restent inconnus. Pour Kamal et Dabala au Niger, peu importe : le 4 juin 2007, 11 jours avant l’OPA, ces deux propriétés, dont l’exploration était acquise seulement depuis le 8 mai 2007, étaient séparées d’UraMin pour être intégrées dans une nouvelle société, Niger Uranium, créée elle aussi aux Iles Vierges.
A partir des propriétés d’UraMin, la société nationale envisageait de produire plus de 8.000T par an après 2012 : « Les principaux projets d’UraMin, situés en Afrique du Sud, Namibie et République Centrafricaine, offrent une perspective de production annuelle d’environ 18 millions de livres d’U308 après 2012. Areva possède les capacités techniques et commerciales pour mettre ces gisements en exploitation rapidement et commercialiser leur production. » A ce jour, sur les ressources acquises en 2007, 3.000T par an verraient le jour en Namibie, peut-être à partir de 2013 ; une question termine ce premier point : le 15 juin 2007, l’étude de faisabilité (géologie, technique, logistique et économique) était-elle complète ?
Relativisons, ce n’est pas la première fois, ni la dernière, qu’un optimisme minier s’exprime, c’est normal ; comment sans optimisme envisager de tels projets gigantesques ?
Je me souviens d’un président de société minière sud africaine qui promit en 2001 de coruscantes productions de matières stratégiques pour 2006. Elles n’ont jamais été réalisées ; en 2010 les quantités étaient toujours 40 % inférieures aux objectifs de 2006. Dans ce cas, les conséquences furent limitées car les gisements ne furent jamais acquis à un prix exorbitant.
Le prix
L’action UraMin cotait sur le marché londonien environ 50 pence fin 2006, une capitalisation d’environ 300 millions de dollars.
Le « National Post » l’indique, en février 2007 l’intérêt de la société
nationale est devenu formel et le 20 février UraMin diffuse
l’information qu’elle étudie « ses options stratégiques ».
La vie ne s’arrête pas lorsqu’on évalue sa stratégie, et, quatre mois
plus tard, le prix d’UraMin retenu (moyenne des 20 jours de Bourse
précédant le 8 juin plus 20 %) est devenu un tout englobant aussi bien
des ressources minières, une apparition fugitive, 8 mai-4 juin, de Kamas
et Dabala et des placements privés intercalés. En juin 2007, le titre
cote plus de 400 pence et le prix de vente est de 2,5 milliards de
dollars.
Pour le moment, le ratio des coûts (ces 2, 5 milliards ajoutés au milliard d’investissement de Trekkopje plus les futurs coûts de l’exploitation minière namibienne) divisés par la quantité d’uranium de l’ancien UraMin, qui serait exploitable dans une chaine géopolitico-logistique raisonnable, donne un résultat en $/kg diffusant des ondes dirimantes s’il est comparé au prix de marché de l’uranium.
OPA
La première qualité d’une OPA reste sa tranquillité. Les chiffres
donnent le vertige, pendant la période d’étude, l’action UraMin
quadruplait, elle était multipliée par huit en 8 mois. Un comportement
peccamineux, mais « bonanza » pour les fondateurs, les actionnaires
historiques et les autres qu’ils soient à Bruxelles, Genève ou Londres.
De plus, dans l’acquisition d’UraMin (2007) comme dans celle de Weda-Bay
par Eramet (2006) on sera étonné de distinguer des constituants
homogènes : deal-makers, vecteurs boursiers, faisabilités…
Si l’on avait suivi un investisseur avisé, le capital eu été multiplié
par près de 1000 entre une entrée dans Weda-Bay en 2005 et une sortie
par UraMin en 2007. Des interrogations sont robustes, mais écourtons ce
billet déjà long.
Courte digression avant de conclure. Les mines
de la société nationale seraient évaluées entre 3 et 5 milliards
d’euros sur une valeur d’entreprise de 10 milliards. Elles n’intègrent
sans doute pas les mêmes contraintes : ressources /réserves, richesses
des gisements, géopolitique, coût de production… Mais, à la médiane, à 4
milliards d’euros par exemple, à combien seraient comptabilisés les 2,5
milliards de dollars (l’équivalent aujourd’hui de 1,75 milliard
d’euros) engagés pour UraMin ?
Dernière digression, un pôle minier c’est bien, un pôle métallurgique
c’est bien aussi : l’angle Auber&Duval-Erasteel-Aperam-Constellium
permettrait-il des synergies bipolaires ?
Conclusion
La croissance d’un pôle minier en France demandera une vision, des qualités, des compétences et des annales différentes.
Dans le monde des exploratrices, des exemples du passé, parfois tragiques, tels Bre-X Minerals ou bien Southwestern Resources, rappellent que pour croître il ne faut négliger aucune étape managériale : avoir une vision, une connaissance du marché, éviter l’achat au sommet du cycle, respecter la confidentialité et les études itératives de faisabilité, et puis, écouter l’ingénieur résistant : celui qui dit non.