Du thorium de Fukushima au gaz de Gazprom

In Les Échos le 15 04 2011

La plus grande barrière pour l’utilisation du thorium ? Le goût et coût du changement.

A Fukushima, les réacteurs obsolètes étaient chargés du mauvais combustible.
C’est peut-être le titre imaginaire du chapitre du livre d’histoire vétérotestamentaire que lirons nos descendants dans quelques siècles.

Obsolète car le réacteur avait 40 ans… technologie, sécurité, architecture dépassées ? Les experts nous en diront plus, plus tard, sur cet aspect.
Mauvais combustible car après l’uranium, en Asie, le thorium s’imposa t-il vers 2050-2100 ?

Le thorium, découvert en 1920, non encore utilisé dans les centrales nucléaires et donc sans réel prix de marché, est quatre fois plus abondant que l’uranium (Inde, Canada, Australie, Etats-Unis, Turquie…). On le trouve dans les gisements de monazite et parfois dans des gisements de terres rares.


Il serait compatible avec les centrales actuelles, le thorium transmute en uranium 233. Il n’est pas naturellement fissile (à l’inverse de l’uranium). Certains déchets sont réutilisables (comme pour l’uranium), d’autres ont une durée de vie plus courte que les déchets d’uranium parce que sa transmutation n’atteint que très difficilement les niveaux 239 (plutonium).

En France, c’est le LPSC de Grenoble (CNRS) qui travaille ce sujet, et le projet de réacteur à sels fondus présente trois avantages :
· le retraitement du combustible in-situ (moins de transport et de manipulation), 
· un combustible déjà sous forme liquide (fluorure thorium+fluorure lithium+fluorure uranium) et lui-même caloporteur.
· une température de fusion du thorium plus élevée que celle de l’uranium. Le danger de l’état gazeux, notre Japon aujourd’hui, ne serait atteint qu’à des niveaux de température supérieurs à celles de Fukushima (la fonte y a lieu après 1.500°).

Les trois principaux inconvénients restent :
· des innovations nécessaires dans la métallurgie nucléaire et les projections de vieillissement d’alliages pour avancer sur le projet.
· une courbe d’expérience du traitement des déchets du thorium basse. Si un pays envisage d’utiliser les deux combustibles (uranium et thorium), il s’impose de doubler les cycles de traitement et donc les coûts.
· l’aspect proliférant du thorium et ses mutations (U233 et U232) qui sont, comme pour la filière uranium, une source d’utilisation duale.

La plus grande barrière pour son utilisation est le goût et coût du changement. Peut-on passer directement de la deuxième génération de réacteur à la quatrième en évitant les fameux réacteurs à neutrons rapides (RNR) ?
C’est peut-être un pays dépourvu d’uranium qui innovera dans ce domaine, il semble qu’il sera situé en Asie (Inde, Chine).

En résumé, conformément aux idées avancées par les thorium-addicts, il semble que son abondance et son éloignement de la zone des transuraniens (par exemple, le plutonium) présentent un réel avantage.

En attendant l’horizon lointain d’une dimension énergétique post-nucléaire et dans ce débat post-Fukushima, cela a-t-il un sens de repenser à l’échelle de la planète comment apporter de l’énergie à des urbains concentrés et à des petites populations rurales en confettis ?
Notre livre d’histoire ci-dessus indiquera-t-il que nous reprîmes comme point de départ non pas la centrale électrique mais le client, sa population, son réseau électrique, ses souhaits (accepter de voir dans son chez soi l’éolienne et payer la généralisation des matériaux de construction à énergie positive) ? Dialogue nécessaire qui bute inévitablement sur la facture énergétique car dans le domaine de l’énergie la stratégie de masse est gagnante sur celle segmentant la clientèle.

Notera-t-il que la grosse partie des nouvelles énergies post-nucléaires ne furent ni venteuses ni solaires ? Non pas parce que la première butait sur l’intermittence du vent ou l’architecture world-of-warcraftienne des éoliennes et que la seconde achoppait sur l’apparition journalière de la lune ou le nettoyage des panneaux solaires dans le désert ! Non, l’une comme l’autre s’imposèrent avec retard peut-être à cause du stockage et du transport de l’électricité. Les découvertes dans le domaine des batteries furent tardives et écologiquement couteuses en lithium. Dans certaines régions, l’Europe par exemple, les interconnexions de transports électriques entre l’ouest et l’est ne furent jamais excellentes, dans d’autres territoires elles restèrent inexistantes. Espérons que ce chapitre « énergies nouvelles » ne sera pas négatif.

Une remarque pour terminer.
Ecologiquement, le gaz pollue moins que le charbon. Les coûts de sécurité nucléaire rendront-ils les centrales électriques fonctionnant au gaz encore plus attractives avec la baisse des prix du gaz ? Prix du gaz du marché spot en Europe et aux Etats-Unis

Si, vous avez bien lu, baisse des prix du gaz dans une partie du monde où l’exploitation du gaz de schiste est tolérée. La courbe ci-contre indique le prix du gaz du marché spot en Europe (rouge) et aux USA (bleu) : deux fois plus cher en Europe.
Aux Etats-Unis les quantités de gaz non conventionnel sont pléthoriques. En France et en Europe nous ne voulons pas du gaz de schiste, nous en payons le prix, sans doute pour de bonnes raisons. Comme indiqué dans un billet précédent : « Je ne souhaite pas à la nappe phréatique de mon pire ennemi de subir les conséquences d’un forage horizontal. »
Pour allez plus loin sur ce sujet je vous recommande la lecture de ce billet sur le gaz (Pourquoi ma facture de gaz naturel augmente-t-elle ?) et l’interview du directeur général de Gazpromexport ci-après