Le match des platinoïdes Russie -Afrique du Sud se joue depuis 50 ans. Platine, Palladium, Rhodium, Ruthénium … sont les joueurs. Le score est à l’avantage de Moscou.
Schisme religieux, schisme communiste russo-chinois, schisme dans l’Union Européenne, schisme de l’écologie historique et politique… Le plus souvent c’est l’attrition quotidienne qui transmute la pureté originelle en oppositions violentes.
L’abolition de l’apartheid par Frederik de Klerk en 1991, les élections
de 1994, la victoire de Nelson Mandela, la discrimination positive
affirmèrent de nouveaux équilibrages dans les organigrammes politiques
et d’entreprises d’Afrique-du-Sud. Hélas, cette exemplarité politique
originelle post-apartheid a sombré dans le schisme des mines de
platinoïdes..
A l’extrémité haute de la société des oligarques bénéficiant largement de lois re-distributives, notamment celle des Black Economic Empowerment, sortaient des rangs de l’African National Congress ; plus bas, les mines des états du Nord-Ouest ou du Limpopo n’arrivaient pas à suffisamment recruter localement et continuaient d’employer des travailleurs immigrés en provenance de la lointaine région du Cap Oriental et de l’étranger : Lesotho Mozambique…
Dans le passé, les entreprises minières de platinoïdes du Buschveld
logeaient ces mineurs émigrés mais les gouvernements rénovateurs
ordonnèrent aux sociétés minières de subventionner les municipalités
pour que celles-ci modernisent et bâtissent d’autres logements. Mais
pourquoi construire ces logis s’il n’y en avait pas déjà assez pour les
locaux ? Hélas, souvent, ces fonds versés furent utilisés à d’autres
fins concussionnaires. Les mines devenues otages d’un système dévoyé
payèrent un d’autres supplément de primes aux mineurs, mais comment
pouvaient-ils louer un logement jamais construit ?
Résultats : échec politique, bidonvilles,
pandémies, dérélictions familiales… et les mineurs de platine rompaient
avec le syndicat de l’ANC, le National Union of Mineworkers, pour
rejoindre un concurrent moins compromis, l’Association of Mineworkers
and Construction Union. Quiconque a visité la zone du Bushveld a vu ces
mines de platine côtes-à-côtes et a imaginé les risques de contagion.
C’est dans ce contexte que le schisme syndical, les grèves meurtrières
du site minier de Marikana de 2012 puis les grèves des mines d’or, de
fer et d’autres secteurs sont une métaphore de la panne politique
sud-africaine. Révoltes et grèves paralysèrent l’ambition de leaders
politiques éloignés du bréviaire qui guida leur ascension. La nouvelle
élite politique n’avait pas pensé à une nouvelle Doctrine Nationale
Minière et elle rencontrait la chronologie politique classique: pureté
originelle, schisme, violences.
La production de platinoïdes est-elle menacée ? Elle ne l’était pas en
2012 malgré une perte de 18 tonnes car toutes les mines ne connaissaient
pas les mêmes meurtrissures. Impala par exemple portait et porte avec
constance un soin aux logements de ses employés : plus 4 500 résidences
rénovées, plus de 1500 maisons construites et vendues sans intérêt à
prix réduit pour sédentariser la main d’œuvre émigrée par le
regroupement familial, ou bien pour encourager l’emploi de locaux.
Mais d’autres ont payé le prix fort : hausses de salaires, démissions
de responsables, licenciement massifs, des tonnes de platine perdues. La
marge brute moyenne de 10% était menacée par ces surcoûts. Ils
compromettaient plus de 30% de la production, ils étaient une inquiétude
sévère pour plus de 50%.
En 2014 la situation s’est aggravée : après 3
mois de grève pour obtenir un doublement de salaires à 12500 Rands et un
coût de l’électricité qui a encore augmenté, les pertes sont déjà
proches de 15-20 tonnes de platine et environ 10 tonnes de palladium.
Sans entretien les galeries sont naturellement devenues dangereuses
voire tout simplement ennoyées et les mineurs sont retournées dans leurs
villages. Il est probable que des mines seront difficilement rouvertes
avec les cours du platine et du palladium actuels.
La consommation de platinoïdes est-elle menacée ? Compte tenu de la
gravité de la situation, la hausse des prix est maigre parce que
notamment tempérée par la disposition de stocks industriels ou
financiers. Mais les investisseurs céderont-ils le métal aux
consommateurs s’ils refusent de payer leurs prix ? Notons que certains
approvisionneurs de constructeurs automobile n’auront pas été très
agiles au cours de ces dernières années. Gare aux clauses de force
majeure.
De son coté, à partir de Moscou, Norilsk porte jusqu’en Asie et avec raison, le message marketing que son palladium et son platine sont géostratégiquement moins risqués que celui de Prétoria. En effet, quiconque s’est un jour promené en Sibérie septentrionale y aura constaté des conditions autrement plus favorables.
La pertinence de ce message russe est-elle temporaire ? Les prochaines élections sud-africaines du 7 mai prochain seront un point de repère.
Publié dans les Échos le 02 04 2014