Les détracteurs ont imaginé le canular des « métaux rares » en mélangeant à dessein les notions erronées de « métaux rares » et de « terres rares ». Sans examen, sans étude du contradictoire, sans regard sur les faits, sans remise en question par les médias, ils ont largement exprimé et partagé leur credo à travers des études pseudo-scientifiques, des documentaires déformants ou des livres orientés favorisant le sensationnel, l’émotion délétère, la caricature de la voiture anti-électrique. Cette facilité a été adoptée aveuglément par le monde politique…
La crise ukrainienne démontre que la fake-news des « métaux rares » n’était qu’une mise en scène créée pour aveugler les néophytes. En effet, dans cette crise de guerre économique par des sanctions, tous les métaux deviennent stratégiques, et les craintes de pénurie se portent sur les « grands métaux » (Aluminium, Nickel, Cuivre, …) et non pas sur les « petits métaux introuvables».
In Geopoweb 21/06/2021
Dans cet article très stimulant, Didier Julienne (1) se livre, avec de multiples exemples, à une véritable déconstruction de l’infox sur les « métaux et terres rares ». Une infox, qui tout en développant une mythologie guerrière, interdit la construction et le renouvellement d’une doctrine des ressources naturelles pour les pays consommateurs et producteurs. Dans le contexte géopolitique et environnemental que l’on connaît, l’Intelligence Economique est essentielle, non seulement pour dévoiler les logiques de puissance, mais aussi et surtout pour favoriser les transitions vers un modèle électrique, en dépassant les lectures purement populistes des enjeux. Faire appel aux « lois naturelles » de la rareté, a conduit à l’abandon de la souveraineté dans nos doctrines minières. Une nécessité pourtant urgente pour aller au delà du simple discours sur la transition énergétique européenne.
Après de longues périodes plongées dans l’industrie et le négoce des métaux, j’écrivais en 2009 que l’intelligence économique offensive a été créée par le négoce des matières premières. Je le pensais et le pense toujours tant elle est consubstantielle à la production et au négoce des ressources naturelles. Il suffit de se référer aux spéculateurs romains sur le blé égyptien, aux importateurs vénitiens d’épices asiatiques, aux hollandais de la Compagnie des Indes, aux riziculteurs japonais de l’ère Tokougawa et son premier marché à terme mondial, aux négociants français, aux marchands anglais… Tous pratiquaient l’intelligence économique, car l’exploitation d’informations privilégiées n’était pas un délit lorsqu’ils décidaient d’emblaver des terres de telles ou telles graines, de rechercher et produire tels ou tels métaux ou bien de prendre une position sur du palladium, du blé ou du pétrole.
Copié des clérouquies athéniennes, les états du XVII au XX siècles développèrent leurs économies à l’aide de des matières premières de leurs colonies. Au XXI siècle chacun est indépendant et nos États modernes sont obligés d’inclure leurs Doctrines ressources naturelles dans un nouveau Grand Jeu.
STRATÉGIES DE PUISSANCE ET D’INFLUENCE
Dans ce Grand Jeu s’élaborèrent puis collaborèrent ou se confrontèrent les Doctrine Ressources Naturelles nationales des États producteurs ou consommateurs. Elles ont de nos jours chacune des trajectoires à très long terme et sont devenues parfois des Solidarités Stratégiques intergénérationnelles, auxquelles les gouvernements et les administrations qui se succèdent à la tête des pays ne touchent que rarement, parce qu’elles façonnent la relation particulière entre la population et son concept de nation.
Ici, les pays producteurs exercent une stratégie de puissance sur leurs sols ou sous-sols, et ce nationalisme des ressources peut être favorable ou défavorable aux pays consommateurs. Là, selon qu’un accès privilégié à ces matières premières leur sera accordé ou refusé, ces derniers exercent des stratégies d’influences pour s’approvisionner auprès des pays producteurs, tout en s’engageant également dans des logiques d’économie circulaire via le recyclage et une consommation plus économe en ressources.
Le rapport de force géopolitique entre ces pays favorise rarement unilatéralement les Doctrines des consommateurs ou des producteurs. Au contraire, les premiers gagnent un accès géopolitique privilégié aux ressources et les seconds bénéficient de l’influence des pays consommateurs, pour notamment développer leurs infrastructures ou leurs industries. Cette influence prend la forme de transferts de connaissances et de compétences, la structuration de filières industrielles et des capacités de production et des créations d’emplois.
Ces stratégies de puissance et d’influence sont d’autant plus essentielles à de nombreux États et aux filières industrielles post COP21 et post Covid-19 que le basculement de la transition énergétique nous fait passer d’une dépendance aux hydrocarbures vers une dépendance envers les métaux nécessaires pour engendrer, transporter, stocker et consommer l’électricité dans des générateurs, des connecteurs, des chargeurs de batteries, des accumulateurs et enfin des moteurs.
