In Les Echos le 27 05 2011
C’est la question que je me suis posée en quittant le tribunal le 5 mai 2011 après avoir assisté à une audition publique entre les représentants de DSC, de la Sima et d’Eramet d’une part et de CTF d’autre part.
Qui est le propriétaire du groupe minier français producteur de manganèse au Gabon, de nickel en Nouvelle-Calédonie, d’alliages en Auvergne et dont les trois-quarts du capital se répartissent entre la famille Duval-Sorame-CEIR (DSC), Areva et Carlo Tassara France (CTF) ? C’est la question que je me posais en quittant le tribunal le 5 mai 2011 après avoir assisté à une audition publique devant trois juges entre les représentants de DSC, de la Sima et d’Eramet d’une part et de CTF d’autre part.
Eté 1999
Allons à l’essentiel. Selon CTF, les résolutions de l’assemblée mixte
des actionnaires d’Eramet du 21 juillet 1999 doivent être annulées.
Elles accordaient à DSC l’acquisition de 40 % du capital d’Eramet (44 %
des droits de vote) contre les actifs d’une autre société (la Sima). CTF
affirme qu’une fraude conduisait ce vote : la valeur de la Sima était
surévaluée, elle ne valait pas les 40 % d’Eramet.
1999 c’est loin, mais puisque CTF peut apporter la preuve qu’il y a eu fraude, son avocat réfutait la prescription.
Inco Alloys
En 1999, avant la fusion avec Eramet, le contexte de la Sima est
l’aboutissement d’une suite d’opérations de croissance externe autour de
3 sociétés : acquisition de la SMC aux Etats-Unis, des aciers spéciaux
d’Usinor et, en novembre 1998, l’achat d’Inco Alloys par la SMC. C’est
cette dernière opération qui pose problème. La SMC s’est lourdement
endettée auprès de Clinvest pour acheter Inco Alloys, et, un an après la
signature d’achat, elle n’était pas heureuse de son acquisition. Elle
porta plainte le 17 décembre 1999 devant la juridiction de New York
contre le groupe Inco. Ce dernier aurait dissimulé à SMC des chiffres
défavorables dans les comptes de sa filiale, SMC réclamait une somme
substantielle à Inco : 450 millions de dollars.
Fin 1998 les dettes de Sima et de SMC étaient
respectivement d’environ 180 millions d’euros et 450 millions, en cas de
difficulté, Clinvest pouvait demander le remboursement du prêt accordé à
SMC à la Sima.
A titre de comparaison, fin 1998, la capitalisation boursière d’Eramet
était de 399 millions d’euros avec 15,6 millions d’actions et fin 1999,
1.392 millions d’euros avec 24,4 millions d’actions.
Endettement, Accord Secret et Fusion
CTF accuse Sima d’avoir caché la situation de surendettement de son
groupe avant le vote de juillet 1999. En un mot, d’avoir faussé le
calcul de la valeur des apports de Sima.
Toutefois, le 1er février 1999, quatre mois après l’achat d’Inco Alloys,
cinq mois avant le vote des actionnaires du 21 juillet et neuf mois
avant la plainte de SMC à New York, les deux présidents d’Eramet et de
Sima signaient un protocole d’accord secret figeant les futures parités
entre les deux sociétés.
La fusion se fit sur la base de cet accord, SMC reçu la trésorerie d’Eramet et malgré cela elle déposa son bilan en 2002.
Une grosse dette, un petit capital, un accord secret.
Les trois défendeurs plaident
La défense de DSC reconnut que l’opération Inco fut défavorable à SMC
mais il n’y eu pas dissimulation puisque la Sima ne contrôlait pas la
SMC. En effet, elle n’en n’était propriétaire que de 38 % alors que 37 %
étaient la propriété de deux argentins. Et, si un pacte d’actionnaires
liait ces trois parties entre elles, la consolidation entre les dettes
de Sima et de SMC n’était pas possible.
La défense de la Sima indique qu’il y a prescription, qu’il n’y a pas de fraude, et demande une fin de non recevoir.
La défense d’Eramet, plaide la sincérité de ses rapports annuels datés
des années 2000 et 2001 dans lesquels la société constatait le
surendettement de la Sima, il indique que son apport en trésorerie à SMC
était logique et autorisé, que l’accord secret de 1999 était une étape,
un préaccord. Après un audit interne son avis converge avec celui de
DSC.
Les juges et l’Etat
Au moment des débats, tour à tour, les trois juges, qui rendront une réponse le 30septembre 2011, sondaient accusateurs et défenseurs :
– La première juge s’interrogeait à propos de SIMA et SMC sur les conventions réglementées : gestion de trésorerie, intérêt social et plafond maximum à engager. L’adjectif « classique » pouvait-il s’appliquer au soutien d’une activité économiquement en grande difficulté ?
– Le deuxième juge posait une question piquante. Le préaccord secret sur les parités signé par les deux présidents, avant que les conditions de l’opération soient définitivement fixées, avant la date finale, manquait de souplesse. Cette rigidité est « strange » (sic).
