L’investisseur en or n’a pas le cerveau reptilien

Le marché de l’investissement en or serait depuis des décennies le lieu d’une bataille entre pro et anti pièces et lingot d’or. Une propagande négative contrecarrée par une contre-propagande positive. Rare sont les lobbies s’exprimant publiquement pour ou contre un sous jacent avec autant de véhémence. Pourquoi ?

Parlez en avec un analyste et il y a de grande s chance s qu’il confirme le mal nécessaire de l ’ investissement or : c’est un investissement trop simple, brutal, trivial, une insulte à la fertilité financière ; l’or n’aide pas la croissance mondiale, il ne contribue pas à l’industrie et au progrès (en dehors du luxe et de petites applications électroniques) ; l’investisseur en or est vieux et dépassé, disqualifié des marchés financiers mondiaux, il a utilisé son joker, il est sur la touche, hors course, en dehors du jeu, en temps mort, saturé d’Edgar Poe ; les érudits favorables à l’or sont des prophètes d’une fin d’un monde (guerre, surpopulation, dépression, crise, inflation..) ; sa valorisation est hautement spéculative, comprenez qu’elle ne repose que sur peu de chose. Elle aurait même une couleur politique compte tenu de sa relation inversée de fait avec celle du dollar qui lui-même se déprécie ou s’apprécie en fonction de la politique du locataire de la M aison B lanche. Un psy vous dira que l’or flatte votre cerveau reptilien.

A contrario quelques entreprises minières ici et là dans le monde sont très soucieuses des cours de l’or qui guident leurs résultats, les changeurs apprécient les variations qui encouragent les échanges et créer les marges, c’est de la vraie économie ; les trackers et autres ETF ne sont pas des produits que pour retraités, les banques centrales qui se respectent n’ont pas encore vendu leur or ; l’investisseur professionnel apprécie cet actif particulier (au même titre que les autres métaux précieux) c’est à dire la dette de personne (à lire lentement et y penser longuement) ; le particulier , lui, eh bien , il est comme dans la publicité d’une automobile : cette pièce d’or elle lui plait, même s’il n’a pas de famille nombreuse, s’il ne part pas en WE , s’il ne cherche pas séduire, s’il n’en a pas besoin, mais posez lui la question, il vous dira « je la veux » ! Alors, Investissement reptilien, émotionnel ou bien abstrait ?

Alors, demandons aux allemands pourquoi ont-ils quitté l’euro pour rejoindre l’or en achetant en masse de s Krugerrand s la semaine dernière ? Hantés par les tristes souvenirs de Weimar ils apprécient autant l’humour d’outre-manche que les imprévus grecs et la perte d’indépendance d’une BCE désormais, comme si , dirigée par un politique. Ils ont donc inaugurés une nouvelle relation entre l’or et l’euro indépendante de celle qu’il entretien avec le dollar. Si il se st abilis e à 1200-1250 $/t.oz c’est donc une bonne anticipation, donc très abstraite chez certain et émotionnelle chez d’autres, que d’envisager un or à 1200€/t.oz dès que la parité €/$ régnera.

Y a-t-il des hypothèses qui mettent en péril ce dernier scénario ?

–  La parité n’est qu’un leurre car l’Europe se relèvera rapidement de cette crise ? Personne n’y croit vraiment aujourd’hui. Et, au fond, bientôt chacun s’accommodera de notre euro faible, à vrai dire je préfère le qualificatif compétitif. Coté Yuan, sa réévaluation contre dollar semble impro b able compte tenu de sa perte de compétitivité sur son deuxième marché export, l ’ E urope ; mais si elle était décidé , 5% au second semestre , ce mouvement serait favorable à une hausse globale des prix des ressources naturelles.

–  Un euro compétitif est-il favorable à l’or ? Non en ce qui concerne les applications industrielles y compris la bijouterie. Mais l’Europe n’est plus depuis longtemps le marché phare de la bijouterie mondiale.

–  Un euro à son nadir deviendra défavorable à l’or, les investisseurs européens vendront. S’il semble se confirmer que nous sommes en train de franchir la ligature située au milieu d’une reprise en W, l’or a encore ce potentiel de hausse en euro avant de nous donner par un signal vendeur une confirmation d’une reprise économique globale . Tout le monde allant dans le même sens ce point tournant n’est pas encore en vue.

–  Les banques centrales vendront-elles de l’or ? Cela serait un élément économiquement et politiquement perturbateur qui ne risque pas d’être franchi dans l’immédiat.

–  Seul point potentiellement négatif, les mines. Les records historiques des prix de l ’ or sont faits pour être dépassés, certes , m ais cette source de réjouissance se tarira. An ticipa n t cet instant , les seuls qui risquent de modifier leur comportement sont les producteurs. Les mineurs s’interrogent, à mon avis sérieusement, sur les possibilités de ventes d’or à terme. Dans le passé elles étaient importantes, aujourd’hui nulles. Les actionnaires ne pardonneraient pas. L’impact sur les prix spot et à terme serait substantiel.

Le dernier point qui me gênerait, s’il était fondé, reste le manque d’ampleur du mouvement de l’or en dollar ces derniers jours. A chaque acheteur correspond un vendeur et j’ose espérer que nous n’assistons pas au jeu classique entre des vendeurs d’or qui retrouvent des dollars en main et des acheteurs or qui quittent des euros . Si cela se confirmait que ces derniers scrutent le retournement car, futurs collés, ils seront prédisposés à méditer sur notre vieux Publilius : n’est pas tien ce que fortune à fait tien.
Publié dans Les Échos 20 05 2010