QUELS SONT CES MÉTAUX ?
Les outils d’une doctrine nationale des ressources naturelles ont été amplement utilisés pour la production et la consommation d’un métal abondant : il a été recherché et découvert par un tissu industriel dynamique et une diplomatie inventive. Puis une gamme de technologies se révélait opportune pour l’extraire du sol, le raffiner, et grâce à l’écoconception, pour le consommer en des quantités unitaires décroissantes et des usages croissants ; enfin, il est recyclé.
Mais cette matière abondante peut devenir sensible si l’une des étapes précédentes est défaillante.
Une matière sera critique s’il existe des risques élevés de déficit sans percée scientifique ouvrant la voie à des substitutions. Mais il sera critique dans une industrie et pas dans une autre, dans un pays, mais pas dans un autre et cela évolue avec le temps en fonction des fondamentaux du marché de ce métal. Le consommateur prudent à la mémoire longue s’interrogera régulièrement sur ces métaux et sur l’équilibre entre l’offre réelle et la demande industrielle ; sinon le danger est de figer le caractère critique ou au contraire abondant sans lui accorder une dynamique temporelle.
En outre si ce métal est le sous-produit d’un métal majeur, l’observation des équilibres de ce dernier est essentielle.
Enfin une matière stratégique s’éloigne de critères géologiques ou bien de marché. C’est une ressource indispensable aux missions régaliennes de l’État, à la défense nationale ou bien à des ambitions politiques essentielles d’un pays consommateur ou producteur.
Cette classification des métaux et minerais n’inclue aucunement l’infox des « métaux rares ». Ils n’existent pas.
LA CONSOMMATION COMPÉTITIVE
Si ces deux dernières notions, critique et stratégique, fusionnent, des esprits imaginent que des guerres s’empareront des tensions créées autour de ces métaux devenus introuvables ; ils recherchent des éclairages dans des modèles passés du Grand Jeu énergétique, en particulier celui que nous connaissons pour le pétrole et/ou le gaz naturel depuis un siècle. Celui-ci a le plus souvent adopté des paradigmes tels que celui de la guerre froide, aboutissant parfois à de vrais conflits. Cependant, ce parangonnage ne s’applique pas dans les métaux ou dans l’agriculture moderne. L’histoire moderne indique que notre monde des métaux n’est pas belliqueux au point qu’un État moderne envahisse son voisin avec son armée et déclenche une guerre de haute intensité telle que la première guerre du Golfe.
De plus, lorsque cette fusion entre métal critique et stratégique survient, elle entraîne la consommation compétitive, c’est-à-dire une compétition entre différentes consommations critiques de ce métal. Le producteur privilégiera l’utilisateur le plus proche de ses propres objectifs stratégiques : en premier lieu, son industrie nationale. Cette situation ne peut être toutefois qu’éphémère : un tel métal peut ne pas avoir été suffisamment recherché dans la croûte terrestre, ou bien il est en surconsommation écologique, voire en évolution du stade de métal marginal à celui de métal mature ; ces situations seront en général celles de marchés de métaux étroits, temporairement mal gérés et qui rentreront rapidement dans le rang.
Illustrons cette grille de lecture par un pays qui n’aurait pas encore atteint le taux de 50 % de population citadine et qu’il décide comme objectif stratégique de le porter à 70-80 %. Mettons-nous un instant à sa place lorsqu’il doit gérer 8-10 % de croissance annuelle. Il décide de construire des villes et banlieues verticales plutôt qu’horizontales sinon comment nourrir sa population de manière durable s’il empiète sur les terres cultivables proches des villes. Puis il regarde les matières dont il dispose chez lui ; il évalue ce que ses voisins accepteront de lui vendre ou d’échanger tout en constituant des stocks stratégiques lorsque les prix des matières s’écroulent comme en 2008.
Puis il se renseigne sur l’état des marchés et rapidement il s’aperçoit que nourrir sa population restera un problème ; qu’il est en compétition pour devenir le premier consommateur de métaux industriels et de construction ; qu’il est déjà presque le premier consommateur d’énergie fossile, autosuffisant dans l’une très polluante, mais pas dans les autres ; qu’il va se heurter aux négociations des COP, dont celle de Paris, et donc qu’il sera très tenté par la mobilité électrique, l’uranium, les ENR et l’hydrogène ; qu’il veut pouvoir importer librement du lithium, du nickel, du soja, de la viande de porc, du blé, du cobalt, du gaz, des lanthanides, du minerai de fer… et continuer d’exporter sa production de biens et des services. Ultime perspective, la stabilité du pays doit à tout prix être conservée au cours de cette grande mutation, car il risque l’implosion sans son parti politique unique, et ce dernier a pour principal ennemi l’inflation.
