Vision contrastée sur Prony-Pernod, projet minier de Nouvelle Calédonie équivalent à 5 années de consommation mondiale de nickel.
Le 6 novembre 2012, nous apprenions que la
Nouvelle Calédonie entreprendrait la prospection de deux grands
gisements de nickel du sud de l’île : Prony et Pernod. A l’époque, en
déplacement à Nouméa pour exprimer la nécessité d’une vision nickel
commune, comment ne pas approuver le principe qu’une collectivité
publique connaisse son sous-sol !
Le 5 avril 2014, à la suite d’un vote provincial divisé, 22 voix contre
18, nous apprenions la création d’une société exploratrice dédiée à
cette prospection étalée sur quatre années. Mais la collectivité ne
détiendrait que 34% de la société, 66% revenant aux explorateurs privés.
Exploration
Que s’est- il passé sur le terrain depuis 2012 ? Pourquoi les connaisseurs de la politique calédonienne ne contemplent-ils aucune réponse sans lier l’annonce de 2012, celle du 5 avril 2014 et les proches élections provinciales du 11 mai prochain ? Quels risques justifient l’abandon par la collectivité de 66% du capital de l’exploratrice?
La zone de Prony-Pernod est classée réserve technique, elle a donc déjà été répertoriée et recèle au moins 4 millions de tonnes de nickel. Sans compter l’Etat avec le BRGM, le projet Penamax qui envisageait déjà une usine dans les années 70, puis Inco en 2001 et la SLN en 2009, tous avaient les idées claires sur le sujet. Plus récemment, les réserves étaient estimées par empirisme à plus de 6 millions de tonnes. Dans ce grand Sud la constatation de saprolites de type Doniambo sous des latérites de type Goro améliore les estimations et les résultats seront encore meilleurs si le traitement du minerai pauvre est envisagé, d’une manière ou d’une autre.
Par ailleurs, il semble qu’à l’issue des 4 années d’exploration, les partenaires à 66% conserveront les informations sur les découvertes géologiques s’ils n’ont pas accès à l’exploitation minière. Dans ce cas la collectivité remboursera les frais.
Conclusion : l’idée d’explorer reste excellente. Mais la zone n’est pas vierge et le risque de ne rien découvrir est très faible, voire nul. Pourquoi abandonner 66% ? Des géologues locaux manquent-ils ? Ne mèneraient-ils pas ce travail d’exploration sans réclamer 66% ? La collectivité fait-elle une affaire en ne conservant que 34% ?
Production
Un second accord était également annoncé le 5 avril 2014. Avant même de
connaitre les résultats de l’exploration, celui-ci fige le haut de
bilan de la future société minière en charge d’exploiter Prony-Pernod
car les pouvoirs publics ne conserveraient que 10% du capital. Autant
dire qu’avec 10% les dividendes seront subis et marginaux. Dans un
premier temps, n’est-il pas troublant, voire dirimant d’envisager
l’abandonne de 90% des parts d’un massif d’au moins 6 millions de tonnes
de nickel, c’est-à-dire plus de 90 à 120 milliards de dollars
(valorisation entre 15 000$/t et 20 000$/t).
Cependant, à ce jour, il semble que deux compensations sont annoncées : une indemnité transactionnel de 25 millions de dollars et une redevance annuelle de 1.25% du chiffre d’affaire en sous capacité, améliorée à 1.75% en capacité nominale (par exemple 20 millions de dollars =>1.75%, nickel à 16 000$/t et 60 000t/an, cobalt à 30 000$ et 4 500t/an).
Comparaison
Le gisement d’Ambatovy à Madagascar contient environ 2 millions de
tonnes de nickel et la mine aura une durée de vie estimée inférieure à
30 ans. Elle œuvre depuis 2012 et elle versait à la communauté 25
millions de dollars d’indemnité sociale cette année là. Ses redevances
sont de 1.70% depuis la première tonne produite. Indemnité, redevances
immédiates, gisement environ trois fois plus petit : Prony-Pernod
valent-ils plus ?
