La guerre du lithium n’aura pas lieu

Si après la prochaine étape des accumulateurs à lithium solide, le lithium disparaît à son tour et était remplacé par un élément abondant, comme par exemple le sodium?

In le Monde 7 août 2019

Il y a quelques mois, la question d’une pénurie du lithium semblait brûlante : face à des ressources minières insuffisantes, la demande des véhicules électriques apparaissait insatiable. Et les commentateurs s’enflammaient autour du potentiel conflit géopolitique autour de la fake-news des «métaux rares». Peut-être un peu trop vite.

La production de lithium provient de deux origines, qui étaient bon an mal an à peu près équivalentes : la première sous forme dissoute en provenance des « salars », les saumures des déserts de sel d’altitude des montagnes chiliennes, argentines et boliviennes, voire du Tibet ; la seconde sous forme solide, les « spodumènes », des minéraux contenant du lithium extraits de mines, notamment australiennes.

Pour répondre à l’immense consommation des batteries pour automobiles électriques qui s’annonce, la solution semblait pouvoir venir dans un premier temps d’une augmentation de production des salars, notamment chiliens. Mais cette perspective s’est avérée insuffisante. Suite à l’accusation de dépassements de quota de production par les deux sociétés leaders, SQM et Albermare, la renégociation avec le ministère chilien de tutelle n’a pas totalement abouti : le conflit porte sur les redevances à verser à l’Etat, les concessions de production et leur impact environnemental.

Percée australienne

En conséquence, c’est d’Australie qu’est venue la percée depuis 2016 : grâce à une hausse considérable de sa production minière de spodumène, ce pays est devenu premier producteur mondial devant le Chili. Ils sont suivis par la Chine avec ses gisements du Tibet et du Qinghai, puis viennent d’autres producteurs, dont la Serbie, où le projet de la mine de Jadar a été confirmé.

Au développement des mines australiennes s’est ajoutée une tentative d’amélioration de la qualité de la production des salars andins. Fonctionnant traditionnellement par évaporation, leur cycle de production dépendant de la météorologie durait entre 12 mois et 18 mois, voire dans certains cas plusieurs années.

En outre, le ratio entre le lithium récupéré et celui qui reste dans les salars n’atteignait le plus souvent que 50 %. A présent, bien qu’il y ait encore des coûts à améliorer et des process à tester, l’hydrométallurgie permet d’extraire de 80 % à 90 % du lithium en quelques heures. L’effet multiplicateur est doublement important : moins de ressources et de surface produisant plus et plus vite, l’impact environnemental sera moindre et la boucle du recyclage s’en trouvera accélérée.

Renversement de marché

Enfin, du côté de la demande, les batteries au lithium évoluent sans cesse, laissant derrière elles deux filières aux rentabilités très différentes.

D’une part, les accumulateurs lithium-phosphate de fer, les plus anciens et les moins coûteux, équipent les véhicules électriques bas de gamme, c’est-à-dire à faible autonomie kilométrique. Cette technologie embarque du carbonate de lithium en production directe des salars.

D’autre part, les batteries lithium nickel-manganèse-cobalt (NMC) équipent les véhicules haut de gamme réclamant d’aller plus vite et plus loin. Elles consomment de la lithine ou hydroxyde de lithium, produit à partir du carbonate des salars andins ou bien directement des mines de spodumène.

Il serait tentant d’affirmer que les salars produiront du carbonate de lithium pour les petits véhicules, et les spodumènes de la lithine pour les plus lourds. Mais une nouveauté en amenant une autre, l’hydroxyde de lithium, généralement plus onéreux que le carbonate, peut être produit de façon plus économique à partir des spodumènes australiens qu’à travers l’étape du carbonate andin. Une nouvelle baisse de coût, s’ajoutant à celle des prix du lithium déjà divisé par trois depuis le pic du printemps 2016, serait une excellente nouvelle pour les batteries NMC.

Il pourrait même devenir compétitif de produire du carbonate à partir de la lithine australienne au lieu de l’obtenir directement du triangle andin. Un tel renversement de marché condamnerait la production des salars à suivre à la baisse les coûts de production des mines australiennes, alors que jusqu’à il y a peu, c’est à Santiago que se faisaient les prix mondiaux. A terme, la progression des technologies de production provoquera sans doute une nouvelle équipollence économique entre les deux sources de carbonate et de lithine.

Baisse des prix et concurrence

Il y a quelques mois, le déséquilibre entre offre et demande justifiait des interrogations. Mais avec l’exploitation de nouveaux gisements, les consommateurs ont retrouvé une relative tranquillité depuis que doubler voire tripler la production actuelle pour atteindre le million de tonnes par an est envisagé plus sereinement.

Toutefois, l’augmentation des capacités provoquerait une baisse des prix et accroîtrait la concurrence entre les producteurs de part et d’autre du Pacifique. Si cette compétition perdurait sans progrès dans les techniques d’affinage et la flexibilité des processus, ou sans que l’augmentation du taux de pénétration des automobiles électriques ne génère une légère hausse des prix, alors les nouveaux projets de production de lithium, notamment en Amérique du Sud, pourraient être abandonnés.

La guerre du lithium n’a donc pas eu lieu, et peut-être n’aura-t-elle jamais lieu si, à la suite des batteries NMC, et après la prochaine étape des accumulateurs à lithium solide (sans alliage nickel-manganèse-cobalt), le lithium disparaît à son tour et est remplacé par un élément abondant, comme par exemple le sodium.