In Les Échos le 04 04 2016
La réputation d’un lanceur d’alerte n’est que le miroir de l’incrédulité de son audience.
L’alerte lancée sur la crise du nickel il y a quatre ans à Nouméa n’aura pas dérogé à cette règle, la deuxième alerte de 2013 la renforçait, la troisième sur Outre-Mer 1ere en 2014 l’achevait. Récemment l’administration qualifiait cette dernière de « prophétique » et par conséquent la liberté de pensée de son auteur devenait considération ; à comparer à la situation calédonienne dégradée.
Oui, à l’Est de la Mer de Corail les difficultés annoncées du nickel se sont confirmées et matérialisées ; oui, crise et dette font des ravages, oblitérant les marges de manœuvre ; lorsque la gouvernance d’une entreprise restait sourde aux avertissements, désheurée elle poursuivait avec consistance sa stratégie d’échec et prorogeait sa déroute, à la consternation de tous les connaisseurs du dossier ; oui, la communication ne suffisait pas à faire remonter les prix du nickel et cette méthode Coué échouait, évidemment ; oui, l’énergie est toujours une question irrésolue, l’impact sur la santé inquiète, les coûts subissent les évènements plutôt qu’ils les devancent car ils sont masqués par la baisse du pétrole ; oui, l’État est présent comme dans les années 80 mais il a perdu sa capacité stratégique ; des rapports se sont trompés ; oui, l’usine offshore assure un débouché marketing aux minerais exportés – lorsque plus personne n’en veut.
Les sombres prévisions se sont également confirmées quant à la concurrence: il n’y a pas eu d’OPEP du nickel ; oui, les stocks cachés de nickel, notamment chinois, sont apparus sur les marchés ; des concurrents chinois se sont installés en Indonésie et leurs usines seront des concurrents coriaces ; et oui, le minerai indonésien a été remplacé par un minerai philippin ; oui, le blocus indonésien n’a pas fait effet, et le pays, confronté aux conséquences économiques, fiscales et sociales du dit blocus, songe à abandonner l’embargo ; l’embargo une fois levé, il fait peu de doute que la latérite indonésienne serait préférée à d’autres minerais nickélifères plus pauvres et plus couteux, celui des Philippines ou de Nouvelle Calédonie…
Quel est l’héritage ?
Ne nous trompons pas. À la lumière de la crise, Prony-Pernod n’était que l’aiguille perdue d’une boussole politique depuis très longtemps dépolarisée. Par conséquent, ayant en héritage une très ancienne absence d’épargne, un gouvernement sans réserve concentre ses faibles ressources financières, dont le Fonds Nickel, sur le court terme, pour sauver ce qui pourra l’être. Il n’en resta pas moins que si depuis décembre 2015 les prix connaissaient une légère hausse et que l’offre de métal se contractait d’un petit 10%, 70% des producteurs mondiaux restent en pertes. Où que l’on aille sur la planète nickel, parce que plus chère et plus lointaine, la Nouvelle Calédonie est stigmatisée comme le maillon faible de la production mondiale ; l’héritage est donc une mutation nécessaire.
À quand cette mutation ?
Il ne faut pas attendre l’amélioration des prix pour changer, attendu
que les mêmes qui prévoyaient les cours à 30 000$ les envisagent
désormais à long terme au mieux à 17 000$. au contraire, l’initiative à
prendre dès maintenant, c’est celle de la transformation industrielle
en raisonnant vrai, même à partir d’éléments faux et en privilégiant la
réalité des usines et les éléments pratiques.
Changer quoi ?
Ne faudra-t-il pas casser la baraque pour mieux la reconstruire ?
L’économie de comptoir doit-elle rester une fête et l’économie locale un
jeûne ? La fiscalité calédonienne est-elle vraiment un paradis fiscal
australien ou néo-zélandais? Les réseaux, thrombus tardigrades,
peuvent-ils continuer de regarder d’où l’on parle plutôt que d’écouter
ce qui est dit; quelles illusions laisseront-ils aux jeunes, quel
héritage nickel laisseront-ils aux fameuses générations futures ?
Les mentalités calédoniennes évolueront-elles ou bien, au contraire,
perdurera-t-il une absence de vision commune, une absence de politique
nickel locale et internationale, une politique pétrographique
insuffisante, une fiscalité nickel inéquitable, une exportation de
savoir-faire nickel déficiente, une absence d’intelligence économique et
stratégique pour le marketing et de trading (RR, comment exporter
vers la Chine sans en connaitre le marché ?), une absence de fonds
souverain, et surtout une carence d’intellectualisation de l’économie du
nickel et donc pas de stratégie pratique de transition industrielle ?
«Le temps est père de vérité », lorsque la situation s’améliorera, la constance, notamment celle de la Doctrine Nickel, meilleure qu’échecs et faillites, aura probablement atteint sa mission : une paix en Nouvelle-Calédonie. Pour le reste …