L’ennui c’est qu’il n’est pas seul dans cette course, d’autre pays ont partagé le même besoin de matières premières, la même vision stratégique et l’analyse de quelques fondamentaux :
• Les ressources naturelles nationales de subsistance permettent l’autosuffisance, nous les considérons secondaires, mais d’autres pays les envient, car chez eux elles y sont insuffisantes, sommes-nous en sécurité ? De plus, notre modèle agricole intensif est remis cause par le bio et les biotech qui seront indispensable pour augmenter la production agricole tout en la décarbonnant. Soudainement, tandis qu’un important pays producteur agricole se désorganise, nos voisins nomment des coordinateurs nationaux matières premières sans nous avertir et ils louent des terres agricoles en Afrique.
• Nos ressources halieutiques ne sont pas encore recensées que des bateaux étrangers les épuisent déjà.
• La transition énergétique transforme notre dépendance envers les hydrocarbures en une dépendance vers les métaux
• Pour raison d’état des pays producteurs protègent l’accès à leurs mines de fer, de nickel, de cuivre et des marchands de minéraux sont soudainement emprisonnés. À l’inverse d’autres invitent des pays consommateurs à investir au pied des mines dans des industries consommatrices dont la sidérurgie et les batteries.
• Un partenaire se transforme en pays hostile. Nous sommes dépendants de ses exportations de matériaux vers notre économie de défense.
• Les géologues nous informent que les découvertes de grands gisements de minéraux proches sont terminées, les plus riches et plus faciles sont déjà connus, exploités, voire épuisés, et partout les coûts de production miniers se sont envolés parce que les prochains gisements les matières seront géographiquement éloignées des grands centres de consommation et géologiquement plus pauvres. Inversement des pays consommateurs disposent de gisements de matières premières indispensables à la transition énergétique, mais les normes ESG interdisent leur exploitation.
• Nos stocks stratégiques de matières premières sont d’un niveau élevé, mais l’inflation des prix entraîne leur mise sur le marché. Quand et comment pourrons-nous les reconstituer ?
• Les fake-news sur les matières premières, notamment celle des « métaux rares », ont investi l’esprit des politiques et entraînent des pays vers des impasses.
Chacun reconnaîtra que la Chine a récemment surpassé les processus connus d’intelligence économique offensive des matières premières. Elle a développé son économie via ses propres ressources, son charbon, ses mines et son agriculture. L’ensemble prenant la forme d’une centralisation des approvisionnements, une consolidation industrielle et une lutte contre la contrebande. Face à ses immenses besoins, aux ressources nationales insuffisantes et à l’adoption de règles environnementales plus strictes, la Doctrine Ressources Naturelles chinoise a évolué vers plus d’importations de matières premières ; non pas en exerçant une stratégie belliqueuse et misanthropique de guerre des ressources contre d’autres pays, mais par l’exercice de son influence. Cette souplesse doctrinaire était facilitée par la formation des dirigeants chinois. Il est plus simple d’atteindre l’objectif national lorsqu’on en comprend le chemin. Sur les 6 derniers présidents et Premiers ministres, à l’exception du Premier ministre actuel, Li Keqiang, juriste, tous reçurent une formation thématique d’ingénieur. De 1993-2003, le président Jiang Zemin et le Premier ministre Zhu Rongji étaient électriciens, puis de 2003-2012 Hu Jintao était hydro-électricien alors que son Premier ministre Wen Jiabao était géologue, de 2012 à ce jour, Xi Jinping est chimiste des procédés et connaît bien l’agriculture.
Cette chronologie thématique des dirigeants chinois correspond à celle des étapes du développement du pays : centrales électriques et charbon, hydroélectricité et matériaux, géologie et production minière qui coïncident entre autres aux avancées géopolitiques minières et énergétiques chinoises en Afrique, chimie des procédés et investissement agroalimentaire. Il est incontestable que l’un des objectifs de cette épopée aura été le développement de la mobilité électrique.
