In Les Échos le 17 06 2013
Il faisait exceptionnellement beau à Paris ce jour du mois de juin, mais l’actualité débordante de l’Europe Centrale illustrait que l’excès d’eau, une ressource naturelle pas comme les autres, provoque des troubles. Ces images du Mitteleuropa me rappelaient la prochaine inondation de l’Ile de France. Le thème engendre un sentiment mêlé de romantisme lorsque l’on contemple les photos parisiennes de la crue de 1910 mais également d’angoisse.
Les photos de la crue parisienne de 1910 sont romantiques à un double titre. L’amoureux du Paris d’aujourd’hui ressent un intérêt nostalgique et historique à reconnaitre sur une photo en noir et blanc une rue que l’on connait parce que l’on y passe tous les jours, son immeuble, ou son quartier. Le tout est peuplé de gens aux fenêtres qui hèlent des barques flottant au niveau des premiers étages. Et puis dépassant l’intérêt pour l’exceptionnel de l’évènement, pour peu que l’on apprécie Venise on rêvasserait aux Champs-Elysées transformés en Grand Canal, la place Sainte Catherine en Campo Santo Stefano, le Panthéon en San Giuorgio Maggiore et les bateaux mouche en Vaporetto…
La catastrophe
Arrêtons cette divagation, Paris inondée sera une catastrophe. C’est d’ailleurs le risque de catastrophe naturelle française numéro un devant celui du tremblement de terre de le Côte-d’Azur.
Cette nouvelle crue centennale est un évènement certain et ses conséquences seront européennes après avoir été parisiennes, franciliennes puis françaises.
Le choc humanitaire
Premièrement, Paris inondé signifie qu’une grande partie de l’Ile de France sera elle aussi inondée. Plus de 500 communes si nous en restons au niveau de 1910 mais rien ne garantie cette limite historique qui comme chaque frontière ne demande qu’a être dépassée…. De plus, si la Seine déborde qu’en sera –t-il de son amont, de la Marne, de l’Yonne mais aussi de la Loire, la Somme, le Rhône … l’inondation multiple est une conviction experte.
Restons-en cependant à l’Ile de France et aux bornes de 1910 tout en conservant à l’esprit des effets plus importants au delà de cette limite et des conséquences identiques dans le couloir rhodanien, la zone Tour-Angers-Nantes, etc.
Deuxièmement, souvenons-nous de l’exemple de Xynthia à la Faute sur Mer. L’Ile de France qui sera victime de la crue n’est plus celle de 1910. Les zones inondables sont désormais urbanisées à hauteur de 90 % sur la Marne et la Seine : Vitry sur Seine, Créteil, Maisons-Alfort, Suresnes, Levallois Perret, Colombes, Gennevilliers, Villeneuve la Garenne, Rueil-Malmaison….
Par ailleurs, dans Paris, le Palais de l’Elysée sera dans l’eau de même que quelques ministères voire le nouveau Pentagone, l’Assemblée Nationale sera une ile, la Gare Saint-Lazare et la gare de Lyon seront des plages, le Marais retrouverait son éponymie … La simulation ci-jointe ne semble pas exagérée.
Par conséquent, le chiffre d’habitants directement touchés risque de dépasser les 2 millions. C’est-à-dire 2 millions de personnes qui faudra déplacer ou reloger parce leur logis est sous l’eau ou inhabitable, leur appartement inaccessible depuis le voisin du deuxième étage n’apprécie plus que l’on débarque par sa fenêtre pour rejoindre l’appartement du 6 étage.
Certes il y a le parisien incrédule qui habite sur une hauteur et refuse d’imaginer qu’il sera ennuyé par les débordements. Il se trompe. Il sera lui aussi sinistré dans un quotidien sans eau, ni électricité, ni transport, ni voirie, ni essence, ni commerce, ni travail… Et peut-être, après 3 semaines de crue sera-t-il heureux d’apprendre qu’il n’est plus nécessaire d’emprunter le pont de Tancarville en Normandie pour passer du quartier Latin à la colline de Ménilmontant.
Une forte proportion des 12 millions d’habitants de l’Ile de France sera victime directes ou indirectes de la crue.
