Politique et finance verte … et sociale

Lorsque l’on songe à l’économie verte, s’impose le plus souvent à l’esprit les énergies renouvelables, mais rarement d’autres secteurs d’activité en renouveau et encore plus rarement le financement de tout cet ensemble.

Pourtant face aux enjeux d’un environnement neutre en carbone se sont mis en place au moins deux financements verts. Les fonds d’investissement spécialisés, tel Demeter, et deuxièmement le financement durable dont ING est le pilote mondial le plus en vue et Engie l’émetteur leader mondial d’obligations vertes à l’instant où ces lignes sont écrites. Avec ces trois entreprises, nous étions récemment les acteurs de la conférence sur la finance verte, « Green is the new gold », organisée à Dauphine par le Magistère Banque-Finances-Assurance dirigé par Madame Carré-Talon.

La première question que nous nous posions était la suivante : la finance verte est-elle un effet de mode ou bien une valeur sûre ?  Regardons du côté des obligations vertes. Le total émis en 2007 était de 0,8 milliard de dollars  contre 81 milliards en 2016, entre 121 et 155 milliards en 2017 et probablement plus de 250 milliards en 2018. Le chemin parcouru en 10 ans illustre un intense provignage de ce segment de marché, mais il reste encore beaucoup à faire. En effet, une fois tout comptabilisé, les besoins de financement des pays, des entreprises et des collectivités vers un monde sans carbone sont estimés proches de 100 trillions de dollars pour les 15 prochaines années (donc dans un premier temps). Mettons ce chiffre en perspective avec la dette mondiale signalée par le FMI le 5 octobre 2016, 152 trillions de dollars.

Les obligations vertes ne seront qu’une partie de ces 100 trillions. Dans l’immédiat elles représentent environ 4 % des émissions annuelles. Multipliées par sept en vitesse de croisière elles se rapprocheront de 15 % des nouveaux besoins financiers s’ils doublaient. En conclusion, nous sommes loin d’un effet de mode.

Le second thème abordé à Dauphine concernait la régulation et le contrôle des obligations vertes. Encore récemment, il semble que la Chine permettait à l’émetteur, notamment les sociétés d’état, d’utiliser jusqu’à 50 % du produit d’une obligation verte pour se rédimer d’emprunts bancaires ou investir dans l’exploitation de l’entreprise. Les autres 50 % devraient être dépensés obligatoirement dans le vert : réduction de la pollution, charbon propre, infrastructures solaires ou éoliennes…, etc.

La réglementation européenne semble beaucoup moins précise. Il n’existe pas de réglementation régissant la couleur verte des obligations, mais des recommandations. Une fois capté, nulle sanction si l’argent n’est pas utilisé dans le vert. C’est-à-dire qu’un émetteur pourrait légalement utiliser 100 % des fonds dans un projet  éloigné  du dessein d’origine. Toutefois, ce cas de détournement moral exposerait l’emprunteur à une profonde crise de confiance de la part d’agences de notation et des souscripteurs. Ses futures émissions entachées, il en paierait le prix.

Pour ne pas subir de telles aventures, les trois entreprises présentes à Dauphine suivent et recommandent de suivre scrupuleusement quatre principes :

• Initiation du projet : intention et bénéfice environnemental.

• Sélection des projets : faisabilité et éligibilité.

• Gestion des fonds : identification précise des dépenses chez l’émetteur.

• Reporting transversal : Surveillance détaillée de l’engagement des fonds projet par projet.

Et l’ensemble de ces garde-fous est efficace puisque les obligations vertes sont utilisées  à hauteur de 33 % dans les énergies renouvelables, 30 % dans la rénovation du bâtiment, 15 % dans les transports, 23 % dans le développement durable de l’eau, l’économie circulaire, les forêts….

Troisième thème, quels avantages la finance verte présente-t-elle réellement pour les entreprises puisque son succès est une propédeutique aux obligations sociales et d’une manière plus large à la finance durable ?  

Une première réponse tient sans doute dans l’évolution du produit. Les obligations vertes sont identiques aux autres obligations classiques lorsqu’on les approche via la structure, le risque ou le revenu ; émetteur par émetteur elles ne sont pas plus ou moins coûteuses que les autres.

Mais depuis peu de temps, la panoplie évolue. D’obligations vertes nous passons aux prêts bilatéraux verts vertueux ou autrement identifiés prêts développement durable. Ces derniers sont particuliers, car à la différence des obligations ils voient la marge du crédit bancaire évoluer en fonction de la notation verte  ou « durable » de l’entreprise. Ce baromètre est établi régulièrement par des agences de notation spécialisées, par exemple Sustanalytics ou Vigéo Eiris ; meilleure est la notation environnementale, meilleure sera le taux qui n’est plus une maltôte quantitative imperméable aux efforts environnementaux ou sociaux de l’entreprise.

Une deuxième réponse est qualitative. Au moment où l’écologie politique décède de ses propres excès, l’écologie des finances s’envole. Sans ouvrir l’interminable débat entre politique et finance, contentons-nous de constater que l’idéologie aura permis qu’une branche de la finance change l’entreprise lorsque, sous l’effet du vert, la banque prêteuse et la direction financière de l’entreprise emprunteuse transforment leur relation. Celle-ci  s’enrichit et s’améliore, car le dialogue entre commensaux financiers des deux bords s’approfondit des apports des techniciens, des gestionnaires terrain qui apportent et expliquent les reporting transverses projet par projet. Cette évolution qualitative apporte une garantie supplémentaire au souscripteur que les fonds sont dépensés dans les projets initiaux ; elle profite aux entreprises qui fidélisent une source de financement tout en enrichissant la communication interne ; elle profite également aux banques qui font le pari que leurs clients sensibles au vert connaîtront une performance supérieure aux autres. Le même constat vaudra sans doute pour les obligations sociales.

Concluons sur l’impact de cette finance durable sur la dette. Le monde sans carbone correspond à un saut qualitatif par rapport au monde avec carbone, cette étape à un prix. Les 100 trillions des 15 prochaines années augmenteront la dette nette mondiale et cela se reflétera dans les prochains rapports du FMI. Mais il ne faut pas nécessairement le craindre. Comme toute dette, la dette verte ou sociale peut être une belle chose. Elle accompagne l’optimisme, porte le risque puis engendre des découvertes.

Publié dans Les Echos le 22 03 2018