Le producteur de batteries au lithium « Blue Solutions » vient de proposer une offre publique de retrait à ses actionnaires
Dans le jargon de l’intelligence économique, nous lancions un « signal faible » le 7 janvier 2016. La courbe des prix du lithium reflétait de futurs déséquilibres et de prochains et intenses intérêts. De faible le signal est devenu très fort. Après avoir quitté la moyenne historique de 5000 dollars/tu fin 2015 , le prix du carbonate de lithium passait l’été 2016 proche des 23 000 dollars, à l’automne il se repliait vers les 15 000 dollars, avant de reprendre une pente ascendante depuis 2017.
Pourquoi cette envolée des prix alors que la consommation augmentant massivement de 8 à 13% par an, la production non seulement équilibre le mieux qu’elle peut, mais surtout plus de 600 millions de dollars ont été promis aux nouveaux projets miniers lithium ; c’est-à-dire l’équivalent de 17% de la taille du marché actuel, 3.5 milliards de dollars ?
Comme souvent dans le monde minier, à la suite d’erreurs une partie des promesses de nouvelles productions ne verra jamais le jour. De plus, la production de lithium est binaire, les salers andins d’un côté, les spodumènes australiens notamment de l’autre ; les coûts de production des premiers peuvent être trois fois moins élevés que les seconds. En conséquence, sauf si la première production asphyxie la seconde, les prix du marché s’élèveront aux coûts de production marginaux des seconds.
A contrario, les promesses de l’augmentation de la demande sont plus tangibles. Jusqu’à récemment 70% de la demande de lithium ne concernaient ni le stockage électrique ni le véhicule électrique. Mais, dans l’instant, impossible de prévoir si la prochaine demande de lithium émanant de la seule voiture électrique provoquera une hausse de la consommation globale de 80% ou bien 150% dans les prochaines années. Conclusion : offre et demande ont déjà impacté les prix à la hausse, mais l’équilibre n’est probablement pas encore à sa juste valeur.
Ce qu’apprend l’enfant, l’homme le retiendra jusqu’à ses vieux jours
Il n’est jamais inutile de rappeler le chapô de l’émission Concordance des Temps sur France Culture : le coup d’œil de l’histoire, le recul vers une période passée, donne toujours des perspectives et il permet à la réflexion d’y voir les problèmes qui sont les mêmes et ceux qui diffèrent, mais également d’entrevoir des solutions.
Il y a 25 ans le marché des platinoïdes était dans la même configuration que celui du lithium : promesse d’une formidable croissance de consommation dans l’automobile et en regard promesse d’une formidable hausse de la production minière. La demande se concrétisa dans les pots catalytiques, mais les projets miniers furent très en retard. Des erreurs naïves furent commises, les prix furent catapultés jusqu’aux aspics et connurent une très forte volatilité pendant plusieurs années aussi bien sur le spot que sur les termes.
Un rare pôle positif d’innovation français, le producteur de batteries au lithium « Blue Solutions », vient de proposer une offre publique de retrait à ses actionnaires. Il souhaite «se donner plus de temps pour développer les avantages de sa technologie Lithium Metal Polymère » et « revoir les termes du contrat d’approvisionnement de batteries comme celui-ci l’autorise avec son fournisseur ». La société poursuit « le développement parallèle de concurrents dans le lithium-ion, avec des volumes importants et des prix bas, impose de revoir les volumes et les prix de vente des batteries Blue Solutions », et « « La concurrence du marché est plus importante ».
Répétons-le, innovation et vision industrielle sont rares et l’industriel français visionnaire qui prend des risques ne verra certainement pas ce billet tomber à bras raccourcis ici ou bien là, bien au contraire. Il ne s’interroge que sur les quantités embarquées de lithium, très différentes entre les batteries Li-ion et LMP, et l’impact prix du lithium sur la chaîne de valeur de l’ensemble. Les résultats de l’étude d’intelligence économique « matières premières » et son analyse de sensibilité sont-ils satisfaisants à cet égard ?
Les imprévus nécessitent toujours une mesure du risque et une analyse de la sensibilité prix des ressources stratégiques. Le lithium ici, mais le platine et les terres rares à la hausse ou bien l’uranium à la baisse sont également des exemples récents. Ceci est d’autant plus exact que certaines ressources critiques, dont le lithium, ne disposeront pas de marché organisé pour hedger les éventuels risques.
Souvent, éblouis par l’illusion de quantités géologiques, des accords d’approvisionnements flexibles et sophistiqués voire par l’évolution passée des prix, des spécialistes 1ER restent aveuglés des dangers matières premières. Ils concluront à l’inutilité de mesure des risques qui, quoiqu’on en pense, se matérialisent toujours au moment le plus inattendu.
Publié dans Les Échos le 05 04 2017