In Les Échos 19/12/2012
Il y a les fidèles d’un Champagne blanc de blanc, d’une grande marque ou bien les amoureux du Champagne rosé.
Ils sont épris d’un cépage, d’un cru, d’une région voire d’une parcelle et pour le rosé ils ne prendront que la « première saignée » car ils réfutent qu’un vin puisse être constant en goût et en couleur année après année.
Mais, tout le monde n’aime pas le champagne : la boisson est parfois difficile, aigre, indigeste, à l’authenticité disparue parce qu’outrageusement présentée comme « festive ». Sans pour autant le crier sur les toits à la manière d’un critique américain, je croyais être de cette seconde famille.
Souhaitant retrouver le bon chemin du centurion, j’acceptais de confesser ces pensées auprès d’une grande marque de champagne.
Son invitation en était l’occasion, son accueil dans son domaine de la région de Reims fut merveilleux : sa maison d’hôtes domine d’immenses vallées de vignes qui s’échouent en vagues lointaines au pied de la cathédrale.
Elle convia un maître « à la Jules Ferry », un spécialiste indépendant de la vigne de Champagne, pour nous enseigner la géographie du vignoble.
Le vignoble champenois est situé en limite septentrionale de la culture de la vigne, les secteurs viticoles au nord de Reims avoisinant les 49°5 de latitude et les plus méridionaux les 48° (Bar-sur-Seine), avec une altitude variant entre 90 et 300 mètres.
Délimitée par une loi en 1927, l’aire de production de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) Champagne couvre 34 000 hectares. Située à environ 150 kilomètres à l’est de Paris, elle comprend 319 crus (communes) différents dans cinq départements : la Marne (67%), l’Aube (23%), l’Aisne (9%), la Haute-Marne et la Seine-et-Marne.
Après la leçon de géographie il y eu la leçon de sciences naturelles
Sur les 319 crus, 17 crus sont en appellation
Grand Cru, 42 sont en Premier Cru et les autres ne bénéficient d’aucune
appellation.
Le vignoble est réparti en grandes régions : la Montagne de Reims, les
Vallées de la Marne, de l’Ardre et de la Vesle, les Côtes des blancs,
des Bar, de Sézanne et de l’Aube, les Riceys. Il compte près de 281 000
parcelles dont la superficie moyenne est de 12 ares.
Cette grande diversité de parcelles, mais aussi d’exposition, de
déclivité, de sol, de sous-sol et d’altitude crée la richesse de la
Champagne : Un terroir unique.
7 cépages sont autorisés, mais le Pinot Noir (39%), le Pinot Meunier (32%)- et le Chardonnay (29%) représentent plus de 99% de l’encépagement.
Puis la leçon d’économie
Côte à côte se trouvent donc 15 000
exploitants viticoles ou propriétaires de vigne, 70 coopératives et 300
négociants dits Maisons de Champagne.
Sur les 15 000 propriétaires seuls 4750 sont
récoltants-manipulants-expéditeurs de champagne, les autres vendent
leurs raisins aux Coopératives ou Grandes Maisons dans la mesure ou 59%
des exploitations viticoles en Champagne font moins de 1ha et 69% moins
de 2ha.
Les Grandes Maisons et Coop représentent environ 80% des bouteilles vendues (20% par les « récoltants manipulant »), mais 80% du foncier appartient aux Vignerons.
Le travail de la vigne est entièrement manuel, ainsi que la récolte qui ne peut être faite à la machine (AOC).
Un hectare de vigne (100m x 100m) compte en moyenne 8 000 pieds de vigne.
Et enfin les travaux manuels
La taille : De novembre à mars (environ 200 h par hectare et 20 coups de sécateur par cep). S’effectue selon 4 méthodes en fonction des cépages et des régions. Elle a pour but de limiter volontairement le rendement afin d’augmenter la qualité, de sélectionner les meilleurs bois pour porter les fruits et d’aérer la végétation.
