In Les Échos le 04 02 2013
En 2011, les prix du nickel rentraient dans un entonnoir et il y a peu de raison qu’ils ne sortent durablement de cette bande située entre 13. 500 et 17.500 $ dollars la tonne pour deux raisons.
La consommation chinoise domine le monde du nickel, elle reste dynamique mais elle est abondamment satisfaite par sa propre filière fonte de nickel qui s’approvisionne aux Philippines et en Indonésie. Dans le reste de la consommation mondiale certains secteurs restent dynamiques, les aciers pour l’énergie par exemple, mais d’autres souffrent de produits de substitution sans nickel.
Six pays comptent dans la production du nickel : l’Indonésie, les Philippines, la Russie, le Canada, la Chine et la France via la Nouvelle–Calédonie. Mais l’offre ne cesse d’augmenter avec des projets miniers arrivant à maturité (Australie, Brésil, Europe, Madagascar, Nouvelle-Calédonie, Papouasie-Nouvelle Guinée, …) et d’autres sont en projet (Canada, Côte-D’ivoire…) ; l’équilibre offre/demande est en risque d’excédent récurrent sur le moyen terme et les stocks mondiaux sont élevés.
Doctrines
En général, les pays producteurs de nickel se distinguent des pays consommateurs de nickel par des Doctrines Ressources Naturelles opposées. Les premiers recherchent à maximiser la rente minière à l’aide d’une fiscalité adaptée et en améliorant sans cesse la rentabilité de leurs mines. Les seconds minimisent le coût d’acquisition en intégrant le plus possible l’amont de la chaine de valeur.
Trois exemples du côté des producteurs.
– La taxe russe sur les exportations de métaux permet à
l’entreprise leader mondial de la production de nickel, Norilsk Nickel,
de contribuer substantiellement aux recettes fiscales de la Fédération
de Russie.
– Plus au sud, au cours de l’année 2012, le pays leader dans l’exploitation du nickel, l’Indonésie, renchérissait la taxe export du minerai brut de nickel très largement expédié en Chine. En réaction, les exportations de Djakarta vers la Chine s’effondraient pendant l’été au profit de celles de Manille vers Pékin, mais en fin d’année 2012 elles reprenaient de plus belle (et continueront probablement sur cette lancée en 2013) avant que les autorités indonésiennes ne mettent en œuvre des conditions réglementaires plus restrictives en 2014 au bénéfice d’une industrie métallurgique locale.
– Mais il existe aussi des pays qui refusent toute recherche d’une rente, dernièrement l’ile Choiseul de l’archipel des iles Salomon privilégiaient son environnement et refusait l’exportation de minerai de nickel vers le Japon.
Deux exemples du côté des consommateurs.
– Le Japon intègre de la valeur en important depuis des années un
produit intermédiaire, du ferro-nickel, plutôt que du nickel pur.
– Depuis quelques années, la Chine capte elle aussi l’amont de la
chaine de valeur via la filière de la fonte de nickel. Le processus
évite encore plus les étapes intermédiaires en traitant directement dans
l’empire du milieu les minerais de nickel importés d’Indonésie et des
Philippines dans des fours disposés « en ligne » avec des aciéries
chinoises ; depuis 2008, les importations étaient multipliées par plus
de 6.
Cette classe de minerai peut également se substituer partiellement aux importations de minerai de fer notamment lorsque la teneur en nickel est faible. 2013 marque le début de la modernisation de ce procédé, de nombreux fours électriques plus respectueux de l’environnement seront disponibles et naturellement ils sont moins couteux, environ 30%, que les anciens procédés.
Fonte de nickel – Nickel Pig Iron
Rarement une innovation industrielle en aval des mines aura autant structuré son marché amont. Les conséquences sont multiples :
– une diminution des importations chinoises de nickel « classique »
– une grande fragilisation des mines de nickel les plus onéreuses,
– la nécessité de percées technologiques pour mettre en œuvre de nouvelles mines,
– la perte relative du lien entre nickel métal (et le ferro-nickel) et de la fonte de nickel et donc de leurs prix respectifs,
– et par conséquent l’apparition de trous d’air dans la courbe de
prix du nickel métal qui fragilisent encore plus les mines les moins
économes.
– La stratégie est idéale pour permettre à la Chine de devenir un exportateur d’aciers inoxydables.
Véritable soupape, la filière fonte de nickel chinoise fait barrage aux hausses de prix intempestives et elle perd son élan sous les 14000 dollars la tonne ; ce seuil baissera au fur et à mesure que l’énergie électrique chinoise sera plus disponible et que son prix diminuera.
