Le marché efficace du caoutchouc fait face à plusieurs grands enjeux

Les tremblements de terre ont-ils une incidence sur la production de pneumatiques ? C’est la question que je me posais après une conférence sur le caoutchouc organisée par l’excellent Fabrice Maille de Reuters, où Martin Rouveyre et Bruno Muret insistaient sur la localisation asiatique de la culture de l’hévéa. Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Vietnam représentent près de 80% des 10 millions de tonnes de caoutchouc naturel produits dans le monde chaque année (l’Asie plus de 90%). Le reste est dispersé sur l’île de Hainan en Chine, dans le sud de l’Inde, au Cameroun, Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire, Liberia… Au Brésil il y a peu de production en raison de la contamination de l’hévéa par le champignon MicrocyClus ulei.

Sans en savoir plus sur la production mondiale de caoutchouc et les mouvements de terrain, la caractéristique de ce marché est la stabilité des opérateurs. Des mondes divers coexistent dans la production avec le monopole d’état (Vietnam), les pays où se croisent les grandes plantations publiques, privées et les petits planteurs (Cameroun, Côte d’Ivoire…), la grande plantation privée du Liberia, les grandes plantations qui accompagnent les petits planteurs (la Malaisie et l’Indonésie) et la Thaïlande où les petits planteurs dominent.

La consommation du caoutchouc c’est à 75% du pneumatique, le reste est consommé principalement dans les pièces antivibratoires, la santé…
Les grands du pneumatique ont choisi des stratégies différentes pour s’approvisionner. Certains possèdent des plantations comme celle du Liberia. D’autres équilibrent chaque jour leur position caoutchouc en achetant les quantités qu’ils vendent sous forme de produits, évitant ainsi une nature spéculative à leurs achats. Certains font des enchères et, enfin, les derniers ont tout simplement des contrats à long terme. Rien que de très usuel.

Plus intéressant sera la politique de fidélisation entre producteurs et acheteurs. Ces derniers ont parfois mis en place une véritable équipe mondiale d’agronomes, de scientifiques et de gestionnaires pour aider les planteurs à administrer leurs entreprises, choisir les meilleures races d’hévéas voire faire de la recherche pour trouver des génotypes plus productifs et résistants. Là, le marketing achat est poussé à l’extrême, c’est un état dans l’état.

Outre l’impact des phénomènes météorologiques liés au à « El Nino », qu’il est difficile de quantifier, les enjeux sont de cinq ordres :

1/ Le pétrole est à la base des 10 millions de tonnes de caoutchouc synthétique fabriquées chaque année. Ces débouchés sont directement liés à la disponibilité et au prix de l’énergie. En cas de difficulté, le caoutchouc naturel ne pourra peut être pas s’y substituer totalement. En effet, le foncier est limité, l’hévéa ne pousse que sur une mince bande de terre de part et d’autre de l’Equateur, et ne permet pas de doubler la production immédiatement. Cependant, rééquilibrons cette restriction en émettant l’hypothèse que des terres sud-américaines seront utilisées avec les génotypes d’hévéas résistants au champignon brésilien Microcylus ulei. Génotypes qui ont été récemment confirmés.

2/ Qui fera ce métier dans 20 ans ? La hausse des coûts de production est à prendre en compte dans les futurs prix du caoutchouc naturel. Cette culture est difficilement mécanisable et la structure du coût de la main d’œuvre asiatique peut se modifier alors que le niveau de vie augmentant, la population travaillera avec plus de réticence dans les plantations. Y aura-t-il des tensions suite aux flux migratoires d’aujourd’hui d’Indonésie et du Bengladesh vers la Malaisie, de la Birmanie vers la Thaïlande… ?

3/ Les campagnes de coupes et de replantages d’hévéas sont un investissement financier lourd qui bénéficiera à la prochaine génération humaine. L’arbre doit être coupé, la souche enlevée, le sol préparé et une nouvelle pousse génétiquement plus avancée commencera à produire 6 ans après. L’arbre est stimulé seulement pendant 20 à 25 ans en exploitation industrielle pour conserver une forte densité à l’hectare.

4/ Parfois la coupe d’hévéas sera un prétexte pour planter des palmiers. Cette préférence de l’huile de palme se justifie car l’arbre produit à 3 ans (contre 6 ans) et elle a des applications dans les biocarburants. En revanche, l’hévéa a un bilan carbone incomparable car le bois et le latex sont exploitables. Enfin, les deux arbres poussant sur une bande de terre identique rentreront bientôt tout deux en concurrence avec les cultures vivrières indispensables à la croissance démographique…

5/ La concurrence de nouvelles matières. Par exemple, les matières polymères à base d’huiles végétales provenant du colza, du pin, du maïs… mises au point par l’ESPCI et Arkema. Mais les applications doivent être confirmées ainsi que le coût.

Aujourd’hui le caoutchouc naturel est un marché qui fonctionne bien car, comme dans tous les marchés agricoles, les enjeux commandent plus qu’ailleurs que producteurs et consommateurs partagent une vision commune.
Publié dans Les Échos le 20 11 2009