Un mini-débat se concluait sur une interrogation : n’eût-il pas été judicieux de fixer une fourchette à l’intérieur de laquelle puisse évoluer la parité en fonction des contingences ? Les conseils d’administration de février, avril et mai 1999 n’en parlent-ils pas ?
– La troisième juge à prendre la parole se demandait si, le 21 juillet 1999, les actionnaires avaient voté en connaissance de tous les éléments : endettement, parité ? Certains étaient-ils inconnus ou cachés ?
D’ici le 30 septembre, quatre questionnements semblent focaliser l’attention :
– La Sima avait-elle le contrôle exclusif de SMC, et de ses dettes, ou bien n’en contrôlait-elle que 38 % ?
– Avant le 21 juillet 1999 la Sima devait-elle spontanément informer les actionnaires d’Eramet que la situation de trésorerie de son groupe était rendue compliquée par la SMC à tel point qu’elle rechercherait 450 millions de dollars devant la justice américaine quatre mois plus tard ?
– Dans ces conditions, figer les parités Eramet-Sima en février 1999, cinq mois avant l’assemblée des actionnaires du 21 juillet 1999, par un préaccord secret qui fût définitif était-il une bonne idée ?
– Les actionnaires d’Eramet auraient-ils votés le 21 juillet 1999 le rapprochement avec Sima s’ils avaient connu tous ces éléments ?
Sans doute, la toute nouvelle administratrice du groupe représentant l’Agence des participations de l’Etat aura-t-elle à cœur de comprendre le rôle de chacun dans cette affaire et aussi de souligner que, contrairement à une opinion, l’Etat souhaite conserver une certaine présence prépondérante et directe dans le groupe minier. En effet, il ne faut pas négliger l’hypothèse que l’Etat puisse ici retrouver environ un milliard d’euros.
Projets
Douze ans après les faits, l’actionnariat d’Eramet peut se trouver
bouleversé mais pas la société. La trésorerie du groupe est haute à 1,3
milliard d’euros. Toutefois, comptablement parlant, combien de cette
somme est réellement disponible chez Eramet pour des projets d’avenir et
combien reste dans les filiales au Gabon, en Nouvelle-Calédonie et en
Auvergne (si j’ose dire) ?
Justement, quels sont les projets annoncés :
– En mai 2006, Eramet achetait Weda Bay, un projet de mine de nickel-cobalt en Indonésie, 270 millions de dollars canadiens (environ 241 millions de dollars américains) à des cédants qui eux-mêmes s’étaient affranchis un an plus tôt au prix de 2,5 millions de dollars.
– Weda Bay aura demandé environ 400 millions d’euros d’investissements en investigations supplémentaires avant de connaître, fin 2012, s’il recevra les quelques milliards d’investissements qui transformeront le projet en une mine de 35kt/an de nickel, voire 65kt sous une seconde séquence.
– Le gisement polymétallique de Mabounié au Gabon (niobium, terres rares lourdes) est, au stade actuel, tout sauf une promesse d’un bénéfice proche. Il est regrettable que cette possibilité, « familialement » si proche depuis des années, reste lointaine : si une usine voit le jour, elle n’est pas envisagée avant l’horizon 2018-2020.
– Les profits liés au lithium sont également une promesse d’un bénéfice lointain.
Quoi qu’il en soit, l’organigramme d’Eramet n’indique pas des branches « terres rares », « lithium », « niobium » au coté des branches manganèse (environ 59% de l’ebitda 2011), nickel (environ 33% ebitda 2011) et alliages – dont la Sima – (environ 8% ebitda 2011).
Conclusion
8% de l’ebitda, c’est l’élément funeste logé au cœur de cette bataille juridique.
Autant d’énergies déployées devant les juges le sont-elles pour le
« joyau de la couronne » ? Pas du tout, la taille et la rentabilité de
la branche alliage sont les plus faibles du groupe. Et, cette querelle
qui ne tourne pas autour des gisements de manganèse ou de nickel
interroge d’autant plus sur la perspective du pôle minier si en vue dans
les ministères.
Est-il opportun d’envisager qu’Eramet apporte sa trésorerie réellement disponible à ses actionnaires ? C’est-à-dire :
– A la branche minière de son actionnaire Areva qui en aura bien besoin ?
– A d’autres projets locaux poussés par les avis, les urgences et
les interrogations d’autres actionnaires Gabon, Nouvelle-Calédonie,
Auvergne. Préfèreront-ils une utilisation de leurs trésoreries pour des
financements géographiquement proches ou stratégiquement lointains ?
A tout prendre, depuis que la consolidation minière mondiale s’est réalisée, que des géants miniers mondiaux se sont bâtis, parfois ex nihilo, et qu’Eramet n’a pas changé, ou si peu, son périmètre minier, ne manque-t-il pas une vision créative capable de fédérer et de poser une question simple : bâtir un pôle minier, n’est-ce pas acquérir et favoriser de vraies nouvelles mines à des coûts réellement compétitifs et orientées générations futures ?