MÉTAUX, POLITIQUE et INFOX
Parce qu’elle englobe les politiques des États et des entreprises, le paradigme alliant fusion entre métaux critiques et stratégiques et consommation compétitive devient géopolitique. Il donc porte le risque d’être la cible d’infox. Dans ce domaine, l’univers des hydrocarbures est largement en avance sur celui des métaux. Chacun se souviendra du surgissement d’infox tonitruantes, notamment à l’ONU, qui accompagnèrent la deuxième guerre du Golfe. Pour les métaux, la « crise du palladium » coûta très cher à l’industrie automobile, Ford en 2001-2002 y perdit 1 milliard de dollars ; la « crise de l’uranium » de 2007 entraîna l’affaire Uramin qui se révéla un gouffre financier de 2,5 milliards de dollars pour Areva et entraina sa disparition. Cependant, dans les deux cas, le marché n’était victime que de manipulations malheureuses dont les victimes furent des entreprises et non pas des Etats. Plus récemment, en 2011-2012, la « crise des lanthanides » a débuté comme une crise de production, mais elle a laissé des stigmates dans la valorisation des stocks de transformateurs japonais qui avaient acheté à contre-courant puis, du côté des investisseurs, malgré un premier avertissement un manipulation se concluait par un avertissement de l’AMF et une enquête judiciaire. Toutefois, avec une vivacité étonnante, c’est en 2017-2019 que des infox destinées au monde politique émergèrent dans une nouveau chapitre : les « métaux rares ».
Le phénomène d’infox fonctionne en cascades, une désinformation provoquant la suivante. La première prend en général la forme d’une fascination : le « métal rare ou introuvable » que l’on pourrait baptiser « l’inobténium ». Il focalise l’attention de l’homme politique du pays producteur parce qu’il imagine qu’il est un élément géopolitique de sa stratégie de puissance, tandis qu’il hypnotise l’homme politique du pays consommateur parce qu’il pense que c’est une clef de sa stratégie d’influence. Il s’agit simplement d’un mythe, un oxymore, un danger, une illusion qui peuvent avoir des conséquences dommageables sur les prises de telles ou telles décisions parce qu’elles engageront l’homme ou la femme politique sur une impasse bordée de choix trompeurs entre telle ou telle politique industrielle, telle ou telle politique énergétique ou bien telle ou telle option de sécurité nationale. Il existe des protections pour éviter de telles erreurs et éclairer l’homme politique : les collectes et les analyses de données puis la rédaction de rapports. Mais ces derniers seront en retard par rapport à la diffusion de l’infox, puis aux actions entreprises. Si un canular provient d’un ratissage partial, obscur, disparate, à charge ou à décharge, il est rapide, il a la cohérence et les attraits de la pureté, il est dans un premier temps plus fort qu’une vérité complexe et contraignante qui demande vérifications et patience parce qu’elle est plus longue et plus difficile à établir qu’une infox. L’homme politique est en général pressé et sera, sauf exception, un néophyte dont la difficulté sera de raisonner vrai sur une virtualité à partir d’éléments faux. Ces désinformations destinées à produire des surinterprétations, puis des émotions provoquent des erreurs. Victimes de ces « sujets à la mode », les stratégies de puissance et d’influence écarteront les actions des États ou des entreprises des réalités des marchés. C’est en ce sens que la politique des « métaux rares » est populiste, car elle mène vers des erreurs et impasse.
Ce premier canular de « métaux rares » engendra une deuxième infox, celle du coupable initiateur de la rareté. Ce n’est pas nouveau. Dans la « crise du palladium » de 2000, la Russie fut accusée de retarder des livraisons de palladium dans le but de provoquer une hausse des prix, mais cette dernière se dégonfla juste après que la source des tensions, le TOCOM — le marché à terme japonais, appliqua des restrictions à son contrat palladium. L’infox des « métaux rares » tient son coupable, la Chine. Les formes de cette culpabilité sont diverses : une domination dans certains métaux, des avancées dans les métaux des « batteries rouges » des « véhicules électriques verts » (cobalt, lithium, lanthanides) et la verticalisation de filières industrielles.
Premièrement, il y a la culpabilité « politiquement correcte », celle de la domination dans certains métaux. Par un dumping sur sa propre production minière, Pékin s’assurerait un monopole de certains métaux poinçonnés introuvables, puis il aurait étouffé leurs marchés dans le but d’asphyxier des mines hors de Chine. Ensuite, il les ferait racheter par ses propres entreprises à vil prix. Ce message à l’attrait du sensationnalisme alimenté par la caricature : le coupable, c’est la Chine. Mais quelles seraient ces mines qui auraient fermé suite à une réelle et démontrée volonté misanthropique chinoise ? Quelles en sont les preuves ?
