In La Tribune 16/10/2019
Le plan Hercule doit casser en deux le modèle intégré d’EDF : production d’électricité nucléaire, au gaz et hydraulique d’un côté ; réseau de distribution, vente et renouvelables de l’autre. Mais ce plan angoisse pour trois raisons : l’organisation, l’indépendance énergétique et l’environnement
Organisation : de deux à quatre, puis de quatre à deux
Première angoisse. Le plan Hercule est présenté comme un copier/coller du plan allemand qui suivit Fukushima et avança la fermeture du nucléaire en accélérant le développement des renouvelables. Après de longues négociations, il aboutissait en 2016 à casser le modèle intégré des deux électriciens allemands concurrents l’un de l’autre, RWE et E.ON, en quatre sociétés : deux avec les productions électriques, nucléaire, charbon et le trading, deux avec la distribution d’électricité et les renouvelables. Mais, affaiblie, la quatrième, Uniper, fut débitée et vendue par morceaux. Et anticipant un autre découpe dramatique, rapidement, 18 mois plus tard, en mars 2018, la concertation à l’allemande repensait le plan et revenait au duopole. Cette défragmentation était actée à l’automne 2019. RWE réintégrait les activités mondiales amont de production d’électricité (charbon et lignite, nucléaire, gaz, renouvelables) plus la vente de gros d’électricité et 17 % du capital d’E.ON ; en aval E.ON regroupait la distribution mondiale d’électricité et de gaz. Le plan de 2016 était à court terme et donc perdant, alors que l’efficacité dans l’électricité c’est 2019 et le retour vers le long terme. De fait, depuis l’annonce de mars 2018, l’action RWE a doublé et elle est prévue en hausse de 50 % d’ici à 5 ans.
Au regard de cet aller/retour berlinois, Hercule c’est 2016. Il sera donc inachevé, car il ne considère pas le secteur, mais le seul EDF, et un plan pragmatique eut gagné du temps en copiant directement le Berlin de 2019. Sous cette hypothèse d’une désintégration ordonnée, Hercule transformait EDF en producteur et grossiste mondial d’électricité à l’image de RWE, et comme E.ON un autre grand du secteur, tel Engie, trustait la distribution mondiale et une filière gaz. Ainsi, la répartition de la dette d’EDF serait plus simple qu’entre les EDF Bleu et Vert . Délivrée de la taxe soumise à TVA et subventionnant les renouvelables, la facture électrique française s’allégerait de 15 % . EDF attirerait à nouveau de jeunes ingénieurs , le dispositif Arenh ne créerait plus de pertes et écarterait le spectre d’un autre Areva , la péréquation ne serait plus en danger et la FNCCR garderait un accès à Enedis , et la future infrastructure de la voiture électrique serait mieux décidée. Ultimo, EDF recréerait de la valeur, son action remonterait, celle d’Engie également.
Cette liste positive est-elle iconoclaste ? En Allemagne, l’expérience dit non. Mais attendrons-nous que d’autres contraintes (cf. l’entrée du chinois CTG chez Energias de Portugal) forcent les choses, ou bien qu’EDF s’ajoute au catalogue des « ça n’arrivera jamais » : Alcatel-Lucent, Alstom-GE, Arcelor-Mittal, Areva, CLAL-Fimalac, Lafarge-Holcim, Péchiney-Alcan… ?
Second défaut
Le second défaut d’Hercule réside dans l’aveuglement du copier/coller des renouvelables. La ruralité française déjà défigurée par les éoliennes terrestres devra en accepter plus, alors qu’à Berlin ils s’en lassent . Ainsi, l’arrêt de subventions a provoqué la faillite de Senvion, numéro quatre de l’éolien outre-Rhin avec 4 .000 emplois à la clef. De leur côté, nos mers ne peuvent accepter le volume d’éoliennes maritimes allemandes ou anglaises, car nos fonds marins peu profonds sont étroits. Le solaire est de fabrication chinoise et notre pic de consommation le soir en janvier et février est à l’opposé de notre pic d’ensoleillement l’été, le nord ne dispose en moyenne que de 1.100 heures de lumière exploitable par an, le sud à peine 40 % de plus. Inversement, les 2.500 à 3.000 heures d’ensoleillement régulier au Maroc, en Arizona ou en Californie se marieront toute l’année avec le pic de consommation journalier de midi.
Le copier/coller est donc inadapté pour que l’électricité verte produise jusqu’à 50 % de notre consommation, mais le renouvelable urbain est peut-être une issue : éolien et solaire en ville, sur les tours de la Défense, sur les périphériques, rénovation thermique, villes intelligentes… Pourquoi les candidats aux municipales ne s’emparent-ils pas du sujet ?