Désormais, la question de la survie des sociétés minières traditionnelles situées vers les zéniths de la courbe des coûts trouve une réponse incertaine. Et, pour écouler profitablement son nickel un mineur trouvera un intérêt à être présent dans la filière fonte de nickel asiatique, ou bien déjà disposer d’usines aux procédés hydro-métallurgiques de traitement de latérite ou enfin valoriser les métaux mineurs contenus dans le gisement de nickel (cuivre, platinoïdes, cobalt…) à la manière d’un Norilsk Nickel…
Contre-intuitivement à : « les coûts de production de ressources naturelles augmentent avec la raréfaction des ressources facilement accessibles », ici ils baissent grâce au progrès technologique ; l’effet de la fonte de nickel sur les prix du nickel est une métaphore de celui des hydrocarbures de schiste sur le prix du gaz naturel.
Nouvelle-Calédonie
A Nouméa il y a quelques jours, j’exposais ces faits objectifs à la demande d’acteurs de la collectivité calédonienne avant de les commenter en métropole à quelques décideurs.
La Nouvelle-Calédonie gagnera cette année plusieurs places vers le haut dans le classement des producteurs de nickel parce que des entreprises minières de classe mondiale, SMSP-Xstrata et Vale, mettent en production deux nouvelles usines d’affinage de nickel, aux technologies différentes l’une de l’autre, pyro-métallurgique au nord hydro-métallurgique au sud.
Ces deux usines dépassent dans de nombreuses dimensions les limites naturelles de la troisième, l’historique usine de la SLN. D’autres mineurs calédoniens, indépendants de ces groupes, exploitent des mines et vendent le minerai à l’étranger sans l’affiner.
Ces sociétés minières sont complétées par au
moins quatre usines outre-mer qui agissent dans le cycle de la
transformation du nickel calédonien :
– une première usine sans capitaux calédoniens est située en Australie,
– deux autres usines avec de très fortes connexions ou capitaux
calédoniens sont situées l’une dans le département du Nord en métropole
et l’autre en Corée,
– une quatrième usine est en projet en Chine avec également des capitaux calédoniens.
Les usines de Corée et de Chine sont dans la filière acier.
Doctrine Producteur Calédonienne ?
Si les transferts financiers en provenance de Métropole sont le moteur de l’économie calédonienne, le moteur de l’industrie calédonienne est le nickel ; sans lui l’industrie est fragile. Le nier serait contredire l’importance du cuivre dans l’économie chilienne, éluder le secteur minier australien, oublier les hydrocarbures du Golfe mais aussi marginaliser l’impact des nouvelles capacités de production calédoniennes qui seront multipliées par trois.
Une objection à cette affirmation reste cependant la modeste contribution fiscale minière, en moyenne moins de 5% des recettes fiscales locales sur les dix dernières années.
La seconde contradiction réside dans l’ensemble international formé par l’industrie minière calédonienne et les usines outre-mer : l’hétérogénéité des différents coûts de production de ces mines et usines révèle qu’une absence d’aggiornamento élève périlleusement les coûts de quelques-unes au dessus du prix du nickel. Comme le disent quelques diners parisiens, d’une manière ou d’une autre, l’une des conséquences pourraient en être quelques permutations dans le haut de bilan.
L’origine de ces deux divergences réside probablement dans la pénurie d’une Doctrine Producteur calédonienne.
Les Doctrines Producteurs jouent la puissance et les plus récentes placent l’accumulation d’excédents financiers dans un fond souverain comme un pré-requis. C’est le rempart contre les contingences et la garantie de financer l’éducation, les infrastructures et l’électricité des générations futures ; en général l’ensemble est doté d’une gouvernance et une transparence inscrites dans la loi.
L’histoire plaça le développement de l’industrie du nickel calédonien devant d’autres objectifs, l’île joue d’une miscellanées d’influences pour attirer des investissements mais avec un savoir géologique insuffisant, une vision stratégique retenue et sans accumuler d’excédents financiers parce que la captation de la rente est affaiblie.
Géologie
La Nouvelle-Calédonie est loin de maitriser la connaissance de son sous-sol et les prévisions de production exprimées en nombre d’années sont assez probablement erronées : 63.3% des titres miniers en cours de validité (48.7% de la superficie concédée) n’ont pas fait l’objet de recherches en profondeur. L’ampleur de la sous-évaluation du gisement de Koniambo lors du premier préalable minier est à cet égard révélatrice.
Si la géologie calédonienne était mieux connue, l’île aurait des certitudes et non pas la réputation de disposer du quart ou du tiers des réserves mondiales de nickel (elle produit moins de 8% du nickel mondial) ; certitudes aussi à propos d’autres métaux qui furent exploités dans le passé (antimoine, chrome, cobalt, cuivre, fer, manganèse, or, plomb, zinc) ou encore d’autres jamais valorisés (scandium, platinoïdes) voire des hydrocarbures au large de ses cotes.
L’industrie sidérurgique chinoise est certes grande consommatrice de nickel mais également de manganèse australien et aussi de chrome sud-africain (un sous-produit des mines de platinoïdes).
Vision stratégique
La Nouvelle-Calédonie expédie du minerai de nickel pour raffinage outre-mer depuis 1875, elle affine aussi du minerai sur son territoire grâce à ses trois usines.
