Rien n’est plus simple que le marché de l’uranium civil mais rien n’est plus obscur non plus.
Simple car un petit nombre de producteurs et de consommateurs, mais
obscur au regard de transactions confidentielles et de la coexistence de
deux prix de marché (spot et long terme).
Pourtant, nos anticipations d’une augmentation des cours se confirment pour quatre raisons.
L’engagement des programmes
15 % de l’électricité produite dans le monde est d’origine nucléaire en 2009. Pendant les années 80 ce sont près de 220 réacteurs d’une taille moyenne de 925 MW qui divergeaient, un tous les 17 jours. Le monde connaîtra vraisemblablement dans les quatre prochaines années un nouveau réacteur de 1000 GW chaque 25 jours, puis, dans les cinq années suivantes, c’est probablement un réacteur tous les 12 jours qui divergera sous l’impulsion notamment de l’Asie.
Cet effort gigantesque, composé de fortes disparités géographiques, ne représente « que » 30 % environ d’augmentation des capacités de production. Toutefois les prochaines charges initiales et les futures recharges des cœurs nucléaires augmenteront largement la demande d’uranium.
Notons au passage la réussite japonaise à constituer le Jined, un consortium d’exportation de centrales nucléaires japonaises constitué de neuf électriciens (Tepco, Kansai, Chubu, Hokkaido, Tohoku, Hokuriku, Chugoku, Shikoku, Kyushu) et trois constructeurs (Toshiba, Hitachi, Mitsubishi). Deux jours après sa création officielle ce GIE remportait un appel d’offre pour deux centrales au Vietnam (une contrepartie serait l’exploitation de terres rares vietnamiennes au bénéfice d’intérêts japonais). Douze partenaires, un succès… il y aurait beaucoup à dire.
Hausse de la demande d’U3O8
En Chine, treize centrales produisent 8,5 GW et l’objectif officiel pour
2020 oscille, dans les médias, entre 40 GW, 80 GW et 112 GW installés.
C’est pourquoi l’état chinois accumule des réserves importantes d’U3O8
(oxyde d’uranium, ndlr). D’autres pays ont des programmes similaires.
Sur les neuf premiers mois de 2010 la Chine importait plus que sur les
trois dernières années ; ces achats de stockage sont supérieurs à 12
mois de vente de Cameco ou bien du pôle minier d’Areva.
Dans le même temps, des producteurs intervenaient sur le marché spot pour acheter de l’uranium. Les uns pour contrecarrer des difficultés de production et ne pas faire défaut sur des contrats de livraison à long terme ; d’autres mineurs ainsi que des consommateurs plus ou moins discrets jugeaient les prix très bas et s’ouvraient aux bonheurs du trading. Voilà une perspective à contempler avec attention.
Enfin, n’oublions pas les nombreux investisseurs qui participèrent à l’envolée des prix de 2007. Récemment des fonds d’investissement ainsi que d’autres acheteurs divers et sympathiques renouaient avec un intérêt qui n’a jamais totalement disparu depuis 2005.
Réattribution du recyclage militaire
L’accord russo-américain de recyclage d’uranium militaire en uranium
civil initié en 1993 arrive à maturité au plus mauvais moment pour les
Etats-Unis, en 2013. Ce contrat subvient à environ 40 % des besoins
américains en uranium civil. Cet accord non renouvelé, ce sont 10 à 15 %
de l’offre mondiale qui seront redéployés probablement vers le marché
intérieur russe et à l’exportation vers les acheteurs de centrales
nucléaires russes. Si les Etats-Unis disposent d’un stock stratégique de
secours ils devront aussi se fournir ailleurs, au vrai prix du marché,
troublant un peu plus un marché futur sensible, étroit et tendu.
Hausse de la production
Élémentaire par ses sociétés minières privées et originale par ses sociétés publiques, la production d’uranium connaît une terre promise, le Kazakhstan. Troisième producteur mondial en 2007, ce pays d’Asie centrale est le leader mondial incontesté en 2009. Il produira bientôt 60 % de plus que son second, le Canada. Au global, les coûts de production laissent en moyenne des marges acceptables aux sociétés minières avec une grande disparité cependant.
Les nouvelles grandes mines sont plus coûteuses et il n’est pas certain que ces hausses de production soient pérennes et suffisantes pour équilibrer les marchés. En effet, certaines régions du monde connaissent et connaîtront des difficultés. En conséquence, le parfum de succès entourant un dernier ETF mines d’uranium lancé il y a quelques jours aux Etats-Unis n’est pas surprenant.
En conclusion, les producteurs d’électricité accentuent la prise de participations dans les mines d’uranium, comme cela était le cas entre électriciens nord-américains et mineurs d’uranium dans les années 80 pour, d’une part, sécuriser l’approvisionnement et, d’autre part, d’une certaine manière, hedger le coût actuel et futur de l’uranium. D’autres consommateurs multiplient des contrats à long terme (prix, quantités, origine). C’est dans ce contexte que des actions politiques sortent l’extrémité minière du pôle nucléaire français d’une longue viduité stratégique.
Les prix de l’uranium spot à 60 dollars se sont appréciés de 45 % depuis cet été et les prix long terme rejoignent les niveaux de 70-80 dollars. Ces derniers s’apprécieront de nouveau lorsque que le spot s’approchera des 80-100 dollars