Nouméa est gouverné par le nickel

Maintenant que les usines sont sorties de terre, la Nouvelle-Calédonie doit passer de la réflexion industrielle à la doctrine nickel.

Avec la biodiversité, le nickel est l’autre élément stratégique de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Et l’important dans l’industrie du nickel calédonienne est d’acquérir une vision commune, aussi bien entre les acteurs industriels que les forces politiques. Le tout dans le contexte d’une déprime des cours et d’un référendum décisif sur le lien qui sera choisi avec la métropole entre 2014 et 2018.

Economie du nickel et politique calédonienne forment un duo qui s’entendra sur une vision commune gouvernée par le nickel, mais cette gouvernance ne s’improvise pas. A présent que des usines sont sorties de terre dans le nord et le sud, que plus de 11 milliards de dollars y ont été investis, et qu’une autre usine calédonienne produit depuis 4 ans du nickel calédonien sur le site intégré du premier aciériste asiatique, Posco en Corée, c’est une stratégie calédonienne unique, une doctrine nickel, qui doit succéder aux réflexions industrielles.

Cette nouvelle doctrine ne peut s’arrêter à des royalties prélevées sur la production. Au contraire, tout en étant centrée sur le client et la rente, pour aboutir au fameux fond souverain calédonien, c’est en dépassant la notion de territoire nord-sud pour celle du réseau calédonien que l’on peut optimiser la valorisation de la ressource minière, les participations industrielles, le marketing offensif, l’environnement et les ressources humaines.

Pourquoi la doctrine nickel n’existe-t-elle pas déjà en Nouvelle-Calédonie ?
L’exemple historique d’une doctrine matières premières exprimée reste sans doute le discours de Thémistocle il y a 2500 ans lorsqu’il convainquit ces concitoyens d’Athènes de mettre en commun les richesses de la mine d’argent du Laurion pour financer 200 navires et vaincre l’envahisseur Xerxès à Salamine en -480, ce fut le point départ de l’empire d’Athènes.
Nouméa n’est pas Athènes, et s’il y a des réflexions depuis des années, des mallions de neutralité et d’expertise soupçonnés d’être défaillants freinent l’aboutissement d’une doctrine.
L’autre raison de l’absence d’une doctrine nickel à Nouméa semble plus locale. L’absence de contre-pouvoir à un schéma industriel unique pouvait empêcher la puissance publique calédonienne de s’emparer unanimement d’un horizon stratégique commun. Mais l’émergence de contre-pouvoirs liés à l’adaptation au marché (les 3 usines récentes : 2 locales et 1 off-shore en Corée) provoque la recherche d’un nouvel équilibre car en quelques années la production calédonienne passera de 110 000 tonnes à plus de 240 000 tonnes.

Une doctrine nickel se construira autour des thèmes suivants :
Qui connait la ressource en nickel de Nouvelle-Calédonie ? Personne, parce que cette connaissance ne cesse de s’améliorer. Aujourd’hui, il est comptabilisé à 54 millions de tonnes rentables. C’est énorme, équivalent à environ 27 ans de production mondiale, mais c’est un minimum, loin de la vérité : tout le territoire n’a pas été exploré et l’amélioration des procédés d’affinage ne cesse d’augmenter la profitabilité des gisements les plus pauvres. Par ailleurs, les derniers gisements riches qui ne sont pas encore concédés sont uniques et ils devront donner lieu à des contreparties industrielles uniques.

Les participations publiques substantielles, parfois décisives, dans l’outil industriel permettent un regard voire des décisions sur les investissements, la promotion d’un leadership calédoniens dans les fonctions de direction générale, financière, marketing … L’optimisation des flux des minerais, l’adaptation des coûts, les clefs de répartition des prix de transfert intragroupe et les politiques de dividendes que quelqu’un doit bien voter.

Or, en Nouvelle-Calédonie il existe des divergences. Trois nouvelles sociétés minières étaient créées avec trois géants : Koniambo, en partenariat avec le géant des matières premières Glencore Xstrata est détenue à 51% par les pouvoirs publics ; l’usine offshore en Corée en partenariat avec Posco est également détenue à 51% par les pouvoirs publics ; mais l’usine de Goro en partenariat avec le géant brésilien Vale ne revient que pour 5% aux pouvoirs publics. Par ailleurs, la société historique SLN en partenariat avec Eramet et le japonais Nisshin-Steel n’est détenue qu’à hauteur de 34% par les pouvoirs publics. C’est pourquoi les uniques derniers gisements riches qui seront concédés aux sociétés minières par les pouvoir publics, notamment ceux de Prony et Pernod, donneront lieu à des contreparties industrielles uniques.

Une dernière usine proche de la frontière vietnamienne en partenariat avec le géant chinois Jinchuan sera détenue à 51% par les pouvoirs publics. Notons l’exploit calédonien d’avoir obtenu 51% d’une usine située en Chine, c’est une dérogation exceptionnelle à la règle d’airain du Parti communiste chinois.

