In Revue Géologues juin 2021 N°209 (mises à jour février/2023 & août 2023)
La Nouvelle-Calédonie dispose d’une importante réserve de nickel, mais elle utilise trois stratégies pour l’exploiter.
La stratégie de la province Nord est celle de la Doctrine Nickel qui privilégie le partenariat industriel pour assurer son développement territorial.
La province Nord est propriétaire de deux usines, la première située en Corée est partagée avec le sidérurgiste Posco. La seconde, située en contrebas du massif de Koniambo, est celle du rééquilibrage voulu par le Général de Gaulle et est partagée avec le mineur Glencore.
Dans les deux cas, la Province Nord est propriétaire de 51 % des mines et des usines et les industriels 49 %. La Doctrine Nickel a rencontré trois résultats : les deux partenaires industriels, Posco et Glencore, sont restés fidèles malgré les vicissitudes techniques ou financières des partenariats, la stratégie du développement local par ruissellement a bien fonctionné et la propriété de deux actifs industriels de classe mondiale représente un capital important qui peut être une première brique d’un fonds souverain provincial. Le nickel est exporté sous forme métallurgique, ou bien sous forme de minerai, mais dans l’usine calédonienne de Corée du Sud. il est donc consommé en Asie
Au sud la stratégie est double.
À Nouméa, la SLN appartient à hauteur de 34 % aux 3 provinces — Sud, Nord et des Îles — et le solde à Eramet et à un industriel japonais. Mais depuis plusieurs décennies et encore dernièrement, l’État, actionnaire d’Eramet, est souvent intervenu pour sauver et re-sauver la SLN de situations de faillites. Le nickel est exporté sous forme métallurgique ou bien sous forme de minerai dans des usines asiatiques non calédoniennes. La France et l’Europe ne profitent ni de ce minerai ni des métaux qu’il contient, ils restent en Asie. (mise à jour) En 2014 le sombre avenir de la SLN avait été annoncé. Pourtant, sans discernement ni stratégie industrielle, en 2016 le gouvernement Valls investissait directement en cash 200 M€ dans l’entreprise: « une question de survie ». Il croyait probablement le temps politique supérieur au temps économique. C’était sans doute la marque d’un manque d’expérience industrielle, car au lieu d’une révolution actionnariale et stratégique plaçant le nickel calédonien sur un échiquier de souveraineté français et européen, c’est une chirurgie sociale qui était imposée à la SLN. C’est à dire une opération perdue d’avance. En effet, en 2023 le temps économique a rattrapé et dépassé le temps politique: il faut une nouvelle fois sauver la SLN, car elle est à nouveau en situation de banqueroute. En conséquence, le gouvernement Macron ajoute 40M€ pour faire face à une « situation de trésorerie critique ». Quelle sera la prochaine étape? Alors que des solutions existent!
À l’extrême sud, l’industriel brésilien Vale a quitté le territoire en 2021 après des années de pertes financières. Paris profitait de ce départ pour redistribuer le capital de l’usine et de la mine de Goro sous la forme d’une nouvelle société, Prony Resources, à un groupement composite d’actionnaires, dont aucun n’est industriel : la province Sud, des salariés, Trafigura, le management de l’entreprise et un très jeune fonds d’investissement néo-Zélandais dirigé à partir de la place financière chinoise de Hong-kong. Au total Paris apportait une contribution financière de 442M€ pour finaliser l’ensemble.
La province Sud s’est impliquée dans le départ de Vale et l’avenir de l’usine et de la mine, au point d’en créer a postériori une stratégie. Celle-ci n’est ni industrielle, puisqu’elle ne perçoit pas de dividende, ni rentière, car elle n’obtient pas de royaltie sur la production, mais immobilière. La province encaisse un loyer sur des terres amodiées, mais il serait trop faible pour qu’il puisse devenir la source majeure de politiques publiques d’ampleur. La production de l’usine est exportée sous la forme d’un demi-produit vers des usines asiatiques non calédoniennes. le nickel est là encore consommé en Asie notamment par Tesla. Malgré la clientèle d’Elon Musk, fin août 2023 Prony Resources attirait l’attention à propos de la dégradation de la trésorerie de l’entreprise d’ici novembre 2023 « si aucune action n’est engagée ».
