In La Tribune 01/03/2022
Les sanctions contre l’invasion de l’Ukraine qui frappent l’économie russe affectent les ressources naturelles : acier (la Russie est le deuxième exportateur d’acier vers l’Europe, derrière la Turquie mais devant l’Ukraine et ses aciéries du Donbass…), nickel, palladium, platine rhodium et les autre platinoïdes, aluminium, titane, magnésium, zinc, gaz, pétrole, engrais, blé, etc.
Ce blocus nous affecte. Notre logistique sera moins bien huilée et nous connaissons déjà une inflation des prix de ces matières premières. Mais un rééquilibrage est en court, elles ne se dirigeront plus vers l’ouest, mais seront réorientées vers l’Orient avec la Chine comme premier bénéficiaire. Néanmoins, ces sanctions affaibliront la Russie, sans pour autant la faire disparaître.
Ici, c’est un autre acteur qui sera à l’œuvre.
Général de Gaulle slave
En écrivant ces lignes 48 heures, après le début de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe et après avoir travaillé pendant plusieurs années chez le leader minier russe de classe mondiale, Norilsk Nickel, voici quelques éléments de la réalité.
Cette invasion ne correspond pas du tout aux idées des managers russes avec lesquels j’ai travaillé. Ils considéraient le Vladimir Poutine de ses premiers mandats des années 2000 comme une sorte de Général de Gaulle slave parce qu’il avait redonné de la fierté au pays, reconstruit ses finances, réorganisé son industrie, relancé la croissance économique et rendu leur dignité aux Russes après l’effondrement de l’URSS puis l’épisode Eltsine.
La verticale du pouvoir
Mais, comme la jeunesse russe, qui n’a connu que l’ère Poutine, cette élite du secteur privé a petit à petit divorcé du Kremlin et de sa politique intérieure résumée en 2007 par « la verticale du pouvoir » économique autour des ressources naturelles et « la verticale du pouvoir » morale autour de la dévotion.
Ils se sont détachés de leurs dirigeants et du chef d’État, un homme qui n’aime pas les surprises, mais qui aime surprendre.
L’Ukraine, un drame slave intérieur
Ils considèrent l’invasion de l’Ukraine, qui ne mettra jamais au pas les plus de 40 millions d’Ukrainiens, comme un danger et un drame slave intérieur aussi important qu’un risque pour l’Europe.
Pour eux, qui n’étaient pas nécessairement favorables aux avancées de l’OTAN, Kiev avait tous les avantages d’une capitale slave, libre et européenne. Elle était perçue comme une potentielle terre d’asile culturel, parce c’était le cœur historique de la nation slave, le centre de l’histoire de la Russie et qu’on y parlait la langue russe.
Ce drame intérieur durera tant que le gouvernement de Vladimir Poutine n’aura pas été renversé par les Russes eux-mêmes. Il y en a déjà quelques-uns dans les coulisses du pouvoir et des services de sécurité qui pourraient le remplacer avantageusement.
A court terme, l’intensité de la résistance ukrainienne permet déjà de dire que la Russie a perdu « l’invasion libératrice » de l’Ukraine. Personne n’espère qu’elle gagnerait une invasion destructrice.
À plus long terme, après la révolution de 1917, trente ans après l’éclatement de l’URSS, la bataille de Kiev aura l’effet inattendu de provoquer une troisième implosion de la maison Russie.
Son territoire et ses ressources naturelles se dirigeront vers un nouvel effondrement et une fragmentation entre ses voisins de l’Ouest et de l’Est, sauf si…