La réalité est différente. Si le premier producteur de cuivre mondial est le Chili, c’est non pas le résultat d’une stratégie géopolitique belliqueuse vis-à-vis de pays producteurs concurrents, mais parce que son sous-sol est riche de cuivre ; si l’Indonésie, les Philippines, la Russie, la Nouvelle-Calédonie et le Canada se partagent les premières places dans le nickel, c’est également pour une raison de minéralogie et non pas parce qu’ils seraient dans une guerre du nickel ; grâce à sa pétrographie, l’Afrique du Sud est première en platine et en rhodium tandis que la Russie est première en palladium, et pourtant ces deux pays connaissent des relations imbelles ; si le marché du minerai de fer est dominé par le couple Australie-Brésil, c’est parce que la pédologie y est favorable, les deux pays ne guerroient pas ; si la Guinée fournit autant de bauxite, ce n’est pas parce qu’elle aurait éreinté d’autres producteurs, mais parce qu’elle a des ressources ; si la Chine est première dans les lanthanides ou le tungstène, ce n’est pas pour une raison géopolitique étrangement misanthropique, mais encore et toujours pour une raison géologique, elle en a de riches gisements et elle les exploite.
D’autres pays ont des gisements aussi importants ou plus petits, plus riches ou plus pauvres, mais ils ne les exploitent pas. L’exemple de la mine de tungstène de Salau en Ariège est emblématique, elle est sans doute de classe mondiale, mais elle reste inexplorable et inexploitée. Pourquoi ? Cela n’est certainement pas à cause de Pékin !
Autre affaire, le cobalt. La Chine importe une grande partie de la production de cobalt de RDC,, premier producteur mondial. Mais de quelle façon l’entreprise chinoise China Molybdenum est-elle devenue propriétaire de la plus grande mine de cobalt de RDC ? A-t-elle fait la guerre, a-t-elle demandé à son armée d’intervenir ? A-t-elle colonisé ou envahi ce territoire ? A-t-elle utilisé des réseaux souterrains pour noyauter toute la chaîne de décisions ? Rien de tout cela elle a tout simplement acheté deux mines géantes à une société minière… américaine.
La situation était identique alors qu’en pleine guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis fin 2018, le premier producteur mondial de lithium, le chilien SQM, voyait 24 % de ses actions détenues par le canadien Potash Corp être rachetés par le chinois Tianqi pour plus de 4 milliards de dollars. Tianqi devenait ainsi premier producteur mondial grâce à des investissements dans d’autres producteurs en Chine et en Australie. Pourquoi Washington ou l’Europe ne sont-ils pas intervenus ? De nouveau, les faits nous indiquent non pas une guerre du lithium, mais une vente pacifique de gré à gré entre deux sociétés.
Autre fausse vérité : la guerre des lanthanides. La Chine produit environ 58 % du minerai mondial, ce chiffre baisse continument, et elle les raffine dans ses usines d’affinage. Sur les 42 % restant, seuls environ 5 à 10% sont raffinés en dehors de la Chine, le reste est exporté vers Pékin et traité dans des usines chinoises. S’il y avait une guerre des terres rares, quel est ce modèle d’affrontement qui laisserait à l’un des belligérants 95 % des matières mondiales alors qu’avec un investissement « d’effort de guerre » de moins d’un milliard l’occident trouverait une indépendance industrielle, ne serait-ce qu’avec l’usine française de La Rochelle ou bien la nouvelle usine texane de américano-australienne de Blue Line ?
En conclusion, ni la Chine ni aucun pays n’a économiquement guerroyé dans le but de faire baisser les prix des métaux qu’il produit et par suite de faire disparaître des mines d’autres pays. Cette première idée d’une domination chinoise misanthropique est une infox, mais nul ne le dit.
À la suite d’une domination dans certains métaux, l’infox subséquente est la verticalisation chinoise et son hégémonie sur un secteur d’activité. Elle est pourtant basée sur la réalité industrielle de la filière. S’il s’en donne les moyens, celui qui maîtrise l’accès à la production du métal domine la filière industrielle en aval. Depuis trente ans, l’immense bond en avant chinois a nécessité d’importantes quantités de métaux, la Chine, comme le firent d’autres puissances avant elle et depuis des siècles, a exploité son territoire. Puis elle a importé en prenant des positions industrielles et commerciales dans la métallurgie et les mines de pays étrangers en prenant le risque de se heurter aux politiques économiques locales. Cette verticalisation, loin de se heurter aux nationalismes des ressources des pays producteurs, a exercé une influence sur leurs stratégies de puissance pour aboutir à des compromis.