Indépendance énergétique et dépendances métalliques
Deuxième angoisse herculéenne, « l’indépendance énergétique ». Elle est un échec en Angleterre où l’électricité n’est plus nationale, les distributeurs y tombent en faillites et le 9 août dernier, 1 million de foyers ont été coupés du réseau. Conséquence, on y parle de renationaliser National Grid, le RTE local… En Allemagne, malgré la sortie du nucléaire et celle du lignite/charbon au plus tard à l’horizon 2038, l’éolien sans subvention ne rigole plus du tout, Berlin se dirige vers une dépendance envers le gaz de Donald Trump ou le gaz russe.
C’est ici qu’apparaît un faux-ami de l’indépendance énergétique : le stockage de l’hydrogène. Il vient aujourd’hui du vaporeformage du gaz naturel dont le bilan carbone n’est pas nul, mais demain il devrait venir gratuitement de l’électrolyse de l’eau grâce à l’électricité fatale des renouvelables. Cependant, sans nucléaire ni thermique, exit l’électricité fatale qui, pour gérer l’intermittence, sera stockée dans des batteries, via des métaux aux prix volatils (vanadium, cobalt, nickel…). Stockage qui augmentera mécaniquement le coût éolien, même à 50 euros/MWh. Toutefois, si l’hypothèse hydrogène persistait sans gratuité, à partir de gaz naturel européen ou extra européen, ses débouchés devraient rester industriels, car son électricité sera produite via des piles à combustible chargées en platine. Le marché de ce métal coûteux, toujours sans substitution, produit en Afrique du Sud et Russie, est étroit avec des prix fugitifs.
Il y aurait tant à dire sur ce sujet des dépendances métalliques et sur les fake-news qui le ronge, car je ne suis pas certain qu’Hercule en ait mesuré l’impact ni demandé qui acceptera d’en payer le prix.
Béton, cuivre, acier, métaux et matériaux critiques
Troisième angoisse d’Hercule. En 2018, Eurostat indiquait que l’électricité européenne provenait à hauteur de 45,9 % du thermique, 25,5 % du nucléaire, 12,2 % de l’éolien, 11,8 % de l’hydraulique, 4 % du solaire et 0,6 % d’autres moyens.
Remplacer ces 71,4 % d’électricités thermique et nucléaire par du solaire, de l’éolien terrestre, maritime ou même flottant serait un effort extractiviste herculéen : une gigantesque production de sable à béton, de cuivre, de fer et charbon pour acier et d’autres métaux et matériaux critiques.
Hélas, esclaves de l’intermittence du vent, les éoliennes d’Europe, de Chine ou des États-Unis ne tournent qu’entre 20 % et 25 % du temps (24 % en France). C’est-à-dire qu’elles ne produisent effectivement de l’électricité que pendant 4 à 5 ans au cours de leurs 20 années de durée de vie, pas plus. L’espérance de vie d’un panneau solaire est aussi courte, mais déjà prisonnier de la nuit, il produit plus vers l’équateur que vers les pôles. En outre, avec de nouveau du béton, du cuivre, de l’acier et d’autres matériaux critiques, l’énergie du vent et du soleil très diluée dans l’atmosphère doit être reconcentrée par la course au gigantisme des renouvelables.
Mais il reste imparfait. Avec du vent, l’électricité réellement produite par 900 éoliennes géantes terrestres, maritimes ou flottantes de 6 MW chacune est juste égale à celle d’une seule usine électrique de 1650 MW. C’est pourquoi, entre l’intermittence et la concentration, un MWh éolien ou solaire coûtera à la planète environ 5 à 10 fois plus en diverses ressources naturelles qu’un MWh nucléaire. Ce cavage n’est guère affaibli par le recyclage, incomplet par définition : quid de l’économie circulaire des plots en béton ou des câblages après démantèlement d’une éolienne ?
Grande consommation de ressources naturelles
Quel lien entre Hercule le sable, le béton, le cuivre, l’acier et d’autres métaux et matériaux critiques ? C’est celui d’une grande consommation à très long terme de nombreuses ressources naturelles, mais dont la philosophie extractiviste n’a jamais été révélée. Restée inconsciemment dissimulée, elle ne s’est pas incarnée dans une comptabilité écologique et je regrette que nous ne mesurions pas encore de manière dynamique le coût d’un MWh en kilo de cuivre, de béton, en litre d’eau… C’est pourquoi, bien qu’ayant d’autres solutions, nous dévorons ces ressources naturelles là où le vent et le soleil sont modérés, plutôt que de généreusement les réserver avec efficacité dans les régions du monde où le vent et le soleil sont réguliers ou offerts à profusion.
Un Hercule allégé de ces trois angoisses aiderait EDF à se réformer, car il ne serait plus orphelin d’espoir, mais construit par une dimension holistique et une stratégie audacieuse. Elles-mêmes seraient alors porteuses d’une organisation intégrée, d’une indépendance énergétique et d’une écologie responsable et comptable des ressources naturelles.