Il y a quelques semaines, j’écrivais dans « Faut-il réinvestir dans les ressources naturelles en 2010 ? » mon sentiment sur les platinoïdes. Un lecteur demande un éclaircissement sur les prix.
Depuis quelques années, les coûts de
production miniers se sont envolés, les moyens de production se sont
raréfiés. Il devenait parfois compliqué de trouver un ingénieur des
mines, un géologue ou bien d’obtenir la livraison d’engins miniers.
En ce qui concerne l’Afrique du Sud, premier producteur mondial de
platine, et second pour le palladium juste derrière la Russie, les
prévisions de production établies en 2000 pour les cinq années suivantes
se sont révélées exagérément optimistes. Les quantités produites ont
été pour certains mineurs jusqu’à 30% inférieures aux budgets. Le « pic
platine minier » prématuré de 2006 était relié à la technique et non pas
à la ressource. La progression de l’offre aujourd’hui est largement le
fait du recyclage des pots catalytiques usagés, bien qu’encore non
optimisé. Toute cette tension s’est très directement reflétée par des
prix hors norme début 2008 lorsque la première crise électrique frappait
le futur organisateur de la coupe du monde de football et que les deux
consommateurs mondiaux – la production automobile et l’investissement –
étaient aux sommets.
Prix et production de platine
Prix et production de palladium
Chacun connaît l’impact négatif de toute crise de l’industrie automobile sur la demande de platine, de palladium et de rhodium, les trois métaux utilisés dans la dépollution. L’automobile représente environ 50% de la consommation des deux premiers et environ 90% du troisième. La crise financière mondiale de 2008 aidant, les prix se sont largement affaissés pendant six mois. En effet, depuis septembre 2008 le flux des investisseurs est de retour de manière continue. Toutefois, aujourd’hui, les prix de 2010 par rapport à ceux de février 2008 sont encore un gros tiers moins élevés pour le platine et un gros quart moins élevés pour le palladium, alors que les quantités sous ETF-ETP sont historiquement hautes et représentent respectivement près de 15% et 22% de la production annuelle mondiale de platine et de palladium (voir les graphiques).
Autant l’on peut dire que la crise automobile a sauvé le marché des platinoïdes de l’explosion en 2008 – nous allions en roue libre vers 2500-3000 $/t.oz pour le platine -, autant dans notre post-crise d’aujourd’hui l’événement est qu’un effondrement du marché des deux métaux jumeaux est évité grâce aux investisseurs.
Comme je l’écrivais en janvier je ne crois pas
que la progression du platine soit une partie jouée. Cette quantité
investie est largement supérieure à la production annuelle du troisième
producteur mondial. Elle est concentrée entre des mains qui souhaiteront
s’en défaire à des niveaux psychologiques identiques et certainement
beaucoup plus rapidement que la vitesse de consommation des acheteurs
industriels. Autre perspective, à l’inverse de l’or, ici, il n’y a pas
de consommateur de dernier recours : les banques centrales ne font pas
partie du jeu.
A contrario, comme je le disais aussi en janvier, le palladium va
bientôt être perturbé par une nouvelle configuration de l’offre, moins
abondante, et l’impact sur les prix est déjà un peu là. Cependant il ne
faut non plus espérer une hausse supérieure à 50-100% car cet
aboutissement ne présagera rien de bon pour l’investisseur excessivement
long.
La suite des événements montrera que le
renouveau de la production automobile passant par l’électrique
(l’impatience des consommateurs « verts » est palpable), par recharge
pour les citadines (malgré les pièges qu’il faudra anticiper – blackout,
tempête) et d’autres propulsions électriques (hydrogène) pour les
déplacements plus longs, la consommation de platinoïdes baissera. Plus
rarement employés, ils seront aussi encore mieux recyclés. Et, même avec
un solde d’une grosse consommation bijoutière et industrielle sans
attrition, les prix manqueront probablement de dynamisme. Mais encore
faut-il rester prudent car dans ce domaine de décroissance les prix
actuels du plomb sont un exemple plein d’enseignements.
Enfin, de nombreux analystes prennent pour avéré que les économies
émergentes consommeront ces métaux dépollueurs tout aussi
progressivement que l’OCDE les a consommés depuis 1975 sans ne brûler
aucune étape. Rien n’est moins certain. La technologie aidant, ne
vont-elles pas au contraire passer du sans-voiture-ou-presque à la
voiture électrique directement ?
Je crois qu’il est encore temps et surtout nécessaire d’utiliser l’expérience peu commune accumulée au cours des différentes crises industrialo-financières attachées aux platinoïdes des vingt dernières années pour anticiper la gestion des éventuelles tensions qui s’annoncent pour les ressources naturelles « électriques » : lithium, uranium, bore, indium, rhénium…
Publié dans Les Échos le 08 03 2010