L’infox reproche cette stratégie de verticalisation à la Chine. Elle n’est pourtant pas nouvelle ! Arcelor-Mittal opère ainsi, de mines de fer ou de charbon jusqu’au marketing de l’acier ; le coréen Posco également en fidélisant le minerai de nickel de Nouvelle-Calédonie ; le Finlandais Outokumpu en exploitant ses propres mines de chrome pour ses aciers ; le norvégien Norsk-Hydro opère de même avec sa bauxite pour son aluminium ; Michelin cultive ses plantations d’hévéas pour ses pneus ; Bonduelle achète des terres agricoles pour ses légumes ; le russe Rostec regroupe la métallurgie de l’armement et exploite ses propres mines de cuivre, d’or, de niobium et de lanthanides ; Nestlé fidélise des producteurs de café pour ses capsules ; les électriciens allemands consomment leur production de lignite dans leurs centrales électriques, Engie fait de même avec son gaz naturel. De leur côté, des constructeurs automobiles chinois ne font pas autre chose en contrôlant la filière, de la société minière exploratrice de nickel, lithium ou de cobalt, jusqu’à la commercialisation de voitures électriques.
Ainsi, l’Indonésie a voté en 2009 une loi interdisant à partir de 2014 l’exportation de ses ressources minières sans transformation, notamment vers la Chine. Cette dernière n’est pas entrée en guerre contre Djakarta. Au contraire, elle a transformé la crise en une opportunité : au pied des mines indonésiennes, elle a verticalisé sa logistique outre-mer de l’extraction de minerais jusqu’à la commercialisation de produit manufacturé en implantant des aciéries et des gigafactories chinoises compétitives. Maîtriser l’amont pour mieux jouer un rôle en aval, la réalité de la verticalisation contredit l’infox d’une hégémonie innovante de Pékin, notamment dans le véhicule électrique. Là encore la Chine comble le vide laissé par l’absence de nos doctrines minières et peut abaisser le coût de production global du pays.
L’ORIGINE DE L’INFOX DES « MÉTAUX RARES » EST TRIVIALE
Bien que curieusement l’infox désignent un seul coupable, l’analyse démontre que la Chine n’a pas initié de guerre métallique, qu’elle a au contraire pacifiquement et commercialement gagné des accès à des mines à cause de la vacuité de nos propres doctrines minières ; mais la question qui s’impose est celle-ci : pourquoi ces infox qui ont joué sur l’ignorance, l’émotion, et sont célébrées chez des néophytes désireux de recevoir une information ne confortant que leurs croyances établies, pourquoi se sont-elles regroupées en un mythe de « métaux rares » ? Quelles qu’en soient les causes, cette légende confortant la croyance d’un conflit s’est installée dans les cerveaux comme dans des nids d’oiseaux absents.
La crise ukrainienne démontre que la fake-news des « métaux rares » n’était qu’une mise en scène créée pour aveugler les néophytes. En effet, dans cette crise de guerre économique par des sanctions, tous les métaux deviennent stratégiques, et les craintes de pénurie se portent sur les « grands métaux » (Aluminium, Nickel, Cuivre, …) et non pas sur les « petits métaux introuvables».
La première hypothèse est celle du mythe résolument antichinois, il s’inscrit comme une petite facette de l’immense guerre commerciale avec la Chine. Le danger est qu’il appelle une réplique belliqueuse. Fort heureusement, aucune guerre n’a été déclarée pour du lithium ou du cobalt, et il est salutaire qu’à l’égard des lanthanides les déclarations du président chinois de 2019 à propos de la mise en place d’un embargo de ses « importantes ressources stratégiques » à la suite des sanctions Huawei par les États-Unis, ne soient restées que des déclarations. Le mieux que nous pouvons espérer est un renversement de l’infox, pour que l’effet bénéfique de ce retour à la réalité endigue les sentiments guerriers et apaise une jeunesse emprisonnée par le sentiment que plus rien ne serait plus possible pour sauver la planète dans le domaine des ressources naturelles puisque la Chine serait un ennemi qui aurait déjà gagné la partie. Par suite, l’autre avantage du retour de la vérité serait une atténuation des sentiments antidémocratiques. En effet, les modèles de Green Deal européen ou du parti Démocrate étatsunien sont d’une telle ampleur qu’ils seraient irréalisables dans un climat de guerre réelle ou virtuelle pour des ressources naturelles. Or, le grand danger que rencontrent les idéologies, et les promesses politiques qui les secondent telles que celle de la transition écologique, c’est de s’exclure de la vie réelle, de ne plus comprendre leurs impacts sur les populations et de perdre le lien avec le monde industriel qui produit ces ressources et avec celui qui les transforme. S’il devient impossible de tenir ces promesses parce qu’elles auraient entraîné des conflits construits sur un mythe tel que la « guerre des métaux », c’est la démocratie au sens large qui en souffre.