Le liage : De février à avril (environ 90h/ha). Liage des brins sur les fils pour soutenir le poids des grappes.
Le relevage et le palissage :
mi mai à mi Juillet (120h/ha). S’effectue en plusieurs passages et
consiste à relever les fils, poser des agrafes afin de soutenir les
branches au fur et a mesure de leur croissance et éviter que le vent de
les casse
Le rognage : de mi juin à mi août. (60h/ha) Couper les brins qui
cherchent toujours à monter et priveraient les grappes de vitalité.
La vendange : 110 000 personnes en renfort sur le vignoble champenois.
En résumé, le vignoble appartient à 15 000 propriétaires qui vendent 80% des vendanges aux grandes marques. Voilà un modèle, producteur et affineur de raisins, qui ressemble fort à celui liant par exemple les mineurs et affineurs de zinc. Les uns produisent la matière première les autres la lissent, la préparent et la commercialisent.
Pour connaître qui a élaboré un champagne, il suffit de le lire sur l’étiquette : NM, négociant manipulateur (il achète du raisin, le vinifie puis le commercialise sous sa marque) ; CM, coopérative manipulateur (elle achète du raisin, le vinifie puis commercialise la marque de la coopérative) ; RC , récoltant coopérateur (il travaille sa vigne c’est la coopérative qui vinifie, mais le vigneron récupère des bouteilles qu’il vend sous sa marque) ; RM, récoltant manipulant ( il travaille sa vigne, il vinifie lui-même chez lui et commercialise sa marque). Seuls quelques milliers de RM produisent et commercialisent eux-mêmes.
Tout en découvrant ces quatre parangons, quatre champagnes, la dégustation continuait autour d’un repas.
Subitement, un blanc de blanc 1985 nous fut présenté ; et là, enfin, je compris mon erreur.
La confession sera courte : un vrai vin répondant plus aux normes de la
maturité que ceux de l’éternelle jeunesse ; hmumm ; un raffinement mêlé à
la fois du terroir d’un merveilleux vin jaune et des qualités d’un vin
de Tonnerre ; un ravissement qu’il faut prendre.
Puis vint le Champagne rosé : cerise, groseille, orange sanguine, rose damascène, aubépine… ; un télescopage qu’il faut saisir.
Encore sous le choc de cette méprise historique, une fois la journée de dégustation dans les vignes terminée, je décidais de frapper à la porte de l’un des 4750 « petit producteur vigneron » isolés des circuits de la grande distribution.
La chance était avec moi car je rencontrais un RM : 5 générations de vignerons, 37 parcelles, 6.5 hectares, 60 000 bouteilles, une qualité évoluant avec le soleil et la pluie, un arome de terroir qui dépasse au moins les 10 caudalies…, un jeune couple de propriétaires, deux sourires, l’héritage et la croyance en un métier authentique…
Au cours de cette ultime dégustation tout autant merveilleuse que celle de la Grande Maison, un nouvel espoir vint lorsque l’artisan m’apprend refaire les vins d’avant-guerre. A cette époque, le champagne était différent. Certes les taux de sucre d’environ 15g/l étaient semblables aux demis secs d’aujourd’hui, mais des rendements plus faibles, des vins plus puissants, chargés d’aromes corsés et moins acides, parce que la vinification sous-bois utilisait des futs de chêne, engendraient des vins plus « vineux » à l’apparence sans doute plus douce et sucrée.
Renouer avec des vins vintage ? Non pas, ce vigneron a rentré ses futs de chêne du bois d’à côté, son aïeul y était bucheron et son champagne est du vin ! Boucler la boucle avec des fûts marquer à cœur, respecter le sol, son énergie et son ancêtre : je prends ce champagne là aussi.
Le champagne est plus que ce que vous croyez, allez-y !
PS : Pour mieux connaitre le champagne, contactez : Oenovasion http://www.oenovasion.com.