L’aluminium de Rusal est une occasion en or

Pour comprendre la Russie il est nécessaire d’y voyager loin, en profondeur, dans son intérieur ; pour comprendre Rusal et sa probable introduction en Bourse sur Euronext (compartiment investisseurs qualifiés) et à Hong-Kong (placement public), j’étais à l’usine de Saïanogorsk, petite ville des steppes de Sibérie-Orientale postée aux pieds d’une station de sport d’hiver des monts Saïan.

Quatre tonnes de bauxite affinées produisent deux tonnes d’alumine, ces deux tonnes une fois électrolysées, produisent une tonne d’aluminium.

La bauxite de Rusal arrive des quatre coins du monde – Australie, Vietnam, Guinée, Jamaïque, Russie… – pour être transformée en alumine à Nikolaïev en Ukraine. La transformation d’alumine en aluminium consomme d’énormes quantités d’énergies, elle est donc transportée en train d’Ukraine vers les usines Rusal situées en Sibérie-Orientale, où l’hydroélectricité est bon marché et abondante. A la sortie d’usine, l’aluminium destiné aux clients asiatiques est expédié en huit jours à Shanghai par train jusqu’au port du pacifique de Vanino puis par bateau ; pour les clients occidentaux, les trains partent vers l’Europe via les ports de Saint-Pétersbourg au nord et Novorossisk au sud. Cette logistique export coute en moyenne 15$/t d’aluminium et l’ensemble de cette organisation industrielle reste sans doute le point fort de la société.

L’opération d’introduction en Bourse de Rusal conjointement à Paris et Hong Kong présente de nombreux aspects intéressants pour les parties prenantes sous quatre aspects : l’électricité, l’actif industriel, le marché de l’aluminium et la place de Paris.

1) Selon Rusal, les investisseurs asiatiques qui ont été approchés et ont indiqué un intérêt pour devenir actionnaires sont principalement des fonds souverains ou fonds privés chinois, des investisseurs privés et des sociétés chinoises du secteur de l’aluminium.

Bien qu’investir dans Rusal corresponde parfaitement à la course pour les matières premières qu’elle a engagée depuis plusieurs années pour répondre à ses objectifs stratégiques, il est remarquable que la Chine, premier producteur d’aluminium au monde, et quasiment autosuffisante (elle produit 33% de la production mondiale et en exporte très peu) puisse être enthousiaste à l’idée d’investir dans un concurrent étranger représentant environ 10% de la production mondiale.

Toutefois, c’est une excellente opportunité car cette relation capitaliste favorise l’accès indirect aux ressources hydroélectrique de Sibérie-Orientale, électricité qui fait défaut de manière régulière en Chine. Et donc nous traduisons que la participation chinoise au capital de Rusal sécurisera un approvisionnement en aluminium ; elle favorisera la disparition des productions d’aluminium chinoises peu productives (50% de la production chinoise à un cout de 2500-2600$/t) ; elle donnera indirectement accès à l’hydroélectricité sibérienne et soulagera le réseau électrique chinois qui se redéploiera de la production d’aluminium vers d’autres industries et vers les ménages. Pour aller au bout du raisonnement, cette stratégie substituant une électricité propre à l’actuelle (75% charbon) soutiendra à Copenhague une partie de l’engagement chinois de réduire son « intensité carbone » de 40-45% d’ici à 2020 par rapport à 2005.

2) L’approvisionnement en aluminium à long terme est la garantie nécessaire à cette vision chinoise et Rusal y répond avec les actifs industriel uniques :

· Des ressources en bauxite dans le monde entier estimées à 80 ans de consommation

· Des coopérations dans la production d’électricité avec RusHydro et bientôt avec UES. D’ailleurs, permettez cette digression sur les conséquences du malheureux accident du 17 août dernier survenu sur les installations électriques du barrage de Saïano-Shoushenskaïa principal fournisseur électrique des usines de Saïanogorsk. Ce jour la c’est une production électrique de 4 GW qui a subitement cessée, l’équivalent de 2.5 EPR type Flamanville. Je n’ose imaginer les conséquences sur le réseau européen si une telle puissance disparaissait soudainement mais chez Rusal l’électricité est réapparue à peine deux heures après l’explosion. La production hydroélectrique de Sibérie-Orientale est abondante, il y a 46 GW d’installés dont la moitié est sous utilisée.

· Les 5 autres usines du groupe et les 3 nouvelles en construction situées dans un rayon de 1000 km à l’ouest, au nord et à l’est de Saïanogorsk sont neuves, en cours de construction ou bien rénovées. C’est un investissement de 2 à 3 milliards $/an depuis 3 ans et ceci explique largement la dette. Notons ici que l’entreprise lyonnaise REEL équipe les usines les plus récentes.

· Un management renouvelé, jeune et expert. Le passage des cuves d’électrolyse A300 vers l’A400 (gain de productivité de 30%) puis vers les A500 est réalisé en interne.

· Une proximité du marché chinois et un coût de transport compétitif.

C’est incontestablement une stratégie gagnant-gagnant qui nouera entre eux par le haut de bilan et autour d’exceptionnels actifs un consommateur stratégiquement court d’aluminium (urbanisation, transport et industrialisation chinoises obligent) et un producteur structurellement long. C’est une occasion en or pour les investisseurs asiatiques qui regretteront peut être que Rusal ne soit pas endetté plus lourdement afin de répondre à une ouverture de capital supérieure aux 10% évoqués.

3) Après la chute de 2008 et la reprise de 2009, les prix de l’aluminium trouveront les moyens de se stabiliser si des fermetures d’usines de production chinoises que nous évoquions plus haut se réalisent. Coté consommation, l’aluminium bénéficie de son prix trois fois moins cher que le cuivre et de l’offre de produits de substitution à base d’aluminium eux aussi bons conducteurs. Chaque année ces derniers gagnent des parts de marché notamment dans la câblerie électrique, la construction, l’électronique.

4) La cotation de Rusal à Hong Kong et Paris est assurément une bonne occasion pour ces places financières. L’ile chinoise est l’endroit où il faut être pour séduire les investisseurs asiatiques. Paris bénéficie de la profondeur et de la liquidité de son modèle transatlantique, pertinence des choix d’Euronext reconnue par les dirigeants de Rusal.

Concluons sur cette idée qu’à l’orée de 2010, l’année croisée France-Russie, cette cotation à Paris sera le moyen de faire plaisir aux nostalgiques de la cotation de Péchiney
Publié dans Les Échos le 0 11 2009