Les mots ont un sens, employer le mot guerre sans jamais l’avoir connu est déplorable ; nous n’avons pas besoin d’une infox sur une « guerre des métaux qu’ils soient abondants, critiques, stratégiques, rares ou introuvables » pour sauver la planète, mais au contraire d’une vérité sur la « paix des métaux » pour négocier sans émotion. Seul le comblement de notre vacuité stratégique, voire une coopération inclusive de Pékin, de Moscou et d’autres producteurs de technologies et de ressources naturelles, à l’image de ce qu’auront réussi l’Indonésie et la Chine, répondra à la promesse d’une transition énergétique européenne qui ne confondra plus ses discours et ses réformes.
La deuxième hypothèse sur l’origine de l’infox est contiguë à la première. C’est un mythe dangereux, car il a provoqué un effet anesthésiant. Chaque État restait immobile, car chacun croit que la doctrine minière de la Chine est combattue par un autre puisque l’infox indique qu’une guerre existerait entre la Chine et ce quelqu’un d’autre. Mais cette guerre n’est nulle part, cet autre n’existe pas ; aucune bataille, même économique, n’a eu spécifiquement lieu récemment pour le cuivre, le nickel, le fer, les platinoïdes, le platine, le rhénium, le béryllium, le cobalt, le gallium, le germanium, le graphite, l’indium, le niobium, le lithium, les lanthanides. Personne ne s’est opposé à son influence et à ses avancées minières. Cette guerre métallique est un leurre, elle n’a jamais eu lieu. Et, pendant que chacun pense que quelqu’un d’autre combat la Chine, Pékin a progressé sans être contré. Personne ne s’est opposé à son influence et à ses avancées minières. Accuser la Chine d’une « guerre des métaux », c’était faciliter ses avancées, car en condamnant un symptôme la maladie continuait de prospérer, tandis que la cause du mal restait cachée : l’abandon de la souveraineté dans nos Doctrines Minières.
À cet argument sont souvent opposé des listes de métaux stratégiques ou critiques construites par des États. Elles ne répondent hélas pas à la question d’un combat ou d’une négociation. Elles ne sont ni des preuves d’une guerre ni des armes ni des offensives, mais au contraire une sorte de constat qui devrait rester secret, une reddition intellectuelle imbelle à la mesure d’une « guerre des métaux » virtuelle faute de combattants.
Mais, pendant que chacun pense que quelqu’un d’autre combat la Chine, Pékin a progressé sans être contré. Personne ne s’est opposé à son influence et à ses avancées minières.
Éliminer l’anesthésie d’une guerre virtuelle et virtuellement menée par d’autres, c’est notamment affirmer que la Chine a gagné des positions parce que d’autres pays consommateurs ont déserté les mines et l’industrie. Moins visionnaires, ils n’ont pas réévalué leurs souverainetés et leurs Solidarités Stratégiques métallurgiques et minières et ils ont abandonné leur stratégie d’influence.
Il faut donc bâtir ces doctrines minières tout en se protégeant en interrogeant les futures infox liées aux métaux.
Au-delà de ces deux hypothèses, l’origine réelle de l’infox des « métaux rares » était fléchée par les ventes de véhicules électriques. Elles ont doublé en 2019, puis à nouveau en 2020, et sont en plein essor en 2021. L’engouement pour la motorisation électrique est un événement industriel mondial de première importance, car le secteur des transports construit des ramifications structurelles sur les marchés des métaux et pour les nombreuses années à venir dans toutes les industries et notamment celle du pétrole. En 2020, 3 millions de véhicules électriques étaient vendus, environ 4 % du marché, mais le taux de pénétration sera de 30 % en 2025 et 70 % avant 2040. Autant de consommateurs qui inquiètent les pro-pétroles, certains producteurs de produits pétroliers, notamment aux Etats-Unis, qui n’ont pas initié leur mue vers l’électricité. De plus, l’accumulation des avantages de la voiture électrique propulsée par des métaux et avec une énergie non-carbonée produite par exemple à l’aide de l’économie circulaire du nucléaire avait toutes les chances de se heurter aux intérêts des antinucléaires. Assez logiquement, cette confluence d’intérêt entre les deux courants propétrole et antinucléaire engendrait une résultante qui se cristallisait sous la forme du mouvement des anti-voitures électriques armé de la fake news des « métaux rares ».
Les détracteurs ont construit le canular en mélangeant à dessein les notions erronées de « métaux rares » et de « terres rares ». Sans examen, sans étude du contradictoire, sans regard sur les faits, sans remise en question par les médias, ils ont largement exprimé et partagé leur credo à travers des études pseudo-scientifiques, des documentaires déformants ou des livres orientés favorisant le sensationnel, l’émotion délétère, la caricature de la voiture anti-électrique. Cette facilité a été adoptée aveuglément par le monde politique, faisant écho à Victor Hugo : « L’ignorance est une réalité dont on se nourrit ; la science est une réalité dont on jeûne. Être savant et être sain ; paître, et être un âne partout ».