3ème Référendum
En vis-à-vis de cet inventaire, la préparation du troisième référendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie était l’occasion pour la Chambre Territoriale des Comptes de faire un bilan de l’industrie de nickel calédonienne. Rares y sont les compliments. Les points soulevés sont parfois obsolètes ou sonnent comme des déceptions. Mais doivent-ils être considérés comme des échecs liés à une absence de contrôle et donc une perte de puissance des finances publiques au fur et à mesure que depuis des années Paris prêtait, investissait dans la fiscalité ou annulait des dettes ? Dans le cas contraire, un autre élément intéressant eût été de détailler l’ensemble des bénéfices que la métropole retirait de tant d’investissements ?
En outre, les débouchés commerciaux du nickel calédonien ne sont pas en Europe, mais focalisés vers la Chine, le Japon ou la Corée du Sud. La majorité du nickel mondial y est consommée dans l’acier inoxydable et les cathodes pour batteries électriques. La même question résonne : la France finance le nickel calédonien, mais quel est le retour réel de ces investissements pour les finances publiques métropolitaines et l’industrie des batteries européenne alors que le fruit métallurgique de ces productions calédoniennes, le nickel, est destiné à l’industrie asiatique ?
Le nouveau marché mondial du nickel
Face à la dispersion stratégique nord-sud calédonienne, face aux finances publiques émancipées et au fait que trois usines calédoniennes sur quatre sont en perte — seule l’usine coréenne est rentable, le marché mondial du nickel s’est concentré de manière compétitive.
Le premier producteur mondial de nickel n’est plus ni le Canada ni la Russie, mais l’Indonésie ; comme nous l’avions annoncé en 2014, ce pays est devenu un concurrent coriace, car sous l’impulsion d’une politique industrielle il est désormais le premier producteur mondial et disposerait du potentiel pour doubler à lui seul la production annuelle mondiale actuelle. Il n’exporte plus de minerai de nickel, car il a franchi en peu de temps l’étape de mineur pour celle de métallurgiste, puis de transformateur puisqu’il produira de la valeur ajoutée locale aux pieds de ses mines : de l’acier inoxydable et des éléments de batteries. Cette réussite questionne : à part l’usine coréenne, pourquoi la Nouvelle-Calédonie n’a-t-elle pas elle également réussi une stratégie industrielle globale de cette nature ?
L’héritage
Quoi qu’il en soit, force est de constater que le grand héritage matériel et positif depuis les accords de Matignon restera le développement territorial qui a ruisselé au Nord tout autour des investissements de l’usine de Koniambo. En revanche, la grande absente semble bien être la carence d’investissement privé calédonien dans l’aval minier, c’est-à-dire dans la métallurgie et la transformation du nickel, qu’il soit local ou bien offshore.
À l’avenir, la stratégie du nickel calédonien sera à observer sous un double prisme. D’une part, sa stratégie socialement responsable : elle reste à construire dans l’environnement, le social, la gouvernance autour d’une stratégie commune annoncée en 2012. Dans ce dernier domaine politique, 2023 voyait un revirement à 180° de la province Sud en faveur de la Doctrine Nickel de la province Nord. C’est un évènement politique qui souligne au combien la province Sud s’est trompée depuis des dizaines d’années et combien la province Nord avait donc raison depuis autant d’années.
D’autre part, de quelle façon les producteurs calédoniens se positionneront-ils vis-à-vis des consommateurs : la stratégie doit-elle perdurer dans le commercial classique actuel en concurrence avec d’autres fournisseurs internationaux, mais avec les résultats et conséquences que l’on connaît déjà ; ou bien, la Nouvelle-Calédonie doit-elle privilégier de réels partenariats industriels dans l’acier ou les batteries, à l’image du partenariat avec Posco ou de l’Indonésie, pour sécuriser des marges supplémentaires ?
Quel que soit l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, s’il est regrettable que les « politiques » furent incapables de construire une « stratégie commune » demandée il y plus de dix ans – alors que des solutions existent, sa Doctrine Nickel devra de nouveau progresser vers une intégration plus profitable dans l’industrie mondiale.