In Les Échos le 15 11 2017
Une usine de batterie lithium décalée est-elle en train de naître dans l’Aveyron ?
Comment contribuer aux objectifs climatiques définis lors de la COP 21 et répondre de manière originale aux interrogations relevées dans ce billet précédent : production minière, intermittence électrique et production de batterie ultra performante ? Tesla ou LG et d’autres en Asie suggèrent qu’elles ont 15 à 20 ans d’avance sur l’Europe dans ce domaine. Avance qui semble irrattrapable à court terme tant les investissements pour bâtir une usine similaire semblent colossaux au regard de l’histoire industrielle récente de notre pays. Autant l’écrire immédiatement, ce billet ne répond pas à la question avec une telle usine, mais avec celle de la génération d’après.
Une entreprise aveyronnaise veut répondre à la question d’une manière décalée ; elle commence par la fin, à la manière d’un producteur de TGV asiatique : reproduire à partir d’un existant. Elle met en œuvre cette stratégie en faisant appel à son expertise dans le recyclage et en se concentrant sur un segment du marché, les batteries stationnaires pour pallier à l’intermittence de l’électricité climatique.
Son nouveau projet toujours entouré de confidentialité et au nom de code UEX2, réincarne (à la mode indienne) des batteries au lithium issues de véhicules électriques et hybrides sous la forme de nouvelles batteries industrielles stationnaires. Et, elle suggère qu’une batterie automobile produit plusieurs batteries stationnaires réduites, et, possibilité inverse, plusieurs batteries de voiture constitueront une grande batterie stationnaire.
Ce n’est pas du ré-usage.
Le défi cette entreprise, SNAM, n’était pas simple, car, dans un premier temps, il faut commercialement attirer dans l’Aveyron, les batteries au lithium usagées. C’est chose faite. Ce monde est secret, aucune information n’est partagée entre les constructeurs, mais les accumulateurs en fin de vie se précipitent dans l’Aveyron pour y être mis à nu. Ils viennent de partout, de Taiwan à la Colombie, des États-Unis à l’Argentine, du Moyen Orient à l’Europe entière. C’est notamment le cas des batteries automobiles entrées sur le marché au début des années 2000. En Aveyron les batteries des constructeurs ne sont plus timides : Audi, BMW, Citroën, DS, Honda, Hyundai, Kia, Lexus, Mitsubishi, Mercedes, Peugeot, Porsche, SEAT, Skoda, Suzuki, Toyota, Volkswagen,…
Techniquement, ces batteries rejoignent l’entreprise aveyronnaise parce que son processus de démontage est particulier, il requiert des technologies et un étonnant savoir-faire. Les barrières technologiques et de sécurité à l’entrée du secteur sont réelles, mais c’est le métier de l’entreprise depuis 1977. Conçues pour libérer instantanément 100 % de leur puissance, les batteries automobiles au lithium sont sûres tant qu’elles sont dans l’automobile, mais elles deviennent dangereuses lorsqu’elles en sont extraites. Plusieurs mois après l’extraction de la voiture, la batterie réclame prudence et dextérité, car elle est encore chargée d’une redoutable énergie résiduelle qui peut être mortelle, sans compter les risques liés aux manipulations des matières toxiques. Chaque pièce qui la constitue est donc soigneusement démontée, diagnostiquée, testée, sélectionnée puis remanucfacturée dans un nouvel accumulateur. Au final, à partir des composants d’une batterie automobile plusieurs batteries neuves stationnaires sont constituées, ou bien une grande batterie stationnaire peut être construite à partir de plusieurs batteries de voiture. Bien qu’à chaque fois, l’appareil neuf commercialisé soit à hauteur de 80 % composé de matières et composants recyclés, les batteries son vendues sous garantie de l’entreprise aveyronnaise, celles du producteur initial ou du constructeur automobile ne sont plus engagées. C’est parce qu’elle est habilitée à recevoir et à traiter des déchets de batteries que la Responsabilité Élargie du Producteur initial est levée ; les batteries sont sorties de la circulation et un certificat de recyclage est émis conformément à la réglementation européenne. La batterie d’origine a changé de morphologie, de composants, d’application… Une nouvelle batterie est née.
Le marketing est simple. Si les modules équipant les batteries automobiles sont conçus pour des charges et des décharges rapides et irrégulières, une fois réincarnées en accumulateurs stationnaires ils sont soumis à des charges et décharges lentes et régulières. La charge provient de l’électricité intermittente, une ferme solaire par exemple, lorsqu’elle produit trop d’électricité, la consommation est industrielle et régulière dans l’effacement électrique : de la production à la distribution et la consommation. Cet usage sans à-coup prolongera d’autant la durée de vie des modules.
Lorsque ces batteries arriveront en fin de vie, une nouvelle résurrection aura lieu. SNAM recycle piles et batteries depuis 40 ans. Les batteries reviendront à l’usine pour être traitées comme actuellement par des procédés pyrométallurgiques et hydrométallurgiques. Les matières contenues — lithium, cuivre, cobalt, aluminium, nickel…, — seront récupérées et réinjectées dans les marchés des métaux, c’est ici que s’attache la boucle de l’économie circulaire. Et cette dernière étape est identique celle de matières telles que le cadmium qui, une fois recyclé, est facilement commercialisé en Europe, en Asie et en Inde notamment dans l’énergie solaire et la fabrication de nouvelles batteries. D’ailleurs son prix a plus que doublé depuis début 2016.
Le symbole ne serait-il pas déroutant si le futur recyclage des solvants et métaux des batteries au lithium, emblèmes de la transition électrique, aboutissait à des recyclages irrespectueux de l’environnement ou bien illégaux ?
Ce modèle est en outre éloigné du ré-usage, de la seconde vie. Par exemple celui de batteries automobiles usagées stockées telles quelles dans un conteneur pour alimenter des lampadaires ou un site urbain. Ce modèle est probablement dangereux si ces batteries n’ont pas été auditées, qu’elles ne sont plus sécurisées dans l’automobile alors qu’elles sont vraisemblablement toujours sous la responsabilité du constructeur automobile.
Ultime facette, l’entreprise a résolu la question commerciale, la technique est dénouée, l’environnement respecté et la maladie française du financement y est en régression. Le propriétaire est un holding belgo-luxembourgeois, mais il manque probablement au capital un grand actionnaire actif dans l’énergie, le recyclage ou bien les métaux.
La décadence, le déclin, l’abandon, la déshérence industrielle française pullulent dans les conversations, les blogs, les journaux. N’avons-nous pas l’inverse dans cette « Frenchfab » aveyronnaise? Décadence dans les esprits parisiens, mais renouveau industriel en province par une usine de batteries dont le rôle sera encore éminent lorsque les voitures électriques auront à leur tour cédé la place à un mode de transport plus moderne.