Construit pour discréditer les usines et les progrès techniques de la mobilité électrique au profit du pétrole, ce canular des « métaux rares » attisait l’appétit d’investisseurs qui y voyant une faiblesse à exploiter dans la transition énergétique, il faisait fuir les entreprises, l’industriel passe pour un voyou et la science pour une malédiction.
L’ensemble est résumé dans cette note : Mais d’où vient exactement l’infox anti-voiture électrique
L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE DOIT SERVIR À DÉCONSTRUIRE LES INFOX ANTI-ÉLECTRICITÉ
Cette situation faisait lever les sourcils des experts des métaux et de la géopolitique des ressources naturelles. L’offensive médiatique de fake-news anti-électrique, commune aux pro-pétrole et anti-électrique, fut déconstruite par l’intelligence économique et les faits : sur le cobalt et le travail en République Démocratique du Congo ; le basculement énergétique du monde du pétrole vers les métaux est réel ; la majorité du lithium produit dans le monde provient d’Australie et non pas d’Amérique du Sud, le recyclage des batteries au lithium fonctionne déjà ; les « métaux rares » n’existent pas, c’est un canular sauvé par aucune géologie ni aucune science ; les « terres rares » ne sont pas rares et les véhicules électriques n’en ont aucune dans leurs batteries, à l’inverse les véhicules thermiques en ont dans leurs pots catalytiques.
Une autre analyse du magazine EnerGeek témoignait du debunkage nécessaire de l’infox. Puis en 2020, un documentaire, « À Contresens : Véhicule électrique, la grande intoxication » participait également à cette croisade en rappelant la similitude d’arguments entre quelques communicants anti-voiture électrique français désireux d’acquérir une notoriété et les frères Koch, milliardaires texans du pétrole, activistes et soutiens financiers de Donald Trump. Ils ont investi 10 millions de dollars par an dans des documentaires contre les voitures électriques médiatisant des arguments tels que :
• le bilan CO2 des véhicules électriques est pire que celui des modèles essence et diesel,
• que des « métaux rares » et des « terres rares » sont utilisés dans les batteries des voitures électriques et que ces ressources minérales seront épuisées,
• que la voiture électrique dépend du travail d’enfants,
• que l’exploitation du lithium en Amérique du Sud est dangereuse pour les flamants roses, etc.
Pourtant, les batteries de voitures électriques ne contiennent aucune « terres rares ». En effet, le nickel y apporte la densité énergétique ; le cobalt apporte la puissance, tandis que le manganèse stabilise la température. L’évolution récente du coquetèle nickel-manganèse-cobalt (NMC) se dirige vers moins de cobalt et plus de nickel parce que les variations du prix des métaux constituent une menace pour le coût des voitures électriques. Leurs prix doivent baisser et rejoindre celui des voitures classiques. La réponse à la soutenabilité et aux coûts passe par les batteries au lithium-phosphate de fer (LFP), sans nickel ni cobalt.
La chimie des batteries est donc multiple et hétérogène. Moins onéreuses, plus endurantes et sécurisées, les batteries au LFP équiperont probablement plus de 50 % de la consommation mondiale contre 25 % actuellement. En outre, l’autre électrode de la batterie, l’anode, connaît également des progrès qui élargissent aussi l’autonomie par le remplacement partiel du graphite synthétique par du silicium, renforçant ainsi et encore la solution la moins onéreuse et assurant un développement durable. Évoquons enfin l’évolution de la forme des cellules des batteries — cylindrique, prismatiques ou bien en poche — qui contribue également à les alléger, à réduire leur chaleur ou à emmagasiner plus de puissance.
Le canular des « métaux rares » est démasqué, il ne reste plus aucun argument pour tuer la voiture électrique, car quelle que soit l’origine de l’électricité, grâce à son efficacité énergétique, le moteur électrique, de sa construction à son recyclage, pollue moins que le moteur thermique. De plus, comme son coût ne cesse de baisser, il sera à égalité avec le moteur thermique fin 2021 ou 2022. Enfin, en Europe les circuits de collecte de ces batteries d’origine asiatique et équipant des véhicules européens sont au point.
Cette infox de « métaux rares » pro-pétrole qui a voulu tuer la voiture électrique, restera de son début jusqu’à sa fin sans doute une intéressante étude de cas de manipulation de l’information et de questionnements sur l’intégrité des médias, et elle sera probablement enseignée dans les écoles de journalisme et d’infoguerre.