In Les Echos
Facebook-Tencent, Ali-Baba-Amazon, Google-Baidu seront-ils les nouvelles banques centrales ?
Le commerce international est régulé en dollar, notamment parce que les hydrocarbures sur lesquels il est assis sont échangés dans cette monnaie. Mais, suivons un instant le chemin de la transition énergétique. Si en 2050, la racine hydrocarbonée est coupée, sans pétrole ni essence, diesel, gaz ou charbon, l’économie fonctionnera avec une électricité déconcentrée, décarbonée, produite et payée en devises locales, donc dé-dollarisé.
En 2050, l’échelle d’une seconde pour une banque centrale, quelle nouvelle monnaie régnera ? Sera-t-elle une expression de différentes souverainetés, représentative de nouveaux flux économiques, ou bien d’enjeux géopolitiques héritiers de ce que les historiens d’alors appelleront le « syndrome Trump » : « make inside America great again, do not care about outside ».
Cette future perturbation monétaire sera parallèle à celle apportée par les nouvelles technologies. Celles-ci dérangent comme toujours. La croissance qu’elle crée, accompagne ou s’oppose à des idéaux moraux ou sociaux. L’idée de bloc-chaîne est désignée pour consolider la moralité de l’investissement responsable et du développement durable dans les méandres des chaînes d’approvisionnements industriels ; par exemple celles de la mobilité électrique ou à hydrogène. L’intelligence artificielle s’impose pour améliorer la productivité et la croissance avec des impacts sociaux : des emplois disparaissent, d’autres apparaissent. Le coquetel bloc-chaîne, intelligence artificielle et internet est une promesse de destruction massive de l’inflation pour tous, via les achats en ligne, mais au profit exclusif de quelques propriétaires. Ceux des FAMANG (Facebook, Amazon, Microsoft, Apple, Netflix, Google) en occident et en orient ceux des BATXHJD (Baidu, Ali-Baba, Tencent, Xiaomi, Huawei, JD.com, Didi).
Couplons ces deux évolutions, moins de dollars et plus de Tech, et les 5 hypothèses usuelles de la monnaie du prochain monde paraissent : le Babel financier, aucun impérialisme monétaire, mais des cohabitations (Euro, Dollar, Yuan, Roupie, une devise panafricaine…) ; l’option démographique quantitative (les plus nombreux ont la monnaie dominante) ; un choix qualitatif (les flux des producteurs ou bien des consommateurs prépondérants imposent leur devise) ; la préférence neutre (l’or, écoinçon soutenant une monnaie commune ou un pool de devises puissantes) ; la technologie (une cryptomonnaie à ne pas confondre avec le paiement électronique animerait l’un des choix précédents, elle serait diffusée via les FAMANG et BATXHJD, en évitant les désordres à la Quadrige CX).
Inutile de mentionner que ces visions, bien qu’elles manquent encore de la raison liée aux compromis, rebuteront les technophobes et briseront nos habitudes ainsi que les alliances géomonétaires ou bien géostratégiques.
Mais il y a les faits.
Récemment le Conseil Mondial de l’Or nous en rappelait un. L’an dernier les achats d’or des banques centrales étaient au plus haut depuis 50 ans. Les acquéreurs étaient notamment la Russie, la Chine, le Kazakhstan, l’Inde, la Mongolie, l’Iraq, l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Hongrie, la Pologne.
Pourquoi ces banques centrales achètent-elles encore de l’or ?
Les trois premières raisons évoquées par les banquiers centraux sont : valeur refuge (les chefs d’État soulignent la dangerosité du monde), diversification du dollar (hantise des tweets de M Trump ?) et l’or est un actif de tiers de confiance (il n’est la dette de personne, et le rôle d’une banque centrale n’est pas de chercher un rendement). En outre l’an dernier, telle ou telle banque centrale achetait de l’or auprès des mineurs travaillant le sous-sol de son pays, en les payant dans sa propre devise, et non pas en dollar. Leurs coûts sont en monnaie nationale et leurs machines sont propulsées de plus en plus par des moteurs électriques consommant une électricité locale de moins en moins carbonée.
Mais, acte beaucoup plus passionnant encore, les banques centrales vendeuses, particulièrement en Europe, n’étaient la contrepartie des acheteuses que pour une infime quantité d’or. Ces ventes ne représentaient que 2,3 % des volumes achetés par le « bord d’en face ». Pourquoi n’en vendaient-elles pas plus ? Sans doute pour les mêmes raisons que les banques acheteuses.
Au regard de nos hypothèses monétaires précédentes, l’an dernier la stratégie post-dollar du bilan des banques centrales s’échafaudait au profit de la préférence neutre de l’or.
Loin des usuelles et parfois comiques thèses conspirationnistes pros ou anti métal jaune, ce plus d’or oserait – il être l’anticipation d’une future hausse prononcée des taux d’intérêt réels ? Serait-il le signal faible d’une colossale et future perte de terrain du dollar remettant en question la décision du 15 août 1971 ? En surplus, bien que nul n’ignore que l’or s’échange encore en dollar sur les marchés internationaux, si les hydrocarbures disparaissaient, à lui seul la taille du marché des métaux précieux (et des autres métaux) ne justifierait aucunement que le dollar américain reste la monnaie de référence des échanges mondiaux.
Quoi qu’il en soit, réclamant moins d’hydrocarbures, si la transition énergétique avait comme effet collatéral d’avoir plus d’or en banque (ou bien d’autres métaux), nos réserves métalliques seraient probablement insuffisantes pour réguler la finance de la planète. La nécessité d’une création monétaire mondiale adossée aux métaux précieux n’échapperait pas une cryptomonnaie aurifère en charge de consolider la confiance de l’ensemble. Pilotée par des banquiers centraux et diffusée par les FAMANG et BATXHJD, cette monnaie reste une fiction baroque à nos yeux d’aujourd’hui. Elle deviendrait cependant céleste si un Nouveau Monde monétaire, rassemblé par l’angoisse du bouleversement climatique, posait la neutralité de l’or en son centre, c’est-à-dire ici au centre du quantum.