Assez curieusement, l’élaboration d’une vision stratégique devient un débat qui confronte le volume de valeur ajoutée distribué par les usines outre-mer à celui des usines locales sans s’attacher à la rentabilité ni, semble-t-il , centrer son raisonnement sur les éléments du marché mondial du nickel : les souhaits des clients, les effets de la concurrence, le marketing, les produits de substitution, l’adaptation aux périodes de croissance ou de stagnation mais également la fusion entre les sociétés minières car l’exercice réclame une cohérence prospective. La production de nickel calédonien est au faîte, certes, mais ses potentiels humains et environnementaux atteignent un seuil critique.
Ces divergences provoquent des fractures liées probablement à l’absence d’un leadership industriel affirmé par l’histoire. Et cette carence ne put devancer les dissensions en imaginant des sorties par le haut, par exemple : la maitrise des coûts pour croitre ensemble, l’exportation temporaire de minerais pauvres dans le but d’accumuler des revenus puis les réinvestir dans une filière locale, la valorisation des métaux mineurs, l’acquisition et l’exploitation de gisements à l’étranger, l’exportation de savoir faire miniers, la réhabilitation post-mines, l’intelligence économique appliquée au nickel… Bref ce que fait toute la communauté minière mondialisée, il y aurait beaucoup à dire.
Rente et Fiscalité
Selon mes interlocuteurs à Nouméa,
l’augmentation des dépenses de la collectivité (démographie à plus 25% à
2030) et la réduction de ses recettes apportées par Paris nécessiterait
un équilibrage des futurs budgets par une baisse des dépenses et une
fiscalité plus créative (les ressources tirées des moins de 100 000
foyers fiscaux locaux seraient insuffisantes). Mais de l’impôt sur les
sociétés à la rente minière en passant par les dividendes, la mine
calédonienne serait un nain fiscal.
L’île subirait un déficit d’impôts car, comparer à d’autres pays
producteurs de ressources naturelles, l’exploitation du nickel offrirait
un bien être fiscal pour au moins deux raisons.
– D’une part certains investissements ouvrent le droit au régime de la défiscalisation métropolitaine, se traduisant par une économie fiscale de 30% sur les montants d’une partie de l’appareil productif. De plus, une société minière agrée bénéficie d’exonérations fiscales quasi totales pendant 15 ans à partir du moment où sa production atteint le seuil de 80% de la production nominale ; puis une exonération de 50% pendant les 5 années suivantes.
Naturellement cette configuration peut étonner
face à de courtes durées de vie d’usines qui nécessitent le
renouvellement régulier d’investissements amortissables ; elle peut
aussi être questionnée face à la durée de vie des gisements.
– D’autre part, à l’inverse d’autres pays producteurs, il n’existe pas encore de taxe sur la production de métaux et minerais.
La conséquence est une certaine insensibilité de la fiscalité calédonienne aux hausses et baisses des cours du nickel. Ces vecteurs fiscaux insuffisants attirent les thèses du Nationalisme des Ressources les plus dogmatiques. Ces dernières sont cependant sans issue car l’histoire nous indique avec insistance qu’elles se méprennent le plus souvent sur la valeur du capital humain et de la concussion.
Conclusion
La Nouvelle-Calédonie est dans la mondialisation pour ne pas la subir, et des questions restent en suspend : a-t-elle acceptée les règles de la course mondiale aux ressources naturelles ? Peut-elle accepter une vision stratégique industrielle commune à tous ? Peut-elle réformer sa fiscalité ? Peut-elle construire les règles de gouvernance et de transparence qui privilégieront un fond souverain ?
Les réponses manichéennes sont à réprouver immédiatement car des forces sont en mouvement pour faire évoluer le corpus sur au moins trois points.
Depuis 2009 la collectivité dispose d’un nouveau code minier plus respectueux de l’environnement qui oblige le mineur à sonder ses concessions en profondeur sous peine de retrait. En outre, un courageux programme de prospection et d’analyse du sous-sol est lancé par l’administration des mines (Dimenc) pour découvrir de nouvelles substances.
Enfin, des visions communes, stratégique et fiscale, sont en gestation chez une nouvelle génération mixte, mais elles manquent encore d’un mentor.
Justement, ce dernier ne pourrait-il pas être l’administration calédonienne en charge de l’Aménagement et de la Planification ? La réforme qu’elle anticipe se conclue par la création fond souverain. Recueillant ses revenus de l’exploitation des ressources naturelles, ses excédents feraient face aux besoins immédiats et le solde serait placé à la manière des fonds souverains du Golfe, de la Russie ou de la Norvège pour subvenir aux nécessités des générations futures quelles soient éducatives, structurelles, financières,… C’est le fameux « avoir du nickel en banque plutôt que du nickel en terre » pour que le nickel reste Pacifique en Nouvelle-Calédonie.