In La Tribune 24/02/2021
Les bruits d’inflation surgissent de partout. Espérée ici, crainte là, des spécialistes garantissent qu’elle arrive en grand, d’autres qu’elle sera à 2 % et les derniers qu’elle sera bien inférieure, négligeable, voire négative. Une chose est certaine l’un de ces avis pourrait être le bon, bien que les prévisions sur l’inflation de la part des économistes sont le plus souvent erronées depuis 50 ans.
Leurs modèles de pensées sont-ils encore marqués par les chocs des crises pétrolières passés, par les dévaluations liées à la fin de Bretton Woods, par le chômage, les relances fiscales et Keynes… ; ou bien comptabilisent-ils l’automatisation, la digitalisation, la disparition de petits commerces, le chômage de longue durée et le travail en plate-forme numérique pauvrement rémunéré, mais également l’inflation qui diminue la charge de la dette et la rémunération de l’épargne d’une population vieillissante, alors qu’elle sera appelée aux urnes en 2021 et 2022, lorsque la croissance sera en mode rattrapage de la Covid-19 à des niveaux espérés supérieurs à 5 % ?
Hausse des prix des matières premières
Un fait ne demande cependant pas de prévision. Le blé, le maïs, le soja, le riz, le marché de la viande, le cuivre, l’aluminium, le zinc, le nickel, l’étain, le fer, l’acier, le molybdène, le lithium, le cobalt, les platinoïdes, l’argent métal, le pétrole, le gaz naturel…, connaissent tous une inflation de leurs prix. À l’exception des hydrocarbures, ils sont supérieurs aux niveaux d’avant crise de 2008, et parfois plus élevés que les récents pics de 2011.
C’est l’œuvre du supercycle des matières premières qui dure depuis déjà 50 ans et correspond au rééquilibrage industriel en faveur de la Chine.
Celui-ci a connu plusieurs à-coups avec des accélérations et décélérations des prix des métaux, des énergies et des denrées agricoles. Ces mouvements sont plus apparentes depuis le début du siècle, depuis que Pékin domine ces marchés. De 2000 à l’été 2008, les courbes de prix s’envolèrent, au deuxième semestre 2008 elles s’effondrèrent avant de reprendre de plus belle leurs trajectoires initiales pour culminer début 2011. Puis, pendant dix ans les prix de chaque ressource naturelle évoluèrent en fonction de l’idiosyncrasie de leurs fondamentaux — offre, demande, stocks, coûts de production — et parfois aussi sous l’influence d’épiphénomènes, tels que les relations politico-économiques entre la Chine et les États-Unis. Mais, depuis mars 2020, date de la fin officielle de la crise sanitaire chez le premier consommateur mondial, la Chine, ils connaissent une nouvelle hausse anticipant une économie chinoise plus digitale et décarbonée. Ces variations amorties par les filières industrielles n’ont toutefois pas engendré une croissance notable des prix à la consommation.
Sur le temps long, les périodes d’hyperinflation sont le résultat de guerres. Elles détruisent de gigantesques moyens de production, mais la demande ne diminuant pas les déséquilibres sont inflationnistes. La paix retrouvée connait parfois une inflation hors de contrôle si la reconstruction d’infrastructures, de villes et des vies s’opèrent avec les mêmes instabilités.
Déflation sur les revenus du travail
La crise de 2008 n’a pas eu les effets d’une guerre car depuis plus de dix ans l’inflation est restée cantonnée au capital, alors qu’une déflation frappait le travail. De même, en 2020, la crise de la Covid n’a pas non plus l’effet d’une guerre. Nul n’a noté de hausse de prix à la consommation démesurée. Au contraire, malgré le fort soutien fiscal, loin d’être en déséquilibre, l’offre et la demande se sont contractées simultanément et les prix sont restés stables. Il n’est envisagé qu’une hausse de de 2% au maximum, et pour quelques mois. À croire que la relation entre croissance de la monnaie et inflation, si chère à Milton Friedman, s’est évanouie.
Toutefois, puisque la gestion de la crise de la Covid-19 en Europe nous impose des confinements plus longs, elle accélère la digitalisation de nos vies connectées, la construction de villes intelligentes, l’ascendance de l’électrique dans nos voitures et nos transports. Mais elle ne provoque pas une « déglobalisation » massive de nos sociétés si l’on juge l’avance de l’Asie dans les batteries ou l’électronique, ni une réelle accélération de la transition énergétique qui est déjà bien lancée.
L’ensemble – le rattrapage chinois et la digitalisation occidentale – accélère cependant nos nouvelles dépendances électriques envers les métaux, ceux-là mêmes qui s’emparent de l’ancien rôle joué par les hydrocarbures. Quelle meilleure illustration de cette évolution que la pétrolière Total qui devient Total Énergies, avec un regret toutefois : ne pas avoir remplacé ses champs de pétrole et de gaz par des mines.
La nécessité des métaux
Les métaux sont en effet indispensables à la digitalisation et la décarbonation de l’économie et un métal est emblématique de cette nécessité. Sa consommation par habitant ne cesse d’augmenter, il est partout essentiel à la production, la transmission, le stockage et la consommation de l’électricité à partir des énergies renouvelables et de l’hydrogène jusqu’aux voitures électriques, les maisons connectées, l’électronique nomade… Plus que d’autres, l’augmentation de son offre annuelle est critique, car ric-rac par rapport à l’augmentation continue de sa demande. Plus que d’autres, l’équilibre entre sa production et sa consommation est à la merci du moindre incident.
Ce métal, l’un des meilleurs baromètres de la santé industrielle mondiale, est le cuivre. Avant même que le plan de relance étatsunien ne prenne la suite du supercycle chinois, son prix à déjà rejoint ses plus hauts historiques de 10 .000 dollar/tonne, c’est-à-dire presque deux fois plus que ses points bas de 2016.
Si l’on souhaite se faire peur, ce facteur 2 sur le prix du cuivre est à mettre en perspective avec la multiplication des cours du rhodium par 10 qui accélère la transition de la voiture thermique vers la voiture électrique. C’est pourquoi, si la dépendance vis-à-vis des métaux n’est pas mieux gérée avec des outils de souveraineté, il devient possible de craindre l’effet que pourraient provoquer les futurs prix de ces métaux sur les prix à la consommation.