Troisièmement, certains pensent à la famille-refuge en province, mais la crue de 1910 durât 45 jours. Le déplacement prolongé de 2 millions de personnes ,en province ou bien ailleurs, pendant la crue, la décrue et le temps de remettre les choses en état voire de reconstruire des habitas et les infrastructures se comptera en probablement en années. Au total, il n’est pas exclue qu’une partie non négligeable des français subira l’impact de la crue.
Quatrièmement, l’exode de 2 millions de personnes se révèlera-t-il possible via notre organisation toute en réseaux automatisés si ces derniers tombent les uns après les autres ? Le TGV verra-t-il son électricité durablement coupée, l’approvisionnement en essence, les terminaux bancaires, les commerces, etc. … Seront-ils tous disponibles ? Quant à l’état sanitaire il sera naturellement dégradé car le service d’eau potable sera … sous l’eau.
La liste n’est pas close, les pessimistes penseront que la notion de solidarité sera mise à l’épreuve, les optimistes que la fraternité se révèlera.
Mais cessons l’impact sur la population : La gestion du choc humanitaire par la région militaire permettra sans doute d’éviter des morts et des blessés indignent d’une 5ème puissance mondiale. Inversement le choc économique est très mal anticipé et les conséquences n’ont pour limites que celles de l’imagination.
Le chaos économique insoupçonné
Certes il n’y a pas d’activité minière sur les bords de la Seine ou de la Marne, mais il y a des carrières, il y a aussi des activités énergétiques notamment de production électriques ; il y a enfin une activité agroalimentaire pénalisée par l’excédent d’eau comme le démontre actuellement les inondations du sud de la France ou d’Europe Centrale.
Mais au delà des métiers liés aux ressources naturelles il y a les services et l’industrie : le fameux déménagement du Louvre et ses touristes congédiés, les tours de bureaux sans ascenseurs, les entrepôts noyés, les transports immobilisés, la désorganisation de près de 200 000 entreprises en Ile de France uniquement…
L’ensemble donne une estimation des sinistres nécessairement inexacte car raisonner vrai avec des éléments faux conduit vers des chiffres qui seront proches, si je puis me permettre, d’un infini indéterminé, lui étant même soumis à l’ampleur et la durée de la crue. Le tout se comptabilisant sous la forme de pertes d’exploitations sans fin et une sévère contraction du PIB : les réparations pourraient devenir le chantier d’un siècle si l’on tient compte du taux renouvellement actuel d’Ile de France. Comptabiliserons-nous 30 milliards ou bien 50 milliards d’euros de dégâts ?
De plus, l’activité économique sur-concentrée de l’Ile de France à des ramifications en France mais aussi dans toute l’Europe, et c’est l’une des raisons qui encourage l’OCDE à travailler actuellement au chiffrage de l’impact d’un tel évènement à l’échelle du continent.
Même remarque que précédemment sur l’ampleur et la durée de la crue. Par conséquent, pouvons-nous repousser avec assurance des chiffres de 100 milliards ou bien 200 milliards d’Euros ?
La solution
Toutefois, l’horreur de cette anticipation catastrophique réside dans son évitement. Il existe en effet une solution qui permettrait de contenir le niveau de la crue et de participer à la réduction des dommages prévisibles. En un mot éviter le désastre. Mais elle n’est pas raisonnablement mise en œuvre : un projet pilote « à l’échelle de laboratoire » est prévu pour 2025.
La vraie solution consiste en des aménagements à moins de 100km du sud-est de la porte d’Italie sous la forme de casiers de stockage et de réhabilitation de zones humides sur le site de la Bassée pour un coût de d’environ 500 millions d’euros.
Résumons-nous
500 millions d’un coté, 200 milliards de l’autre. Impéritie francilienne ou bien culture de gestion du risque dissoute dans le principe de précaution ? La question serait provocante si les périls étaient insignifiants.
*L’Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie est attaché au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Sa formation annuelle débat de la place de la science dans la société, il dispense de nombreuses conférences gratuites et une université d’été chaque début juillet. Cette année le thème de cette université sera « la controverse scientifique »