In Les Échos 13 02 2018
Il faut au moins une fois lire le discours du président congolais de la Gécamines, la société minière étatique de RDC, prononcé à l’Indaba 2018 en Afrique du Sud pour comprendre sa frustration.
Depuis 18 mois le président de la Gécamines, Albert Yuma, surveille plus attentivement que par le passé ses entreprises communes avec les sociétés minières internationales. Il conclut de cet examen qu’à l’avenir ces coentreprises doivent être mieux contrôlées. Les résultats off-shore de ses partenaires diminueront et par conséquent les résultats domestiques des coentreprises augmentant les dividendes versés à la Gécamines seront plus importants. Simultanément, via le nouveau code minier il semble qu’augmenteront drastiquement les redevances minières payées par les coentreprises sur la production de cuivre, du cobalt, de l’or, mais également les taxes sur les marges lorsque les prix de ces métaux seront situés 25 % au-dessus des études de faisabilité et enfin les droits sur les pas de portes miniers.
La période pour une cette remise à plat comptable et fiscale est astucieusement choisie, au moment du brouhaha de la voiture électrique. D’ailleurs d’aucuns s’interrogent si ces mesures orthodoxes ne furent elles pas concoctées par des consultants qui auront conseillé dans le passé, mais avec d’autres méthodes hétérodoxes, les mêmes sociétés minières internationales ?
Toutefois, après la lecture de ce discours surgissent plusieurs réflexions à propos de l’industrie minière de RDC laissée en déshérence par le même pouvoir qui souhaite aujourd’hui l’épurer ?
Si la Gécamines comptabilise avec précision les contributions non perçues de ses partenaires depuis plusieurs années, plutôt que de s’en tenir cette évaluation, elle aurait avantageusement équilibrée ses arguments en justifiant au même moment l’utilisation de l’ensemble des revenus qui furent perçus depuis des années par la RDC de la part de ces mêmes sociétés minières. Pourquoi ne pas avoir clarifié, voire détailler l’utilisation de ces contributions, officielles ou officieuses ? Quid par exemple, de la destination et l’utilisation finale de la récente soulte prélevée lors de la vente de TFM à China Molybdenum ?
Mais, regardons plus loin. Cette vision congolaise nous conduit assez naturellement vers le thème du nationalisme des ressources, thème étudié dans ce blog depuis 2009. Il y a 18 mois, ici même dans le Cercle, nous interrogions la Gecamines : « La RDC doit-elle rester une carte chinoise et exporter du minerai, ou bien industrialiser le pays en créant en RDC des unités de transformation, par exemple des usines de batteries, plutôt que d’exporter de la matière brute ? ». Répondant à notre question de 2016 le président de la Gécamines révèle aujourd’hui qu’une entreprise asiatique va s’installer en RDC pour y fabriquer des éléments de batteries. L’histoire et la concordance des temps nous enseignent combien ce type de mouvement est classique. Il permit à l’Afrique du Sud d’utiliser ses platinoïdes pour ne plus exporter des métaux, mais des catalyseurs auto, à l’Indonésie de permuter ses exportations de minerai de nickel par des exportations d’acier inoxydable, à la Chine de ne pas exporter des terres rares, mais des aimants permanents, à la Nouvelle-Calédonie de convertir ses exportations de minerais nickélifères pauvres en une usine off-shore située au milieu d’une aciérie en Corée et demain à la RDC de transformer des exportations de cuivre et de cobalt en exportations de câbles et d’éléments de batterie. C’est d’autant plus logique en RDC que « lorsque le consommateur africain se réveillera, la Chine tremblera ! ». En effet, comme je l’expliquais récemment au Forum Afrique organisé par le trio MOCI-CIAN-CCIP, il faut bien comprendre qu’à l’image de la pénétration en Afrique des téléphones intelligents sans l’étape du téléphone filaire, l’Afrique passera de l’artisanat directement aux usines métallurgiques cuivre-cobalt robotisées et farcies d’intelligence artificielle. Elle mutera également des bidonvilles tentaculaires directement aux villes intelligentes, de l’agriculture traditionnelle aux herbicides biocontrôle sans glyphosate, du vélo du charbonnier du film Makala à la voiture électrique.
Il serait donc incontrôlable de s’opposer à une vision transformatrice de la gestion des ressources naturelles de la RDC, mais la crédibilité ne s’achetant pas, d’aucuns souhaiteront connaître la destination de tous ces coruscants et futurs revenus de la Gécamines. Un fonds souverain ? Avec quelles règles d’engagement ? Les revenus de la Gécamines seront-ils dépensés dans des projets concrets : l’éducation, la santé, l’électrification de la ruralité via des fermes solaires, ou bien disparaîtront-ils au milieu de nulle part ?
En conclusion éloignons-nous un instant de la Gécamines dont le témoignage exprime cependant qu’un capital humain congolais bouillonnant d’initiatives (voir dans un autre domaine le Sultani Makutano) est en quête de changements pour atteindre une démocratie minière.
La RDC n’est pas un pays pacifié, les frontières orientales ne sont pas encore sûres, l’intérieur du pays souffre de violences, La Monusco est la plus coûteuse mission de sécurité de l’ONU, 1,2 milliard $/an. L’église congolaise célèbre la messe, mais des chrétiens sont tués après l’office. Le pouvoir de Kinshasa est sans mandat électoral depuis le 20 décembre 2016 ; une partie de la communauté internationale vilipende le gouvernement actuel, tandis qu’une autre partie est pragmatique.
Ces éléments tous parfaitement connus et immobiles contrastes cyniquement avec la gestion « ouahou “avancée par le président de la Gécamines. Au stade des idées, l’état est en retrait par rapport aux idées de M Yuma. Mais la vertu ne survivant pas à l’air empoisonné, il subsiste une interrogation : le changement prôné par la Gécamines tout comme celui du code minier ne doivent-ils pas être précédés du changement de quelque chose d’autre ?