« Vive le Saskatchewan libre », semblent crier, avec un accent gaullien et inquiétude, du centre du Canada, quelques habitants de Saskatoon. Libre de qui et libre de quoi ?
Récemment lorsqu’on prononçait le nom du
Canada, des noms de sociétés venaient à l’esprit : Inco, Falconbridge,
Alcan. La première et la deuxième, de belles sociétés de nickel, étaient
cédées en 2006 à respectivement Vale (Brésil) et Xstrata (Suisse) parce
qu’elles avaient échoué aussi bien dans une fusion entre elles qu’avec
une entente avec une troisième canadienne, Teck. En 2007, Rio
(Australie/RU) rachetait Alcan (celui de Péchiney) qui manquait une
fusion avec Alcoa.
Au nom du libre échange, les gouvernements canadiens – le fédéral et le
régional – ont laissé ces trois compagnies quitter pavillon national. Le
constat est identique dans les hydrocarbures mais l’Etat canadien
interdit certaines opérations dans l’uranium.
Certes, sans imprévu la vie n’est qu’un roman et peu importe la casaque du jockey du moment que le champ de course reste canadien, comprenez qu’il faut accepter les aléas car le sous-sol ne changera pas de place et les royalties seront toujours payées. Cependant peut-on se demander si le Canada est économiquement décalé ou bien idéologiquement en retard ? Des pays aussi divers que le Venezuela, la Russie, la Chine, l’Australie, les Etats-Unis ont une lecture différente sur le devenir des ressources minérales ou bien énergétiques ; parfois ils nationalisent, parfois ils refusent la vente à des étrangers.
La potasse c’est l’engrais, les trois premiers clients sont les agricultures chinoise, brésilienne et indienne ; la Chine pèse près de 25 % de la population mondiale pour seulement 10 % des terres arables ; l’autosuffisance alimentaire, à l’aide d’engrais, est le premier objectif des autorités chinoises. Mais c’est une chose que de hausser les prix du minerai de fer, stratégie de BHP, et par conséquent de l’acier, c’en est une autre que d’agir sur les prix des engrais et provoquer une hausse des aliments. La bataille ouverte par BHP autour de Potash Corp (20 % des capacités mondiales) sera-t-elle révélatrice d’une continuité d’une inaction canadienne ou bien de la mise en œuvre d’une sorte de patriotisme économique inédit à Toronto ? De son côté, Saskatoon réagit et tente de répondre à quatre points d’ici au 30 septembre :
· Est-il opportun de laisser
l’exploitation de la potasse à une entreprise mondialisée, BHP, qui est
soupçonnée de vouloir réduira les coûts et les emplois sur place grâce à
des synergies tout azimuts et dont il est craint une perturbation sur
les prix de la potasse et donc sur les royalties ?
· Est-il opportun de laisser la gestion de cette ressource à un
gouvernement étranger (Singapour, Pékin, Brasilia… ?) via
l’intermédiaire d’un fonds souverain ou bien de sociétés étatiques
venant d’outre-mer ?
· Quel sera l’avenir des taxes et royalties (15 % à 35 % des
profits en fonction des résultats) perçues par Saskatoon si le prix de
vente Ex- Saskatchewan mute vers un prix de transfert minoré à
l’intérieur d’un groupe ?
· Les politiques canadiens doivent-ils fédérer une stratégie de
la potasse (comme le fait la Russie) et ainsi éviter de rééditer la
situation du nickel et de l’aluminium de 2006-2007 ?
Toronto reste silencieux sur une question essentielle : comment ses
ressources peuvent-elles aider ses ambitions et stratégies de puissance
et d’influence internationales ?
En France une étude de cas de cette dimension est initiée d’une façon générale sur les matières critiques et plus particulièrement dans le rapport Roussely sur l’uranium.
Comment optimiser les actifs dont l’état est le propriétaire ? Comment maîtriser au mieux les prix des ressources ? Comment nos stratégies de puissance et d’influence permettent-elles de lier la gestion de nos forces aux approvisionnements d’autres matières critiques et vitales pour le futur du pays ? Comment cette réflexion peut-elle engendrer de nouveaux emplois dans des secteurs connexes ? Il existe des réponses (ici Stocks stratégiques et là L’élite, les ressources et l’IE) mais sans doute aussi du côté de Saskatoon, en attendant Toronto !
Publié dans Les Échos le 16 09 2010