« Il n’y a pas le feu à la maison Alstom », alors pourquoi ce sentiment d’une inexplicable et étrange défaite ?
Ma lecture du livre d’Annie Lacroix-Riz « » courageusement préfacé par Alexandre Jardin était éprouvante. Ames sensibles s’abstenir. Au fur et à mesure que les pages tournaient, s’égrenait l’histoire entre 1940-1945 d’une collaboration bancaire et industrielle de quelques hauts fonctionnaires, quelques inspecteurs des finances « synarques », quelques polytechniciens de la cellule « X crise », quelques hommes politiques français, … avec les industriels et banquiers du régime occupant.
Immense dégout, selon l’auteure le mécanisme des « ventes régulières » de l’industrie française à l’occupant aurait été imaginé avec l’aide et la collaboration active de cette élite française alors qu’une autre France résistait et mourrait. Écœurement, ces ventes auraient été planifiées depuis longtemps, avant-guerre, et elles se réalisèrent avec ordre, rapidement pour un grand nombre entre juin et décembre 1940.
Marc Bloch, s’il avait été informé par Madame Lacroix -Riz, n’aurait probablement pas appelé son livre «l’étrange défaite » : étrange, mais des liens semblaient structurés avant-guerre ; défaite, mais elle devenait une fusion inter-rhénane victorieuse : sociétés métallurgiques, chimiques, de la presse, de vêtements, de matières premières (pétrole de Roumanie, molybdène du Maroc, cuivre de Yougoslavie…), …etc. Des banques françaises rachetèrent « légalement » ces actions aux grands et petits porteurs français pour le compte de l’occupant. De 1939 à janvier 1943 l’indice du « CAC 35 » des entreprises nationalisées après-guerre passa de 110 à 610, multiplié par 6.
Les 288 tonnes d’or de la Banque Centrale de Belgique confiées à la Banque de France et stockées avec le sien à Kayès, Mali actuel, furent livrées à l’occupant à Marseille: « 21 transports d’or (Kayès, Alger, Marseille) furent effectuées du 3 novembre 1940 au 4 mai 1942 ».
Cette lecture s’achevait quelques jours avant l’affaire Alstom
Nous ne sommes plus en guerre militaire mais en guerre économique. Cette guerre à ses morts économiques, les êtres humains qui ont disparu de toutes les statistiques; ses prisonniers et ses blessés économiques de longue durée, les chômeurs ; des acteurs économiques qui initient puis gèrent les fusions ou les acquisitions ; des résistants économiques qui combattent les disparitions d’entreprises. Nous aimons gagner cette guerre lorsque nous achetons une entreprise étrangère, nous la détestons lorsque nos entreprises tombent dans les mains « ennemies »: Péchiney, Arcelor, Comptoir Lyon Alemand Louyot, Ascométal et maintenant Alstom.
Mais, lorsque nous sommes défais nous posons-nous la question : avions-nous un mauvais général à la tête de cette entreprise ? Subissons-nous une étrange défaite programmée ? Avions-nous une stratégie ou une tactique industrielle ? Ce mal était-il créé par nos esprits résignés, par des élites “à la manière de” celles décrites par Madame Lacroix-Riz ou bien les deux à la fois ?
Métaphore des « héros » du livre, les élites mondialisées d’aujourd’hui n’auraient-elles plus de pays si tous les CAC 40 du monde étaient en vente ? Corollaire, Les entreprises mondialisées seraient-elles toutes sans patrie? Évidemment non, elles retrouvent bien une nationalité lorsqu’elles sont en difficultés : Alstom en 2004, General Motors en 2009, face à l’ire américaine après l’explosion de Deepwater Horizon en 2010 BP abandonna « Beyond Petroleum » pour le protecteur « British Petroleum » , en ce moment AstraZeneca aime l’Angleterre et la Suède lorsqu’elle est attaquée par l’américain Pfizer, …
Pour Alstom, pourquoi n’aurions-nous que le choix entre une capitulation à l’américaine ou à l’allemande. Pourquoi, dans notre mondialisation, est-il suspect de préférer un Alstom français et pourquoi dans ce cas être injustement catalogué d’être un extrémiste de droite ou bien un extrémiste de gauche en pleine période électorale européenne ? Existent-ils encore des français qui souhaitent un avenir, un travail dans leur pays, dans leur province sans avoir à considérer au préalable un quelconque agenda politique ou électoral?
Alstom n’est pas une entreprise brisée
Les banquiers anglo-saxons ne s’y trompent pas lorsqu’ils étudient le deal Général Electric-Alstom : GE aurait un avenir énergétique sombre sans Alstom ; cela serait un beau deal d’acquérir 75% du chiffre d’affaires à un excellent prix, sans OPA ni consultation d’une assemblée générale ; il ne resterait en première ligue que trois entreprises de taille mondiale : GE, Siemens et Hitachi. Une par continent.
Cependant, la défaite d’un Alstom français n’est probablement pas encore écrite premièrement parce que nous ne savons pas de quoi nous parlons. Où est le diagnostic sur la situation de l’entreprise ? Est-il partagé à l’intérieur de l’entreprise ? Où est la vision du chef d’entreprise ? Est-elle expliquée en interne ?
Selon les informations, 14% des 96 000 employés d’Alstom sont en France. Le chiffre d’affaires 2013 était de 20.269 milliards€ : 25% en transport (5.458), et les 75 % restant en énergie (distribution 3.829, renouvelable 1.803, thermique 9.179 dont la partie « déficiente », les cycles combinés à gaz, à 1.101 Milliards euros, c’est-à-dire 5.4% du CA total).
La vente d’équipements représenterait 70% du chiffre d’affaire, les services 30%. Le carnet de commande du groupe serait de 52.875 milliards et il serait estimé à 61.247 milliards en 2016, trois années de chiffre d’affaires.
La R&D représenterait un excellent 3.5% du chiffre d’affaires. Enfin, Alstom envisagerait 1.6 milliards d’efforts de productivité d’ici à 2016 mais les synergies attendues par l’éventuel acheteur américain sont de 1.2 milliards en cinq ans.
Dans la fameuse division énergie, objet de toutes les discussions, l’ebit serait de 8% mais les services qui représentent 39% du chiffre d’affaires de l’unité auraient un ebit de 15-16%. L’hydraulique, le nucléaire, le charbon, l’éolien ne posent pas de problème et seuls les cycles combinés à gaz, 5.4% du chiffre d’affaires global, seraient sous le feu des projecteurs.
Et ce sont ces 5.4% qui justifieraient la recherche d’une offre d’achat pour les 75% du chiffre d’affaires d’Alstom auprès de General Electric ? S’«il n’y a pas le feu à la maison Alstom », pourquoi ce sentiment d’une inexplicable et étrange défaite ?
Qu’en sera-t-il dans 10 ans ?