Simandou en Guinée est une mine contenant 200 milliards de dollars de fer qui fonctionnera au plus tôt en 2018. Mais en avril 2011, le gouvernement guinéen recevait une indemnité transactionnelle de 700 millions de dollars pour 50% du massif, un ratio 28 fois supérieur à celui de Prony-Pernod. En outre, la redevance sera de 3.5%. Coté dividendes, il est prévu que le gouvernement guinéen devienne actionnaire de 51% des infrastructures et 15% de la mine avec possibilité de monter à 35%.
Pour mémoire, le gisement de Voisey-Bay au Canada contenait environ 3 fois moins de nickel que Prony-Pernod lorsqu’il fut acheté en 1996 pour 4.2 milliards de dollars de l’époque. Ici Prony-Pernod représenterait une valeur de 20 milliards en dollars constants ou encore une redevance annuelle de 20 millions de dollars pendant 1000 ans.
Le gisement de Weday-Bay en Indonésie contiendrait environ 7 millions de tonnes et était vendu en 2006 pour une contrevaleur d’environ 233 millions de dollars de l’époque, 270 millions aujourd’hui.
En Russie, la redevance nickel versée au gouvernement était de 5% en 2012 et elle baissait à 3.75% en 2013. Entre 2 et 2.8 fois plus qu’à Prony-Pernod?
Comparaison n’est pas raison
Infrastructures parfois inexistantes ou au contraire disponibles ; histoires, teneurs, impôts, marchés différents ; combinaisons d’indemnités, redevances, dividendes, … Comparer n’est pas raisonner. Toutefois les meilleures pratiques aident à ne pas adirer son nickel, à calibrer ses choix, à se repérer.
Calendrier. Un vendeur dans un marché déprimé est en déréliction, mais acquérir une mine en bas de cycle est un bonheur. Le propriétaire peut-il éviter une vente de détresse, attendre un meilleur marché, attendre une période politique allégée et réfléchir aux possibilités offertes par des clauses de non dilution du capital ?
Indemnité. Si l’indemnité transactionnelle de Prony-Pernod, 25 millions de dollars, était versée dans 10 ans combien vaudront ces 25 millions exprimés en tonnes de nickel dans 10 ans. Une réévaluation claire atténuerait l’étonnement sans pour autant absoudre l’examen d’une indemnité à la manière de Weda-Bay, Simandou (fac-similé entre 630-840M$) ou bien Voisey-Bay et ses milliards.
Redevances. Si une redevance fixée à minima à 1.75% est déjà figée, les coûts sont déjà connus. Quel est le plan de financement dès 5-6 milliards de dollars nécessaires à la construction de la mine, de l’usine hydrométallurgique et de la centrale électrique? Quelle est la capacité nominale ? Quand sera-t-elle atteinte ? Quel est le coût d’exploitation prévisionnel ?
En outre, 10% du capital ne permettant aucune emprise sur la stratégie et les dividendes, les redevances seront-elles sécurisées par des pénalités si la capacité nominale n’était pas atteinte, quelles qu’en soit les raisons (situation économie, carence technique…) ? Les lauréats s’engageront-ils à produire avec ambition sans tactique hégémonique d’endiguement de la ressource ? Maitriseront-ils, en outre, des finances fortes, une technologie éprouvée, non aventureuse et douce pour l’environnement ?
Ultimo, si aucune usine n’était construite sur place (pas de valeur ajoutée), parce que l’on utiliserait des capacités aujourd’hui existantes à Nouméa et Yaté, les 1.75% ne requerraient-ils pas une bonification ?
Philosophie économique. Doit-elle être libérée, éthique et responsable avec par exemple des enchères ouvertes, transparentes et concurrentielles ?
Conclusion
L’annonce d’exploration reste une démarche très intéressante. Compte tenu des certitudes géologiques déjà acquises, donc du risque industriel atténué, le propriétaire ne pourrait-il pas cependant réclamer un actionnariat plus favorable ?
Prony-Pernod est un projet minier d’une grande ampleur. 6 millions de tonnes de nickel au minimum ce sont 5 années de consommation mondiale actuelle sur deux carrés de terrain (un petit Qatar du nickel) et la promesse d’une mine centenaire. L’annonce concernant l’exploitation minière d’avril 2014 apparait fragile. Le projet demanderait plus de philosophie économique libéralement oxygénée, plus d’architecture capitalistique équilibrée, plus de mise en œuvre technique experte et plus de communication industrielle chevronnée. C’est-à-dire, plus de vision commune.