Enfin, la démographie industrielle connaissant une certaine tension et l’immigration économique massive n’étant pas à l’ordre du jour, la Nouvelle-Calédonie n’a ni les moyens humains d’une quatrième usine locale ni probablement les moyens de financer les cinq ou six milliards de dollars de cet hypothétique projet. Notons que le coût des usines offshore est en général dix fois moins élevé que les usines récentes de Nouvelle-Calédonie.

Réduire toutes ces divergences industrielles sera le point d’ancrage de la doctrine nickel et cinq éléments seront importants :
1. Des tensions internes font perdre de vue que c’est la concurrence d’autres régions du monde productrices de nickel que la Nouvelle-Calédonie affronte et non pas le nickel de Sud contre celui du Nord.


2. Tant que l’usine du nord de Koniambo et celle du Sud de Goro n’atteindront pas une production de croisière (en 2014 pour Koniambo) l’usine de SLN restera le cœur économique de la Nouvelle-Calédonie. Mais ces nouvelles usines en Nouvelle-Calédonie, et dans le reste du monde, opérant avec des coûts d’exploitation très bas, le coût moyen mondial s’abaisse tandis que les quantités produites augmentent. Par conséquent, les sociétés vétustes ne céderont aux mirages des prévisions de prix élevés proposées par des analystes excessivement optimistes. Il serait aventureux de budgéter des rentrées fiscales avec de telles prévisions et le débat redeviendra : Nickel en banque ou en terre.


3. Bien que la Nouvelle-Calédonie recèle 25% à 30% des réserves mondiales de nickel, il n’y pas de marketing offensif consacré au nickel à Nouméa. A la question « quelles sont les prévisions du prix du nickel ? », la contradiction historique est qu’une partie de la réponse est à Nouméa chez les producteurs tandis que l’autre partie se trouve chez les clients de la Nouvelle-Calédonie. Mais Nouméa n’interroge jamais ces derniers. La synthèse marketing est possible si le client est placé au cœur de la nouvelle doctrine nickel. Gouverner par le nickel c’est prévoir son prix, optimiser sa production, ses ventes et son environnement grâce à l’intelligence économique. Plus les points d’adhérence entre la Nouvelle-Calédonie et le marché du nickel seront nombreux, mieux le marketing offensif s’en portera. Justement, une première stimulation sera les clients de la filière de commercialisation du minerai pauvre, et notamment de l’analyse de flux d’informations provenant d’usines calédoniennes offshore.


4. La rente métal apportée par des usines d’affinage calédoniennes offshore améliore considérablement la compétitivité minière, c’est un fait, une réalité qui s’impose à tous et ce revenu financier s’ajoute à l’intérêt marketing précédent. En outre, il y a un gain commercial : si le marché est en surproduction, si le prix du nickel est bas, si les clients n’achètent pas, alors lorsque l’usine calédonienne offshore (dont la taille critique et la durée de vie sont des paramètres variables) est intégrée chez l’aciériste en Corée, au Japon, en Chine ou en Inde, elle achètera en priorité le nickel calédonien à tout autre nickel concurrent de celui la Nouvelle-Calédonie. L’offshore s’éprouve dans la difficulté.
5. Une mine est un compromis entre protection de l’environnement et développement économique. Une fois qu’il est décidé il apportera un revenu durable si tous les minerais, riches, pauvres, et coproduits sont valorisés. C’est ainsi que des mines mieux exploitées ce sont des mines moins nombreuses.

Conclusion : Etre gouverné par le nickel ne s’improvise pas
Le nickel est stratégique en Nouvelle-Calédonie et maintenant que les usines sont sorties de terre, il faut passer de la réflexion industrielle à la doctrine nickel, c’est-à-dire placer le marché du nickel, le client et le fond souverain au cœur de la pensée et des initiatives.

Cette doctrine orientée vers le consommateur, donc l’international, rassemblera autour des réalités internationales du marché et elle sera opposée à une réflexion auto-centrée sur Nouméa qui fragmente. Elle ne sera pas un succès si elle ne s’empare pas des questions de la maîtrise des ressources, des participations industrielles et du marketing offensif. Cette doctrine ne sera pas non plus un succès si elle prolonge d’interminables réflexions qui n’aboutissent pas, il faut être lucide et savoir changer une organisation infructueuse. Pas de succès non plus si cette doctrine est soupçonnée, il faut lui fixer un objectif clair et partagé par tous, requalifier les maillons défaillants et donc bénéficier d’une expertise neutre et impartiale. Pas de succès si elle mène le Sud contre le Nord car cette doctrine ne peut s’épanouir dans un esprit de division. Pas de succès si elle prend le problème par la fin en imposant une fiscalité sans tenir compte du début : la rentabilité des entreprises.

Inversement, la confiance reviendra dès que cette doctrine nickel commune sera construite dans l’esprit d’une proposition locale au lieu d’être une promesse importée, si elle remplace la notion de territoire par celle de réseau, si son barycentre est le marché international du nickel, le client, le marketing et si elle se construit autour d’interdépendances.
Publié dans Les Échos le 09 07 2013