In La Tribune 23/12/2019
En abandonnant le charbon et le lignite, l’Allemagne, la Pologne et l’Europe orientale rentreront dans un état de grande dépendance électrique lorsque les énergies renouvelables seront insuffisantes. Soutenir l’inverse est une fake-news aussi corrodante que le disque rayé de l’infox des « métaux rares » ( vidéo).
Alors qu’il faut nous préserver de la malédiction climatique, seul le gaz naturel peut assurer la substitution du charbon à moindre coût. Mais sa production européenne est en chute libre. Elle était aux environs 270 Milliards m3 il y a cinq ans, elle ne sera plus qu’à environ 200 Mm3 dans cinq ans : les Pays-Bas sont devenus importateur net et les productions de la Norvège et du Royaume-Uni sont stables à 175 Mm3.
Inversement, la demande de gaz naturel est en hausse. Les 550 Mm3 qui seront consommés par l’Europe en 2020 (14 % de la demande mondiale), seront brûlés à hauteur de 75 % dans l’industrie et les ménages et 25 % dans la production électrique. En conséquence, la dépendance gazière européenne est déjà vaste, 350 Mm3 par an, et elle augmentera encore lors du remplacement du charbon et du lignite électrogènes par le gaz. Le dilemme européen est limpide : d’où viendra le gaz ?
Le cadeau de Noël de Poutine et de Trump
La Russie couvre déjà environ 62 % de notre dépendance par ses gazoducs. Fonctionnant au-dessus des taux nominaux, ils ont saturé en 2019 après avoir transporté 210 Mm3. Ils seront légèrement soulagés en 2020 grâce aux 55 Mm3 du gazoduc sous-marin Nord Stream 2, le tube jumeau de Nord Stream 1, qui permettra à l’Allemagne de doubler sa capacité d’approvisionnement directe de gaz russe, 110 Mm3, sans les transits ukrainien et polonais des deux gazoducs Fraternité et Yamal. Elle devra toutefois acquérir d’autres sources pour remplacer son lignite à l’horizon 2038.
Il est donc presque contradictoire au milieu du conflit du Donbass et cependant heureux, que cette semaine Moscou et Kiev signent l’accord permettant de continuer la livraison de gaz à l’Europe à via l’Ukraine. C’est le cadeau de Noël de Poutine à l’Europe, assorti d’un chèque de 2,9 milliards de dollars en faveur de Kiev.
Répliquant à cet accord, la stratégie de puissance énergétique des États-Unis sanctionnait les sociétés européennes qui financent Nord Stream 2.
Ce châtiment est le cadeau de Noël de Trump.
Moins plaisant que celui de Poutine, il est le fruit d’une diplomatie du Talion et indique néanmoins que Washington souhaite autant que Moscou vendre son gaz à l’Europe. Son principal allié est la Pologne. Viscéralement opposée à Nord Stream 2, elle servira de tête de pont au GNL de schiste étatsunien importé dans ses ports par méthaniers. Elle le consommera et le déversera en Ukraine dans le but de concurrencer le gaz de Moscou, faire baisser les prix, voire plus tard s’opposer au renouvellement du transit de gaz russe vers l’Europe de l’Ouest.
Cette perspective polono-ukrainienne ne s’embarrasse pas des futurs risques de baisses d’exportations de gaz par Washington qui sont pourtant possibles pour deux raisons.
Premièrement, si Trump n’est pas réélu en 2020, les démocrates Warren et Sanders envisagent d’une part d’alourdir les restrictions techniques pesant sur la fracturation hydraulique indispensable à la production de pétrole et gaz de schiste, d’autre part d’interdire aux sociétés pétrolières l’accès aux terres fédérales qui représentent 20 % de la production actuelle.
Ce risque d’une baisse de production dès 2021 sera-t-il affaibli par la tentative d’impeachment initiée par les démocrates, qui paradoxalement pourrait accroître les chances d’une réélection de Trump ?
Deuxièmement, une importante dette pèse sur 45 % de la production étatsunienne logée entre les mains de petits producteurs ruinés par des prix du gaz aux plus bas. Ils peuvent faire faillite et provoquer un désordre de classe mondiale sur les prix. Dans le cadre de la stratégie de domination énergétique du président Trump, les majors pétrolières seront-elles réquisitionnées pour reprendre leurs exploitations et assurer le continuum de la production et des exportations vers l’Europe ?
Les intérêts du nouveau Royaume-Uni « brexité »
Cette situation a longuement été discutée ici : fracture entre gaz russe à l’Ouest de l’Europe et GNL étatsunien à l’Est de l’Europe, nationalisme et paix, indépendance ou domination énergétiques. Les récentes et très significatives victoires gazières russes clarifient les règles du jeu à l’est, tandis qu’à l’ouest le GNL de schiste étatsunien verra l’incertitude levée après le résultat de l’élection présidentielle de novembre prochain.
En outre, puisque le pivot de cette négociation européenne se situe en Pologne, il est utile de noter que l’engouement de cette dernière pour Washington trouvera probablement un nouvel allié dans le Royaume-Uni « brexité ». Ces deux pays auront à défendre dans le gaz et dans d’autres domaines des visions et intérêts communs différents de ceux de Bruxelles.
Laissons cette brève revue géopolitique énergétique se conclure sur une perspective optimiste. Notre continent répartit son risque énergétique à long terme entre trois fournisseurs : la Russie, le GNL de schiste étatsunien et le GNL moyen-oriental et africain pour le sud de l’Europe. Chacun est contraint à la stratégie du prisonnier pour conserver ou gagner des parts de marché.
Présage de cette future profusion gazière favorable, alors que la moyenne des prix européens du gaz des 7 dernières années au TTF spot est supérieure à 19 €/MWh, il est coté actuellement, en hiver, aux environs de 14 €/MWh. Bien gérée, la future compétition pour le marché européen pourrait être l’assurance d’une projection d’un prix moyen à long terme attractif, situé entre 9 et 14 €/MWh.