À une époque, Londres excellait pour réunir les acteurs du platine fin qu’ils « réseautent » quelques jours au mois de mai.
Cette semaine, comme chaque année au mois de mai depuis près de 50 ans, le platine, le palladium et le rhodium sont célébrés à Londres au cours de la Platinum Week. Du temps de leur grandeur, lorsque le platine coûtait 2000 $/T. oz, le palladium 1000 $/T. oz, le rhodium plus de 10 000 $/T. oz, et que leurs taux d’intérêt évoluaient entre 50 % et 100 %, cette semaine londonienne des platinoïdes était un évènement mondial tant les enjeux industriels et géopolitiques étaient nombreux.
Las, seize années après ses folies de 2000-2001, le palladium revendique poussivement une pensée spéculatrice, depuis 2008 la platine n’a cessé de s’assagir, l’hubris a cédé à la componction et le rhodium vaut à peine plus que le platine.
Côté consommation, le platine rencontre moins d’acheteurs. Récemment les ventes des véhicules motorisés au diesel baissaient, à ce déficit s’ajoutait celui de la baisse de la demande bijoutière notamment en Chine. Inversement le palladium bénéficie de la meilleure santé de la motorisation essence, mais d’un éclat plus doux que le platine, plus couleur or gris, il a peu de succès en joaillerie. Le moteur à hydrogène, s’il se confirmait un jour, serait peut-être l’occasion de relancer la consommation du platine dans l’échange ionique, voire du palladium dans le stockage de l’hydrogène.
À l’autre extrémité du spectre, les producteurs sont inégalement confrontés à des coûts de production difficilement compressibles et très proches des prix de marché. Les revenus de Norilsk, le producteur russe, proviennent d’une mine si riche qu’ils sont équilibrés entre ceux des platinoïdes, du nickel et du cuivre ; ce n’est pas la même chose pour les recettes des mineurs sud-africains, plus monovalentes et orientées vers le platine. En outre, l’impact des prix du platine et du palladium n’est pas le même lorsque l’Afrique du Sud produit 2 platines pour 1 palladium et la Russie 4,5 palladiums pour 1 platine. S’ajoute à ce déséquilibre la désorganisation de l’un, l’absence de « stratégie pays » des autres ; l’ensemble n’a jamais provoqué une stratégie commune conduisant à une régulation de la production du type OPEP. D’aucuns envisagent avec détermination que le producteur marginal, un sud-africain qui a les coûts mondiaux les plus élevés, doit disparaître avant que la situation ne s’améliore. Ils bâtissent des stratégies financières de vente à découvert de métal contre achat de certains mineurs, ou inversement pour d’autres acteurs et autres métaux.
Encouragé par plusieurs crises, s’ajoute à cette production minière de platine, de palladium et rhodium le recyclage des pots catalytique. Mise en place dès les années 1990, l’économie circulaire des platinoïdes dans l’automobile est désormais et incontestablement un amortisseur des tensions sur les prix. Ce mouvement peut encore se renforcer, car un seul pot sur deux est en moyenne recyclé, de vieilles automobiles disparaissent sans être démantelées. Le juge de paix reste les coûts du recyclage, qu’ils dépassent les prix des métaux et la filière s’arrête. Si elles se poursuivent, la légère hausse du palladium au-delà des 800 $, la baisse du platine vers les 900 $, et la stabilité du rhodium à 900-950, alors mon pari d’une égalité entre ces trois platinoïdes sera tenu. Cela sera le point de départ d’une époque quelque peu troublée, mais combien passionnante. L’évènement serait beaucoup plus fort qu’un prochain prix du palladium supérieur à celui du platine comme cela fut le cas pendant 18 mois au début du siècle. Il faudrait toutefois pour cela que les ventes de moteurs au diesel s’affaissent plus franchement au profit des moteurs à essence.
À une époque, Londres excellait pour réunir les acteurs d’un marché afin qu’ils « réseautent » quelques jours tous ensemble. Mais à l’image du Brexit quelque chose s’est brisé dans la Platinum Week. Comme le Brexit a cassé la dynamique de la City, le platine et le palladium n’ont-ils pas perdu en influence industrielle ? Comme la place de marché de la City perd de son attrait, le platine et le palladium n’attirent-ils pas moins d’investisseurs ? À l’image des courants inverses au Brexit concentrant à Paris les débats sur les minerais stratégiques de la région des Grands Lacs ou bien à Bruxelles ceux des métaux stratégiques, l’intérêt des spéculateurs n’a-t-il pas abandonné le platine, le palladium et le rhodium au profit des métaux de la voiture électrique, tels le lithium ou le cobalt ?
Publié dans Les Échos le 17 05 2017