In Les Échos le 20 10 2009
Le 30 septembre dernier le président russe Medvedev demandait que l’on portât plus d’attention à l’hydrogène. Il a raison. L’hydrogène n’est pas l’énergie de demain. Elle est déjà un vecteur d’énergie propre aujourd’hui. Son gros problème : sa stratégie de distribution vers ses nouvelles utilisations est inachevée.
A grande échelle et suivant la nature des ressources de votre pays, vous fabriquerez l’hydrogène via l’électrolyse de l’eau, le reformage du méthane (d’où l’importance du gazoduc Northstream reliant la Russie à l’Allemagne) ou bien la transformation de biomasse.
A petite échelle vous fabriquez ce gaz avec de l’eau comme l’indiquait l’Industrial Technology Research Institute de Taipei. Conçue pour usage domestique, une petite « boule électrique » remplie d’eau fabrique de l’hydrogène disponible pour charger votre téléphone. Elle coûte 11-12€.
Révolution silencieuse
Pour le même GSM ce sont les piles à combustible stationnaires d’Axane
qui approvisionnent des stations du réseau téléphonique mobile en
France. C’est la même pile à combustible qui éclaire votre datcha perdue
dans les bois ou bien votre voilier en mer ou encore qui alimente
l’hôpital ou la panne électrique est interdite. Et tout cela sans bruit
ni gaz à effet de serre.
Au total, 95% de l’hydrogène provient du méthane (Verrons-nous à ce moment l’intérêt de découpler les prix du gaz naturel de ceux du pétrole ?) et 95% sont consommés dans la désulfurisation des produits pétroliers. Au total c’est un marché annuel de 600 milliards de m3. Mais demain ce sont les transports à zéro-émission.
Actuellement, 100 à 150 stations services dans
le monde servent de l’hydrogène à moins de 1000 véhicules qui chacun
rejettent de l’eau. Les premières voitures commercialisées à grande
échelle seront là en 2015.
Si notre milliard d’automobiles était immédiatement converti à
l’hydrogène donc motorisé par un milliard de piles à combustible plus
légères en platine (elles en contiendront 10 fois moins qu’aujourd’hui),
ce nouveau marché serait de 2400 milliards de m3. Quatre fois plus
qu’aujourd’hui. Et encore je reste à périmètre constant pour les
voitures et je ne compte ni les camions, les bus, les deux roues, ni les
avions, les bateaux, les trains.
Là, ma conscience me souffle un peu amusée qu’il n’y aura plus d’eau dans la mer ou que les Maldives seront de nouveaux émergées. Saint Nitrox, dieu des plongeurs, priez pour eux.
Ce tableau présenté par les hommes du métier devient idyllique si l’électricité nécessaire à la production d’hydrogène « électrolysée » provient d’énergies renouvelables éoliennes et solaires. Tout vert.
Plus raisonnablement nous aurons vraisemblablement un mix de quatre propulsions liées à vos déplacements : hydrogène-citadine-tourisme, électrique-citadine, hybride-tourisme et toujours un peu d’essence-diesel.
L’acueil de la distribution
Ce qui manque dans cette merveille c’est la distribution. Où ira l’automobiliste pour faire le plein d’hydrogène ?
Honda ne se pose plus la question et il continue la voiture électrique expliquant à l’agence Reuters ses doutes sur l’émergence des voitures à hydrogène tant que le réseau de distribution sera en souffrance. D’ailleurs avez-vous remarqué que le prix du lithium avait baissé de 20% depuis notre dernier article sur le sujet ? Sans doute une manière de convaincre les constructeurs d’automobiles que tout est sous contrôle dans l’électrique mais aussi une nouvelle barrière à l’entrée pour les prochains concurrents. Suivez mon regard.
Mais revenons à notre gaz. De nos jours, l’automobiliste achète son essence dans un hypermarché d’une zone commerciale et le bon sens commande que la station service essence, diesel, GPL, ajoute la pompe hydrogène. Mais il y à des difficultés techniques. La maîtrise du gaz sous haute pression d’une part et l’approvisionnement d’autre part. La continuité d’approvisionnement constitue aujourd’hui l’un des savoir-faire clés d’un producteur de gaz m’expliquait Dominique Bernal Directeur TAE chez Air Liquide.
L’autre possibilité ? Que l’automobiliste se déplace de la zone commerciale vers la zone industrielle (elles se ressemblent déjà) jusqu’à l’usine d’hydrogène locale, et là, il fait le plein ! Le producteur du gaz est le distributeur, nous évitons la multiplication des canalisations sécurisées entre production et distribution.
Deux possibilités aux antipodes, parties émergées des possibilités. Celui qui saura distribuer l’hydrogène fera le marché et les marges.
Car il y a la question du prix à la pompe. Aurons-nous un vrai marché organisé de l’hydrogène identique à celui des hydrocarbures avec des cotations mondiales et journalières, des prix hebdomadaires ?
Faisons un peu de marketing-fiction et imaginez la brève de comptoir sur le sujet : fais-tu le plein d’ H² électrolysé sur la rocade chez Air Liquide, d’H² reformage à la station Total ou bien d’H² biomasse chez Carrefour ? Nulle part, tu sais j’ai une vieille voiture au lithium et je charge les batteries la nuit grâce à ma pile à combustible domestique branchée sur l’hydrogène communal.
Perspectives décapantes aux conséquences décoiffantes.
Analogie avec le vertige commercial émanant des contrats que vous avez,
vous aussi, négociés en Asie lorsque les milliards de consommateurs
attendent vos produits.
Méditez-vous une stratégie de puissance ? Là, il ne faut pas avoir peur de son ombre ! Hydrogène as-tu une ombre ?