Pourquoi Donald Trump n’achètera pas les terres rares du Groenland

In La Tribune 27/08/2019

Des gisements d’hydrocarbures étaient présentés comme l’objectif d’un éventuel achat du Groenland par Donald Trump, c’est sans doute inexact. D’une part, les États-Unis ont plus qu’assez de pétrole et de gaz de schiste au point qu’ils en exportent. D’autre part, les récentes campagnes d’exploration d’hydrocarbures sous-marines menées au large de Nuuk par quelques majors ont découragé une éventuelle exploitation à cause de la difficulté environnementale si particulière au Grand Nord.

Outre l’aspect géopolitique russo-américain hérité de l’ancienne guerre froide, l’objectif réel s’inscrirait dans le contexte de l’actuelle guerre commerciale américano-chinoise : les États-Unis auraient cherché à contrer l’éventuelle, voire illusoire, menace d’un embargo chinois sur les exportations de produits à base de lanthanides (terres rares) fabriqués dans ses usines par Pékin, et utilisés notamment par le complexe militaro-industriel états-unien. Mais l’arme est dangereusement à double tranchant: un tel blocus par Pékin créerait en retour d’autres embargos sur d’autres ressources entre la Chine et Washington, puis, par un effet de boule de neige, également entre des pays alliés des deux belligérants  – le monde des ressources naturelles n’est jamais à sens unique.

Les projets miniers déjà en cours au Groenland

Revenons aux terres rares du Groenland ; la Chine contrôlait environ 90% des mines de lanthanides mondiales, mais cette part est en décroissance à 70%. Et ces chiffres ne comptabilisent pas l’éventuelle exploitation de nouvelles ressources, notamment celles de Nuuk qui comptent deux projets miniers, ceux de Tanbreez Mining et Greenland Minerals, qui sont encore au stade des autorisations . Exploiter ces deux mines affaiblirait encore la position dominante de Pékin.

Mais Donald Trump n’achètera pas le Groenland non seulement parce que le Danemark et le Groenland y sont pour le moment opposés, mais surtout parce que l’industrie européenne pourrait avoir d’autres projets pour ces lanthanides dans le cadre d’une nouvelle politique européenne de l’Arctique.

Des obstacles (et pas seulement des icebergs) sur la route de La Rochelle

En effet, l’Europe, et en particulier la France, devrait décider si certains lanthanides sont pour elles des matières stratégiques disposant d’une politique européenne coordonnée. Si cela devenait le cas, alors l’usine de raffinage de terres rares de La Rochelle, idéalement placée pour recevoir le minerai groenlandais par bateau, deviendrait l’unique usine de traitement de lanthanides en dehors de Chine, puisqu’une telle usine n’existe pas aux États-Unis, affaiblissant d’autant les rodomontades de Washington. Ce raffinage en France pourrait être le point de départ d’une industrie européenne de grande envergure, en concurrence directe avec les usines chinoises, et capable de fournir les industries électriques en aimants permanents.

Mais pour en arriver là, il faudrait que Tanbreez Mining et Greenland Minerals y trouvent un intérêt. Ces deux sociétés sont australiennes et la seconde qui dispose des meilleures réserves a, comme premier actionnaire, une société chinoise, Shenge Resources. Comment l’inciter à détourner le flux de sa mine de Kvanefjeld vers La Rochelle alors qu’elle a formé a formé une joint-venture avec China National Nuclear Corporation pour raffiner sa future production en Chine ? Faut-il que des financements européens lui soient signalés, ou bien qu’en aval de l’usine de charentaise une industrie métallurgique européenne des lanthanides soit opérationnelle ?

Ou bien, plus rudement, signaler que le futur trajet maritime du minerai passant nécessairement par des mers qui n’existent pas encore puisqu’elles sont prises par les glaces, c’est la protection de l’environnement qui interdira cette perspective de transport. Là où nous en sommes du dérèglement climatique, cet élément écologique est probablement un élément favorable supplémentaire en faveur d’une solution européenne.

Trump ou l’art de la diversion géopolitique

La déclaration de Donald Trump apparaissait donc comme une manœuvre, une diversion, un leurre dans son combat contre Pékin. Et, s’il est réellement intéressé par contrer des intimidations chinoises sur les lanthanides, sa stratégie la plus efficace, reste de produire des terres rares à partir du sous-sol états-unien : la mine de Mountain Pass en Californie peut approvisionner le pays, tout comme pourrait être exploités d’autres gisements situés au Texas, au Colorado, au Wyoming ou en Alaska.

Enfin, cet épisode « trumpien » confirme une nouvelle fois que l’expression « métaux rares » est une néantise à cheval entre le néant et la bêtise puisqu’il suffit de les produire pour en réduire les enjeux géopolitiques, il est aussi un nouveau révélateur que les ressources naturelles du Grand Nord doivent être protégées par une nouvelle stratégie d’influence européenne de l’Arctique.